Le général Mathieu Dumas


Le général Mathieu Dumas (1753 - 1837), d'origine noble, était entré dans l'armée en 1773 et avait fait la guerre d'Indépendance de l'Amérique, comme aide de camp de Rochambeau. Il émigra du 10 août 1792 au 9 Thermidor. Il fut victime de la proscription du 18 Fructidor, et revint de nouveau en France après Brumaire. Il "rate" la journée du 2 décembre, qu'il évoque cependant dans son "Précis des évènements militaires", paru en 1833.


Le général Mathieu Dumas (1753 - 1837)J’avais abandonn6 mes chevaux fatigués, et pris des chevaux de poste pour me rendre à Brünn par la route de Vienne. Quelque diligence que je pusse faire, je n’arrivai à Nicolsbourg qu’à la pointe du jour même de la bataille, le 2 décembre 1805. 

Je trouvai le général Beaumont rassemblant sa division de cavalerie; j’étais encore à douze lieues de Brünn. Je passai fort heureusement un défilé au moment où des partis ennemis débouchèrent de la forêt sur la route; ils furent contenus par une batterie d’artillerie légère, qui précédait la division Beaumont. A mesure que j’approchais de Brünn, le feu du canon sur toute la ligne de bataille, et la fusillade vivement engagée du côté de Telnitz, qui était l’extrémité droite du champ de bataille, m’indiquaient assez, quoique vaguement encore, les positions respectives des deux armées au delà de la ville.

J’y arrivai vers midi. Le général Pannetier, qui commandait la place, voulut bien me prêter un cheval. Je me trouvai sur le champ de bataille, un peu à gauche des hauteurs de Prazen, que le maréchal Soult avait fait emporter par la division Saint-Hilaire, au moment même de la belle charge des cuirassiers, et lorsque le maréchal Duroc, à la tête des grenadiers réunis, venait de faire mettre bas les armes à cinq à six mille prisonniers, au milieu desquels était le prince Repnin. Je cherchai à rejoindre l’empereur du côté des lacs, où il faisait canonner vivement les colonnes russes en déroute. Na l'ayant pas rencontré sur ce point qu’il venait de quitter, et la nuit s’approchant, je retournai au bivouac de l'empereur, où je me réunis à mon collègue, le général Andréossy , pour attendre les nouveaux ordres. Ce ne fût que vers dix heures du soir que nous fûmes avertis que l’empereur s’était porté en avant de la ligne sur la route d’Olmutz, et qu’il passait la nuit à la maison de poste. Nous montâmes à cheval pour nous y rendre. La journée avait été fort belle; mais le temps avait changé tout à coup : la nuit était obscure et pluvieuse. A peine avions nous fait un quart de lieue sur la route, que nous rencontrâmes un trompette et deux officiers autrichiens conduits par un officier français; c’était le prince Jean de Lichtenstein , qui, chargé de venir faire à Napoléon la proposition d’un armistice, et ne sachant où trouver le quartier impérial, fut fort aise de nous rencontrer. Nous le conduisîmes à la maison de poste, où l'empereur et tout son état-major étaient resserré dans deux petites chambres qui avaient servi d’ambulance aux Russes pendant la bataille. J'éveillai le grand écuyer Caulaincourt et lui annonçai le Prince de Lichtenstein : il fut sur-le-champ introduit auprès de Napoléon. Sans doute on ne traita jamais dans aucun palais des souverains de l’Europe une aussi grande affaire que dans cette misérable maisonnette.

Dès le matin, 3 décembre, j’accompagnai l’empereur dans la visite qu’il fit de toute la partie gauche du champ de bataille, il m’interrogea sur la mission dont j’avais été chargé, et me demanda s’il était vrai que l’ennemi eût fait un mouvement par sa gauche, et se fût avancé jusque sur la grande route de Vienne. Je dis ce que j’en avais vu et ce qu’on pouvait présumer de son dessein. "Ainsi, ajouta-t-il, vous n’avez pas pu vous trouver ici hier ? " Je répondis que j’étais arrivé sur le champ de bataille trop tard pour avoir vu les belles dispositions d'attaque et les brillantes manoeuvres par lesquelles il avait si rapidement assuré sa victoire, mais pourtant encore assez à temps pour avoir vu les résultats de la plus belle bataille et du plus mémorable événement du siècle. Je suivis l’empereur au château d’Austerlitz, où il établit son quartier général, comme, l’avaient fait la veille les empereurs d’Autriche, et de Russie. Je fus envoyé pour porter des ordres au maréchal Duroc, qui était avec ses grenadiers réunis, à une lieue en avant de la maison de poste, sur la route d'Olmütz; je rejoignis ensuite le quartier impérial à Austerlitz. Chargé le lendemain de parcourir tout le champ de bataille où erraient encore un grand nombre de blessés et d’hommes égarés, où l’on recueillait des armes de toute espèce, beaucoup de pièces d’artillerie démontées ou abandonnées, je regrettai de ne pouvoir me trouver à l’entrevue de l’empereur d’Autriche et de Napoléon. C’est à ce bivouac, à jamais célèbre, des trois empereurs, que furent décidés l’armistice et les premières ouvertures des négociations pour la paix. 

L’empereur étant rentré à Brünn, où il fit appeler son ministre des affaires étrangères Talleyrand, j’y fus occupé de l’emplacement et de la distribution des quartiers pour les différents corps d’armée, et je me rendis ensuite auprès du major général à Schönbrunn, où l’empereur Napoléon établit sa résidence pendant les négociations.