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2 décembre 1805
La bataille d'Austerlitz
Boulogne (1)
L'histoire de la bataille d'Austerlitz commence....cent jours plus tôt, et à des lieues de distance. Exactement le 26 août 1805, à Boulogne sur Mer.
Ce jour là, Napoléon, qui a maintenant la certitude que son plan d'invasion de l'Angleterre ne peut aboutir, donne enfin l'ordre à son armée de faire demi-tour sur place, et de regarder vers l'est.
Pour mieux comprendre, il est nécessaire de prendre quelques repères. Depuis septembre 1801 (presque 4 ans !), c'est à dire depuis la paix d'Amiens, la France semblait avoir renoncé à déborder de ses frontières naturelles. L'Angleterre, quant à elle, lâchait du lest. L'une renonçait à l'insolence terrestre, quand l'autre semblait tirer un trait sur la domination maritime.
15 mois. Cela allait durer 15 mois, au bout desquels on remettait ça. Dès mai 1803, l'état de guerre était repris avec Albion. Torts partagés, il est vrai. Si l'Angleterre se refusait obstinément à évacuer Malte, considérée par Bonaparte (il est encore Premier Consul) comme un second Gibraltar et la clé du commerce maritime en Méditerranée, la France, de son coté, avait annexé le Piémont et étendait plus ou moins son pouvoir sur Allemagne, la Suisse et la Hollande.
Et l'idée, au reste pas neuve, d'aller vaincre l'anglais chez lui, germait, jusqu'à aboutir à la formidable concentration de nos armées au camp de Boulogne: plus de cent mille hommes et deux mille quatre cent bâtiments. "Une descente et un séjour de deux mois en Angleterre seraient pour la France une paix de cent ans" dit-il à qui veut l'entendre.
Alors, d'Equihen à Capécure, on voit sortir de terre le Camp de gauche, et, de la Tour d'Odre à Ambleteuse, le Camp de droite; cent mille hommes y seront réunis. Un troisième Camp se forme à Montreuil sous le commandement de Ney. Soult commande à Boulogne, Lannes à Wimereux et Davout à Ambleteuse. On appuie les batteries de la côte par le feu des forts en pleine mer.
Bernadotte et Marmont gardent, respectivement, le Hanovre et la Hollande.
"La meilleure et la plus forte école de guerre qu'il fut possible de concevoir"
Pouget: "Les divers corps d'infanterie avaient construit de très beaux logements en pierre, très réguliers, tant pour les chefs de corps que pour les bureaux, les ateliers, etc. On avait établi des cafés et plantés de jolis jardins remplis de légumes, de fleurs, de volières; tout cela était d'un goût exquis, sans pourtant s'écarter des alignements prescrits, et faisait l'admiration de nombreux étrangers qui venaient visiter ce camp extraordinaire. La vue y était magnifique et d'une majesté imposante, parce que la mer, qui baignait des falaises sur lesquelles le camp reposait, était toujours couverte de vaisseaux anglais qui longeait la côte pour canonner la flottille, dont les péniches, canonnières et frégates étaient innombrables. Ce spectacle était de tous les instants du jour et de la nuit, et le port, encombré de marins et ouvriers, ressemblait à une fourmilière. Le télégraphe de la ville était dans un mouvement continuel; enfin jamais on ne vit spectacle plus animé et jamais il ne sortira de la mémoire de ceux qui en ont joui."
De Saint Chamans: "Je ne crois pas qu'il exista jamais, ni dans aucun pays, une aussi bonne école militaire que le camp de Boulogne; le général qui la commandait, les généraux qui étaient sous ses ordres, et les troupes qui le formaient venaient tous de la fine fleur de l'armée française, et le plus grand des généraux qui ait existé, Napoléon Bonaparte, venait lui-même fréquemment pour inspecter ces troupes exceptionnelles et les jeunes combattants qui étaient formés par ces excellents modèles."
Car on y fait l'exercice tous les jours, avec les chefs de la prochaine campagne, et, surtout, on y apprend à vivre ensemble. A part cela:
Fézensac: "Qu'est-ce donc qui occupait toute cette jeunesse dans le moments non employés à l'exercice, au nettoiement des armes, aux soins de propreté pour lesquels on se montrait du moins assez sévère ? Rien du tout, je puis le dire. Dormir une partie du jour après avoir dormi toute la nuit, chanter des chansons, conter des histoires, quelques fois se disputer sans savoir pourquoi, lire quelques mauvais livres que l'on parvenait à se procurer; c'était leur vie, l'emploi de la journée des sergents comme des soldats, des officiers comme des sergents. toute la nuit, chanter des chansons, conter des histoires, quelques fois se disputer sans savoir pourquoi, lire quelques mauvais livres que l'on parvenait à se procurer; c'était leur vie, l'emploi de la journée des sergents comme des soldats, des officiers comme des sergents.
L'affaire l'occupe passablement, de juin 1803 jusqu'à ce mois d'août 1805.
Le 29 juin 1803, le premier Consul était venu à Étaples. Les rues sont nettoyées les tas de boue, habituellement igno´es, sont enlevés. Un arc de triomphe est érigé à l'entrée de la ville, sur lequel on peut lire : "Au Sauveur de la Patrie". le ministre de la marine Decrès est là, lui aussi.
L'adresse du maire Prevost-Lebas prouve la part active que les Boulonnais prenaient à la lutte: "Citoyen premier Consul, depuis quasi mépris d'un traité solennel une nation ambitieuse et jalouse de votre gloire et du bonheur de la France a tout-à-coup osé déployer l'étendard de la guerre, la ville de Boulogne a l'avantage d'être associée aux vastes projets que vous avez conquis; elle s'honore de concourir à leur exécution, comme déjà elle se glorifie d'avoir contribué à humilier l'orgueil britannique. Les grands travaux que vous avez ordonnés, la construction de forts et de batteries sur les lieux mêmes où jadis César avait placé ses camps, font naître des rapprochements heureux; ils présagent que le port de Boulogne sera le théâtre d'événements extraordinaires, dont le succès est réservé au héros qui sait fixer la victoire. Oui, citoyen Premier Consul, les habitants de cette ville seconderont une entreprise que l'audace et la mauvaise foi ont provoquée ; et pour marquer l'intérêt qu'ils prennent à l'issue favorable que l'Europe en attend, ils nous chargent de vous offrir un bateau canonnier, complètement équipé et monté par des Boulonnais. "
Du 4 au 17 novembre 1803, Bonaparte fait un plus long séjour. La Côte de Fer mérite alors bien son nom. Malgré les croisières anglaises, toutes les divisions de la Flottille parviennent intactes au port de Boulogne; outre les batteries de côte, des batteries mobiles les accompagnent le long du rivage. On livre alors des combats partiels, où les Français ont l'avantage; ils s'aguerrissent ainsi et prennent confiance.
Bonaparte habite alors le château de Pont- de-Briques ; son quartier général est près de la Tour-d'Odre et sa baraque s'élève sur la falaise à l'endroit où se dressa, jusqu'à un passé récent, sa statue, qu'un ouragan devait renverser.
Nouveau séjour, du 19 juillet au 27 août 1804. C'est désormais l'empereur des Français qui visite le camp. Il passe des revues, inspecte les installations, ordonne des exercices.
Comme ce 20 juillet 1804 où, refusant de se plier à l'ordre que lui donne l'Empereur), de préparer une revue navale, la tempête menaçant, l'amiral Bruix met la main à l'épée en réponse à la cravache impériale levée sur lui. Bruix a ordre de lever le camp dans les 24 heures. La revue a lieu, sous la tempête, des chaloupes chavirent, il y aura des morts. Napoléon passera la nuit près du fort de l'Heurt, dirigeant le sauvetage des bâtiments.
Le 16 août, c'est, sur le plateau de Terlitheum, la célèbre distribution des croix de la Légion d'honneur à l'armée (la toute première distribution ayant eu lieu le 15 juillet précédent, à Paris). On avait massé sur ce point 120,000 hommes; 200 tambours battaient aux champs, et Méhul conduisait un orchestre de musiques militaires.
Un témoin de la cérémonie raconte :
"Le trône était formé d'un tertre dans le goût antique, tel que, dans les camps romains, on en élevait aux Césars quand ils devaient haranguer l'armée, et tels que les médailles nous les ont transmis sous la dénomination d'allocutions.
Une plate-forme carrée de seize pieds sur huit de hauteur, était entourée d'étendards et de drapeaux surmontés d'aigles d'or. Au centre, sur deux gradins, était posé le siège antique de Dagobert, et, pour baldaquin du trône, un trophée d'armes composé des drapeaux, guidons et étendards pris à Montenotte, Arcole, Rivoli, Castiglione, les Pyramides, Aboukir, Marengo, etc. Au milieu de ce groupe était l'armure en pied des électeurs de Hanovre, et le tout était surmonté d'une immense couronne de lauriers d'or, sur laquelle s'agitaient les queues des guidons des mamelouks. Près du trône étaient placés le prince Joseph, les ministres, les maréchaux de l'Empire, les amiraux, les grands officiers de la couronne, les colonels, généraux et électeurs présents, et derrière, un capitaine de chaque corps de l'armée, tenant un drapeau déployé. Devant le trône, le grand chancelier de l'Ordre; sur les seize marches du trône, les aides de camp, recevant et portant les ordres de l'empereur, et plus bas, les légionnaires déjà décorés, sur la tête desquels flottaient les drapeaux et étendards conquis, dont on avait formé deux trophées.
Les marques d'honneur, portées par des adjudants-généraux étaient placés dans les casques et boucliers de Du Guesclin et de Bayard (...)
A midi, l'empereur parait; il monte sur le tertre; il devient l'âme de ce grand corps. Le silence est la première expression de l'émotion. Un roulement annonce que la cérémonie est commencée. Le grand chancelier de l'Ordre prononce un discours; un autre roulement fixe de nouveau l'attention. La voix de Napoléon se fait entendre, il prononce le serment, et cent mille serments s'attachent au sien. A vingt reprises, le salut de l'empereur est demandé avec enthousiasme.
La brillante harmonie des airs nationaux, qui rappelle de glorieux souvenirs, se distingue à travers le bruit de mille tambours et le feu roulant de trente batteries... Le même vent d'ouest qui tourmentait nos drapeaux, avait enflé les voiles de la division de la flottille du Hâvre, et dans le même moment la faisait entrer dans le port. Que d'idées se rattachent à un pareil moment! (....)
Il était beau de voir des maréchaux de l'Empire, des généraux, des conseillers d'état, des préfets, des évêques, des officiers, des soldats et des matelots, recevoir alternativement le prix d'honneur des mains de Bonaparte qui, les connaissant tous, les accueillait comme des compagnons de ses travaux et de sa gloire."
Le lendemain, Napoléon écrit à Cambacérès :
"La fête s'est fort bien passée hier, seulement un peu de vent. Le coup d'œil était nouveau et imposant. On a trouvé rarement autant de baïonnettes réunies."
D'autres anecdotes datent de ces séjours. Comme cette nuit où, déguisé en bourgeois et portant lunettes et perruque, il se présente chez une Madame Fagan, chez qui son frère Joseph avait pour habitude de passer des nuits galantes. Ayant perdu à un jeu galant, il est condamné à faire le portier, pendant que Joseph et sa dame......
Pouget: Un jour, l'Empereur (...) arriva inopinément au camp Je fis prendre les armes et l'Empereur voulut faire la visite des sacs pour s'assurer par lui-même s'ils renfermaient les deux paires de souliers exigées; les épinglettes et les souliers étaient les objets de la plus sévère inspection. Il se trouva qu'un chasseur n'avait qu'une seule paire de souliers. Grande rumeur ! L'Empereur se fâcha, le major général (Berthier) bien plus encore; tous les yeux étaient fixés sur moi...."
Deux répétitions d'embarquement des troupes sont effectuées sous les yeux mêmes de Napoléon. Le résultat dépasse ses espérances: malgré les distances à parcourir pour certaines unités, soldats et chevaux sont à bord une heure et demie après le retentissement de la générale !
Stratège de génie sur terre, mais point marin, Napoléon imagine toujours, à ce moment, l'opération possible, pour autant qu'il soit maître de la mer le moment voulu: Soyons maître du détroit six heures, et nous sommes maîtres du monde se plaît-il à écrire.
© Anovi - 2002 - R. Ouvrard