François Roch Ledru des Essarts

François-Roch Ledru des Essarts (1765-1844) fait partie de ces nombreux volontaires de 1792 qui fient,d'abord dans l'enthousiasme, puis, petit à petit, avec une certaine amertume, toutes les campagnes de la Révolution et du Premier Empire. Pourtant, sa carrière, si elle n'égale pas celle de certains de ses compatriotes, fut plus qu'honorable : capitaine, donc, en 1792, il termina général de division, combattant à presque toutes les grandes batailles (s'il "manque" Wagram, c'est pour cause de blessure), depuis la Hollande jusqu'à celle engagée sous Paris, juste avant la première abdication de Napoléon. Il eut même plusieurs fois l'honneur d'être nommément cité dans un des Bulletins de la Grande Armée (auxquels, cependant, il s'en prendra à de nombreuses reprise, pour cause d'impartialité...)

S'il n'a pas laissé de Souvenirs ou de Mémoires, un grand nombre de ses lettres à sa famille ont été retrouvées, dans lesquelles il parle sans retenue... du moins jusqu'au moment où il saura que ses lettres ont de fortes chances d'être lues par d'autres...

A Austerlitz, Ledru (qui n'est pas encore "des Essarts") est colonel, commandant le 55e régiment de ligne, qui est lancé sur le Pratzen. Quelques jours plus tard, il relate les évènements, à l'issue desquels il sera promu général de brigade.


Je suis échappé sain et sauf, mon Cher Ami, aux dangers de la bataille d'Austerlitz. Tu liras sans doute avec intérêt quelques détails sur ce qu'a fait mon régiment dans cette célèbre bataille.

La 1e division du corps du maréchal Soult, commandée par le général Saint-Hilaire, et dont le 55e fait partie, avait été dirigée par l'Empereur pour commencer l'attaque et devait couper l'armée ennemie dans son centre. Le 11 (note : Frimaire) à la pointe du jour elle marcha en colonne vers les hauteurs de Pratzen. J'obliquai à gauche avec mon corps et le 2e bataillon du 43e régiment pour enlever une batterie de six pièces de canon qui nous prenait en flanc et nous faisait beaucoup de mal. Elle était défendue par deux régiments russes. Dans un instant, mon général de brigade et mes trois chefs de bataillons furent mis hors de combat. Je pris le commandement. Je fis doubler le pas en faisant un feu terrible. L'ennemi fut culbuté et son artillerie tomba en notre pouvoir. Ces deux régiments (note : mot illisible) coururent en désordre se rallier à 300 pas de là, derrière un corps de quatre mille hommes occupant une hauteur avantageuse, avec huit pièces.  Je n'hésitai pas à l'attaquer quoiqu'il fut deux fois plus nombreux que moi, et faisant faire les feux de bataillons en avançant. J'emportai cette position aussi rapidement que la première. Presque tous les canonniers furent tués sur leurs pièces et cette seconde artillerie tomba également au pouvoir de mon régiment. Cet avantage me coûta cher, puisqu'en moins de cinq minutes la mitraille et les balles me firent perdre trois cents hommes et frappèrent mon cheval. En arrivant sur la hauteur, je m'attendais à être vigoureusement reçu à la baïonnette par les Russes tant vantés, mais ils gagnaient en fuyant le village de Pratzen : un feu roulant les abattait par centaines et la terre était jonchée de leurs morts.

J'allais entrer dans Pratzen et détruire complètement cette colonne, lorsque les cuirassiers de la garde impériale de Russie accoururent au galop pour la sauver et me charger. Je me formais lestement en masse et quoique mes tirailleurs allaient à 50 pas leur tuer du monde, ils n'osèrent m'attaquer. Ce fut alors que le maréchal Soult avec la division du général Vandamme. Il me fit les compliments les plus flatteurs et je rejoignis le général Saint-Hilaire, qui se trouvait à deux lieues de là, en mesure d'attaquer le château de Sokolnitz, où mon régiment fit près de 400 prisonniers dans le parc. Jusque là, le soldat avait tué sans miséricorde et n'avait pas voulu prendre personne, en représailles de la cruauté des Russes. Vers quatre heures, lorsque les débris de l'armée ennemie étaient acculés au lac de Menitz, l'Empereur passa prés de moi, m'appela et eu la bonté de me témoigner sa satisfaction sur la conduite de mon régiment et de me donner des détails sur les résultats de la bataille..

Tu les liras dans les rapports officiels. Jamais armée française ne fut couverte de tant de gloire. Le 55e a perdu  344 (?) hommes, dont 18 officiers; mes deux chefs de bataillons et 8 capitaines ont été gravement blessés. (Lettre à son beau-frère - 11 décembre 1805, Vienne)