Chroniques villageoises

Les Français dans le duché de Salzbourg en 1800

La conduite des Français à Salzbourg depuis leur entrée jusqu'à leur départ, d'après les procès-verbaux secrets (827 pages in-folio, 559 pièces) dressés au jour le jour par les autorités salzbourgeoises pendant l'occupation de la ville (extrait). (1)

 

Le 14 décembre 1800, entre trois et quatre heures de relevée, la nouvelle courut à Salzbourg que les Français, après avoir opéré à Lauffen, avec une hardiesse hors ligne, le passage de la Salza et refoulé ainsi, sous les ordres du général Decaen (2), l'armée des Autrichiens, remontaient à marches forcées le cours de la Salza (3).

L'archiduc Jean, qui avait à Salzbourg son quartier général, recula vers Strasswalchen (4), où toute l'armée autrichienne se rangea dès le 14 en ligne de bataille pour empêcher les Français d'avancer vers l'intérieur de l'Autriche. 

L'après-midi, des officiers autrichiens racontèrent que les Français seraient très probablement à Salzbourg le lendemain au plus tard, vers dix heures du matin.

Cela signifiait pour les habitants une nuit de panique épouvantable, d'autant plus que des soldats autrichiens en retraite par troupes isolées commirent pas mal de désordres, demandèrent à manger et à boire, pillèrent un peu et nous donnèrent ainsi un avant-goût de ce que l'ennemi serait capable de commettre en fait d'exactions.

Aussi procédâmes-nous séance tenante à l'organisation d'une garde civique composée de bourgeois bénévoles et, il faut le dire, un peu craintifs. Cette garde réussit en effet à empêcher un peu les excès. Encouragés par ce succès, nous redoublâmes de vigilance et attendîmes l'ennemi d'un pied ferme.

Le 15 décembre, à une heure du matin, passa sans être inquiété un régiment autrichien qui avait été séparé du gros de l'armée et avait hâte de la rejoindre. Il ne s'arrêta pas à Salzbourg, mais traversa la ville avec beaucoup de mystère, se dirigeant vers l'intérieur de l'Autriche.

Lorsqu'il fut passé, il ne restait plus aucun soldat autrichien dans notre ville.

Nos bourgeois passèrent cette nuit à cacher de leur mieux leur argenterie, leurs valeurs et leurs bijoux de famille. Tous les serruriers de la ville étaient occupés avec leurs ouvriers à réparer les portes cochères, tant nous craignions les rapines de la part des Français.

Disons en passant que ces travaux n'étaient pas encore terminés quand les premiers cavaliers français firent leur entrée dans la ville, de sorte qu'ils ont très bien pu s'apercevoir de la méfiance que nous avions à leur égard.

Vers quatre heures du matin, ordre fut donné à la garde civique, qui avait monté la garde aux portes de la ville, de rendre les honneurs aux troupes françaises quand celles-ci se présenteraient devant les remparts.

On envoya des trompettes en nombre suffisant à toutes ces portes, afin de pouvoir annoncer aux Français par des sonneries que la ville les attendait pacifiquement et ne leur opposerait aucune résistance.

A huit heures du matin, la municipalité nomma une délégation pour se rendre à la rencontre du général commandant les troupes françaises. Cette députation était chargée, pour le commandant en chef de l'armée du Rhin, d'une adresse dans laquelle la ville et les citoyens se recommandaient à sa magnanimité. Elle était signée de tous les conseillers municipaux et portait, en plus, la signature des hauts fonctionnaires du gouvernement du duché de Salzbourg, investis du pouvoir depuis la fuite, devant l'armée, de l'archevêque régnant.

Voici ce qu'elle contenait:

 1° Prière aux Français de se charger du gouvernement et de ne pas entraver le libre exercice du culte catholique;

2° Prière de veiller à la sécurité de la propriété et d'organiser, aussitôt arrivés, une police dirigée par des officiers de l'état-major, de même qu'un service de sauvegarde;

3° Prière de permettre aux quelques soldats des troupes archiépiscopales restés à Salzbourg d'occuper les fonctions de sergents de ville;

4° Prière de ne charger du service des cantonnements et logis dans la ville qu'une commission se composant d'habitants du pays même, ceux-ci connaissant mieux la situation locale et pouvant mieux répartir les charges d'après la fortune des citoyens.

Malheureusement, cette députation, tout en pénétrant assez loin dans la colonne française qui se dirigeait sur Salzbourg, n'a pu réussir à rencontrer le général Decaen. Mais pendant son absence, un détachement de l'avant-garde commandé par Plauzonne (5), aide de camp de ce général opéra son entrée par une porte opposée à celle par laquelle ladite députation était sortie.

Il était neuf heures du matin et ce détachement avait à peine occupé ses cantonnements qu'on vit les premiers Français à celle des portes où on les attendait en effet. C'étaient d'abord deux chasseurs à cheval. Le factionnaire de la garde civique fit sonner le rappel, la garde présenta les armes et allait se rendre au-devant des deux cavaliers lorsque ceux-ci, après avoir atteint le milieu du pont-levis, tournèrent bride et partirent au galop comme pour prendre la fuite.

Une demi-heure après, deux autres chasseurs se présentèrent à la même porte; sur ces entrefaites, le commandant de la garde civique avait été averti et se trouvait déjà à son poste pour recevoir les Français. A peine les cavaliers étaient-ils en vue qu'il fit prendre les armes à ses hommes, plaça derrière lui trois gardes civiques et un soldat de l'ancienne armée salzbourgeoise, et devant lui un trompette et un vieillard en bourgeois, septuagénaire sachant à peine se tenir sur sa monture (cela fut fait pour indiquer de loin nos intentions pacifiques et les mettre le plus possible en évidence), puis il s'avança vers les deux soldats français jusqu'au pont-levis. Là, le cortège leur présenta les armes pendant que le clairon sonna le rappel. Cependant ces deux hommes, arrivés à une certaine distance, firent encore mine de rebrousser chemin. Le commandant fit alors sonner une charge redoublée. Ceci les rendit plus circonspects, ils s'arrêtèrent et, braquant leurs carabines sur le petit cortège, ils s'avancèrent jusqu'au pont-levis, en couchant en joue le capitaine de la garde civique.

Celui-ci, qui parlait supérieurement le français, leur demanda qui ils étaient. « Amis! » s'écrièrent-ils; à sa question relative à la nature de leur amitié ils répondirent: « Républicains! » Pendant ce temps, ils s'étaient entièrement rapprochés de la porte; le commandant leur expliqua qu'il avait une lettre à remettre au général Decaen. Il convient de faire remarquer que pendant toute cette conversation les canons de leurs carabines restaient braqués sur le commandant, à deux pouces de sa poitrine.

Un autre chasseur survint: c'était apparemment un officier supérieur. Il vint au galop, sabre au clair, et, quand il se fut approché du petit groupe, le commandant lui renouvela ses dires. L'officier, sur ce, partit au grand galop pour aller chercher le général Decaen.

Une demi-heure après, nous vîmes poindre au détour de la route un brillant corps d'officiers accompagné d'un fort détachement de cavalerie.

Lorsque ces militaires se trouvèrent en vue du rempart, ils dégainèrent tous et, en brandissant leurs sabres, leur masse passa le pont-levis comme un ouragan.

Ce cortège, en tête duquel on voyait le général Decaen, s'arrêta à la porte.

Alors notre commandant, s'approchant de lui, put lui remettre l'adresse dont il était porteur et dont nous avons parlé plus haut.

Le général lui demanda tout d'abord s'il n'y avait plus de soldats autrichiens dans la ville; à quoi il lui fut répondu négativement. Mais ayant aperçu le soldat en uniforme des troupes de Salzbourg, Decaen n'abandonna pas si vite ce sujet de conversation et nous posa encore quelques questions relativement à ce costume, de sorte que notre commandant, pour bien lui faire voir qu’il n'en était rien, fut obligé de prendre la casquette du soldat et de lui mettre sous les yeux les armes de la cocarde, qui étaient bien celles du duché de Salzbourg, et non pas celles de l'Autriche.

Pendant ce temps, par derrière, sur la chaussée, les troupes françaises arrivèrent par colonnes compactes. Il y avait là des détachements de toutes les armes. En passant devant les corps de garde des ponts, chaque détachement nous rendit le salut militaire en présentant les armes à notre garde civique.

Pendant la conversation de notre commandant avec le général Decaen, le conseil municipal avait été informé de son arrivée, et le syndic de la ville, accompagné de tous les conseillers et de hauts fonctionnaires en grand costume de fête, était accouru.

Le syndic prononça une courte allocution bien sentie et pleine de déférence pour l'officier supérieur français, puis les conseillers municipaux, précédés du syndic et formant cortège au général, le conduisirent au pas et cérémonieusement à l'hôtel de ville, où l'attendait son aide de camp Plauzonne, arrivé depuis quelques heures.

Claude-Joseph Lecourbe (1760 - 1815)La colonne de cavalerie de Decaen n'a, en somme, fait qu'entrer et sortir de la ville, car elle s'est immédiatement mise à la poursuite des Autrichiens. Après son départ, nous attendions l'arrivée du général Lecourbe (6) et de son corps d'armée qui, après la bataille d'hier, s'était retiré à Teissendorf, c'est-à-dire à son point de départ avant l'affaire.

Or, après dix heures du matin, un officier français flanqué d'un trompette et suivi d'un détachement de cavalerie parut à l'une des portes conduisant vers la Bavière. La trompette de notre garde répondit aussitôt à la sonnerie du clairon français. Sur ce signe affirmatif, le détachement de cavalerie française, commandé par son officier, mit sabre au clair et passa le pont-levis et la porte ventre à terre et avec une violence extraordinaire; de ce train ces cavaliers traversèrent la ville en grands zigzags, fouillèrent toutes les rues pour voir s'il n'y était pas resté de soldats impériaux et ne s'arrêtèrent que lorsqu'ils furent convaincus du départ définitif de l'armée autrichienne.

A onze heures, le général Lecourbe arriva, accompagné de son état-major. Le régent du duché et le syndic de la ville le reçurent avec un cérémonial identique à la réception faite au général Decaen. Lecourbe fut conduit par eux jusqu'au palais d'hiver des princes-archevêques de Salzbourg; on le conduisit même jusque dans la salle d'audience, où l'attendait une députation des habitants de la ville.

Jean-Victor Moreau (1763 - 1813)C'est à ce moment qu'on annonça que Moreau, général en chef de l'armée du Rhin, allait établir son quartier général à Salzbourg. Lecourbe dut donc déménager à peine entré et aller s'installer au château de Mirabelle.

Lorsque Lecourbe apprit qu'il n'était pas le premier général français arrivé à Salzbourg après la victoire, il entra dans une fureur indescriptible. Quelques officiers de son corps nous ont raconté dans la suite que c'était parce qu'il avait promis à ses troupes de leur donner la permission de piller la ville, si elles réussissaient à entrer les armes à la main.

A peine les deux généraux étaient-ils installés que le gros de l'armée afflua dans la ville par grandes masses. Nous vîmes ainsi arriver du train, du génie, de l'artillerie, des femmes, des enfants, des artisans, des ateliers, des forges, etc.

L'infanterie arriva en marchant à pas de loup, l'arme en arrêt, prête à fondre sur l'ennemi à chaque instant.

C'est avec beaucoup de peine que l'on réussit à loger tout ce monde. Dès une heure, un capitaine vint demander au régent les clefs de la forteresse qui domine la ville (7). On les lui délivra, et aussitôt il y monta avec 70 hommes et en prit possession.

Vers quatre heures de l'après-midi arriva Moreau, général en chef de l'armée du Rhin.

Après avoir assisté la veille, à Lauffen, au passage de la Salza, il était retourné, pour y coucher, à Teissondorf. C'est donc de là qu'il arrivait.

Il fit son entrée dans une voiture attelée de quatre chevaux allant au grand trot, entouré de ces beaux guides qui lui servaient de gardes du corps et d'un brillant état-major. Les honneurs lui furent rendus comme aux généraux qui l'avaient précédé, et il fut conduit au palais du prince-archevêque, qu'on avait préparé à son intention.

Aussitôt installé, il procéda à la nomination du général Durut (8) aux fonctions de commandant de la place; un certain Arnaud (9) fut nommé commandant d'armes, c'est-à-dire chef de la police.

Jean-Joseph-Paul-Augustin Dessolle (1767 - 1828)A peine nommé, Arnaud vint informer la municipalité que le général en chef, désirant éviter tous les désordres et ayant appris que des abus avaient été commis par des commissaires de guerre français, priait les autorités de la ville, ainsi que celles de la régence du pays, de ne donner suite à aucune réquisition à moins qu'elle ne fut signée par lui et contresignée par le général Dessales (10), chef de l'état-major général.

Au courant de la journée, la municipalité se rendit auprès de Moreau et lui demanda de bien vouloir lui accorder des sauvegardes pour veiller à la sécurité de quelques établissements publics.

Celui-ci accéda de fort bonne grâce à ce désir, mais non sans ajouter cette phrase: « d'ailleurs, chaque homme de mon armée est une sauvegarde ». Les réquisitions ne tardèrent pas à pleuvoir sur la population; le terrible commissaire de guerre qui était chargé de les inventer s'appelait Maljean.

Nous apprîmes que Moreau allait repartir, l'armée française continuant sa marche vers Vienne. Pour son entretien pendant le voyage, son secrétaire, Fresnières, réquisitionna 60 livres de viande bœuf, un veau, un mouton, le lard d'un porc, 12 poules, 4 jambons, 6 livres de beurre frais, 30 livres de pâtisserie, 18 bouteilles de kirsch, 8 livres de café, 200 petits pains blancs, 40 bouteilles d'eau-de-vie, 20 bouteilles de vin du Rhin, 20 bouteilles d'eau de Volney, 10 bouteilles de vin blanc et autant de rouge, puis une voiture pour faire emmener toutes ces provisions.

Lecourbe, qui devait également partir, fît faire une réquisition à peu près analogue.

En ce qui concernait la troupe, les réquisitions ne se firent pas non plus attendre.

Mais ce que les officiers demandèrent avec plus d'instance encore que des vivres pour les troupes, c'étaient des cartes géographiques (11) du duché de Salzbourg et de l'Autriche en général. On en chercha un peu partout et on saccagea les archives et les bibliothèques afin d'en découvrir.

Aussi le chef de l'état-major général, M. Dessoles, à peine arrivé, se rendit-il à la bibliothèque de la cour pour y retirer les cartes et plans déposés. Comme il n'en trouva point, il entra dans une rage insensée; le personnel de la bibliothèque en prît peur et n'arriva à le calmer qu'en lui démontrant, preuves en main, que les Autrichiens avaient eu soin de tout emporter avec eux.

Lecourbe fit à son tour une autre tentative pour en obtenir; il opéra une descente chez notre plus important libraire. Comme la boutique était fermée il alla au domicile de ce commerçant, qui du reste était absent, et menaça le premier vendeur qui le reçut de faire fouiller le magasin et de sévir très sévèrement si la moindre carte y était découverte. Le commis affirma sous serment que les Autrichiens avaient emporté toutes les cartes, sans en laisser une seule.

Durut et Arnaud, responsables du maintien de l'ordre dans la ville, malgré tous leurs efforts et malgré leur bonne volonté, n'arrivèrent pas toujours à éviter des actes de pillage, surtout au commencement de l'occupation.

Dans la nuit du 15 au 16 décembre, 70,000 hommes avaient dû camper en plein champ faute de place; 12,000 seulement avaient pu être logés à l'intérieur de la ville. Pendant les premières heures après leur arrivée, la population avait regardé sans étonnement ni terreur ce flot d'hommes armés, et les badauds qui encombraient les rues, voyant qu'ils n'avaient pas été malmenés tout de suite par eux, ne s'attendaient plus à un traitement hostile. Mais lorsque la terrible nuit d'hiver arriva et que toutes les maisons furent remplies de généraux, de domestiques et de chevaux, les besoins de cette armée victorieuse, qui depuis quatre ou cinq jours se battait sans abri, sans tentes et presque sans nourriture, se firent impérieusement sentir, et c'est à Moreau et à Durut seuls que les Salzbourgeois doivent de ne pas avoir été pillés en masse.

Il y eut donc de graves désordres. Ainsi à M. Michel Haydn (12), frère du grand compositeur Joseph Haydn, qui habite Salzbourg, on vola toute son argenterie et toutes ses valeurs.

16 décembre. C'est cet après-midi que Moreau a arrêté le chiffre de la contribution de guerre dont seront frappées les populations de Salzbourg. Le décret relatif à cette affaire a été remis à la municipalité par le commissaire de guerre Mathieu Faviers.

De toute la journée, le passage des troupes n'a pas cessé. Elles prenaient toutes le chemin de l'intérieur de l'Autriche.

Dans les cantonnements, les hussards surtout ont été brusques et arrogants.

En dehors des troupes ordinaires formant la garnison de Salzbourg, cette ville, après le passage de l'armée, est devenue la résidence d'un nombre infini d'employés, d'attachés, de secrétaires, de commissaires, d'inspecteurs, de gardes magasins, de vivandiers, de valets de chambre, de domestiques, de palefreniers, de tailleurs, de selliers, de culottiers, de cordonniers, de cuisiniers, à la suite desquels s'est abattue sur nous une armée d'intrus et de parasites se composant de femmes et surtout de juifs alsaciens et autres spéculateurs de tout acabit.

17 décembre. - Moreau est parti ce matin avec toute sa suite, non sans avoir préalablement adressé à l'armée un ordre du jour très énergique au sujet des pillages et des désordres d'hier.

En même temps, le général Durut nous a donné avis qu'avec l'autorisation du général en chef il cédait le commandement de la ville au général Fririon (13), attendu qu'il comptait partir le lendemain pour rejoindre ses troupes en Autriche. Voici en quels termes il s'exprima:

 « Il est heureux, dit-il, d'avoir eu la satisfaction d'avoir pu, pendant ce court espace de temps, travailler en faveur de la ville. »

18 décembre. - Fririon adresse à la municipalité une lettre très polie dans laquelle il lui notifie sa nomination et son entrée en fonction, et où il promet de faire son possible pour ménager la ville. Il faut dire qu'il a tenu, dans la suite, sa promesse; car ayant, entre autres, remarqué que les bulletins de logis faits en allemand donnaient constamment lieu à des querelles entre Français et Salzbourgeois, les uns et les autres ne comprenant qu'une seule langue, il fit numéroter toutes les maisons et simplifia ainsi considérablement le service (14)

L'église des Franciscains (15) ayant été transformée en une vaste prison destinée à recevoir les prisonniers de guerre autrichiens, on y enfermait ces malheureux en les forçant à coucher sur les dalles, sans paille et en plein hiver. Lorsque Fririon eut appris ce fait, il réclama aussitôt de la paille à la municipalité. Celle-ci s'empressa, bien entendu, de s'exécuter, et dès ce jour les prisonniers purent même s'allumer de grands feux sous la nef. Ils brûlèrent ainsi, pour se chauffer, les chaises, les prie-dieu et les banquettes, et auraient certainement mis le feu si les patrouilles françaises n'avaient pas fait bonne garde; l'autre jour, j'ai compté jusqu'à vingt et un feux à l'intérieur de cette église.

Les exigences des soldats envers les habitants ayant pris, malgré l'ordre du jour de Moreau, des proportions exorbitantes, Fririon lança la proclamation que voici :

Le général de brigade commandant supérieur à Salzbourg, instruit que, malgré la défense faite et communiquée à la garnison par voie de l’ordre du jour, quelques militaires et employés élèvent encore des prétentions exagérées pour leur nourriture chez l'habitant prescrit les dispositions suivantes:

Il sera fourni à chaque soldat logé en ville chez l'habitant une ration de pain du poids de 2 livres, une demi-livre de viande, de la soupe, des légumes et une pinte de bière pour ses repas de la journée.

Le vin n'étant pas une production du pays, celui qui y a été importé sera spécialement conservé pour les blessés et les malades. Il est en conséquence défendu d'en faire une consommation journalière.

Les militaires et employés logés chez les habitants de la campagne devront se borner à la nourriture habituelle de ces mêmes habitants, qui n'ont pas les mêmes ressources et les mêmes facultés que ceux de la ville.

L'intention du général en chef est que les officiers supérieurs et commandants de détachement forcent à la modération ceux de leurs subordonnés qui voudraient s'en écarter, ces derniers ne devant prétendre qu'une place à la table de leur hôte sans exiger aucun extraordinaire».

La régence a beaucoup de difficultés pour payer la contribution de guerre. Une députation part pour rejoindre le général en chef Moreau afin de lui demander une réduction.

 

24 décembre. Le commissaire pour les lettres et les arts, le citoyen Neveu, demande au nom de la République française deux collections complètes de tous les minéraux du pays de Salzbourg, et finit sa lettre au directeur du cabinet d'histoire naturelle, le baron de Moll, par ce mots: « Les soins qu'il voudra bien prendre à cet égard (le baron) lui mériteront la reconnaissance des sociétés savantes auxquelles ces collections sont destinées et qui ont l'honneur de connaître et d'apprécier ses talents

25 décembre. - On a enterré aujourd'hui l’aide de camp commandant Mangin. La pierre tombale érigée par ses camarades porte cette épitaphe:

Érigé par l'amitié au nom de son épouse et de sa famille à Ferdinand-Jules Mangin adjudant commandant à l'armée française âgé de 31 ans blessé d'un boulet à l'affaire du 23 frimaire an IX de la République française une et indivisible mort de sa blessure le 3 nivôse suivant.

26 décembre. - L'adjudant Abancourt, directeur du bureau topographique de l'armée, a fait demander hier verbalement par un secrétaire toutes les cartes et plans faisant partie de nos collections. On lui a répondu qu'on allait en dresser une liste sur laquelle il n'aurait qu'à choisir. Malade et de mauvaise humeur, il s'est mis, à cette réponse, dans des fureurs indescriptibles et a accablé la régence de plaintes et de réclamations. On lui a donc fait porter dans sa chambre toutes les cartes que nous possédions ; cela l'a calmé.

27 décembre. On a appris qu'un armistice avait été signé le 25 dans la ville de Steyer (16) et que, en attendant la conclusion définitive de la paix, Moreau rentrerait chez nous et transporterait son quartier général à Salzbourg.

28 décembre. - La députation partie à la recherche de Moreau, afin de le prier de nous accorder une diminution sur le chiffre de la contribution de guerre, est revenue. Après de nombreux périls et des détours sans nombre à travers le pays, elle avait trouvé le général en chef à Steyer, et c'est là qu'elle lui fut présentée le jour même de la conclusion de l'armistice.

Moreau, paraît-il, a reçu ces Messieurs avec son amabilité habituelle et leur a fait délivrer un reçu de l'adresse qu'ils lui ont remise. Il a promis d'examiner très sérieusement notre réclamation et de réduire, le cas échéant, le chiffre de la contribution de guerre dans les proportions que les besoins de son armée le lui permettraient, mais il a ajouté qu'il ne pouvait rien faire avant de s'être renseigné de la façon la plus certaine sur les richesses, les ressources et la fortune du pays.

Le commissaire pour les lettres et les arts a déposé aujourd'hui au bureau de régence une liste d'ouvrages et de manuscrits que la Bibliothèque nationale de Paris ne possède pas et qui se trouvent dans les collections de Salzbourg. Il a déclaré réquisitionner ces objets au nom de la République française et par droit de victoire. Ces objets doivent lui être livrés sur-le-champ, emballés et prêts à être expédiés à Paris.

Le soir, Lecourbe et son état-major sont revenus et se sont installés dans le château de Mirabelle, résidence d'été des princes-archevêques. Les autorités locales ont appris que ce seront les troupes du général Gudin (17) qui iront occuper les cantonnements dans une grande partie de l'intérieur de notre pays.

Ce général ayant fait preuve, pendant son séjour parmi nous, d'une excessive bonté de cœur d'un tact parfait, la régence, par une lettre officielle, félicite le commandant en chef de l'armée du Rhin d'avoir pris cette disposition, dont les populations des campagnes n'auront qu'à se louer.

Le quartier général est revenu de Steyer. A six heures du soir est arrivé Moreau avec Dessoles, dans un carrosse attelé de deux chevaux et accompagné de quatre gardes du corps à cheval. Moreau avec tout l'état-major général s'est réinstallé dans le grand palais d'hiver du prince-archevêque (18).

Afin de se montrer à la population et de se rapprocher des habitants, en même temps aussi pour conserver les relations avec ses compagnons d'armes, Moreau, dès son retour de Steyer, recevra à dîner tous les jours vers cinq heures; ces dîners sont absolument publics. Tout le monde peut y venir, s'asseoir et manger, après s'être fait présenter au général en chef par quelqu'un de sa suite. En dehors des vrais dîneurs, il y a dans la salle, à laquelle tout le monde peut accéder, toujours une haie de gens de toute espèce qui ne viennent là que par curiosité. Le nombre de ces badauds, qui appartiennent à toutes les classes de la population indigène et qu'amène le seul désir de voir de près le chef de ces Français dont on parle tant, augmente tous les jours et finit par encombrer tellement la salle à manger, si vaste qu'elle soit, que Moreau est forcé de restreindre aussitôt quelque peu cette hospitalité par trop large, d'autant plus que, parmi les dîneurs, il s'en trouve aussi toujours qui en abusent.

30 décembre. - Neveu, commissaire pour les lettres et les arts, se plaint amèrement des lenteurs que le directeur des collections scientifiques, galeries et bibliothèques de Salzbourg apporte à lui remettre les livres et manuscrits qu'il a réquisitionnés l'autre jour. Il l'accuse d'éprouver des regrets de s'en séparer, et il termine sa lettre par cette phrase typique et qui dépeint bien le savant honnête agissant à contre-cœur

« Et si je devais attribuer à ces regrets la lenteur qu'il met à s'acquitter de sa mission, je trouverais injuste de l'en blâmer, et je conviens que son zèle est estimable, quoique ce zèle doive me nuire ».

31 décembre. - Le soir est arrivé de Vienne un courrier du cabinet impérial; malgré l'heure avancée, Moreau l'a reçu et a conféré fort longtemps avec lui, après quoi le courrier est reparti la nuit même à destination de Lunéville.

Le bruit court dans la ville que la conclusion de la paix est proche, et que c'est à Lunéville qu'elle sera scellée.

3 janvier. Le commandant d'armes Arnaud, en récompense de sa bonne conduite envers la population urbaine, a reçu de la municipalité un cadeau consistant en un magnifique cheval de selle. Il a répondu par une lettre de remerciements rédigée en termes fort polis.

4 janvier. Le commandant en chef de l'artillerie, le général Éblé (19), logé chez le premier prêtre de la cathédrale, le comte Daun, dans une lettre aussi amère que spirituelle adressée à nos autorités, se plaint de la mauvaise qualité de la nourriture qu'on lui sert chez le prélat, et dit entre autres ceci: 

« Je ne vous demande pas, Messieurs, des mets recherchés; mon grade correspond à celui d'archevêque et je me contenterais d'être traité comme un prélat, quoique je n'aie fait vœu ni de pauvreté ni d'humilité… »

6 janvier. Entre dix et onze heures du matin le canon tonne, les officiers et généraux paraissent en grande tenue et l'âme en fête, la troupe se promène endimanchée et inonde les endroits publics. On tire sur les bastions une salve de trente-six coups de canon qui met la population dans la consternation. Voici l'explication de tout ce bruit inaccoutumé. Une proclamation affichée en français et en allemand nous la donne;

 «Armée du Rhin, etc., etc.

« Le général en chef s'empresse d'annoncer à l'armée du Rhin que l'armée d'Italie a passé le Mincio le 4 et le 5 à minuit et a complètement battu l'armée autrichienne, à laquelle elle a enlevé trente-deux pièces de canon, cinq drapeaux, huit mille prisonniers et tués et blessé un pareil nombre d'hommes.

« Ainsi les armées de la République se couvrent partout d'une gloire égale, se répondent par des victoires et forcent l'ennemi à ne plus repousser la paix. Le général en chef ordonne qu'il soit fait, dans toutes les divisions, des salves d'artillerie, et que cet ordre du jour soit imprimé en français et en allemand.

« Signé: MOREAU. »

 

9 janvier. Une lettre de M. Neveu, commissaire pour les lettres et les arts, en date du 8 janvier, est arrivée à la régence. Il nous remercie de lui avoir fait livrer les manuscrits et livres qu'il avait demandés, et annonce qu'il va partir, en nous faisant observer que personne, à l'armée, n'a le droit de faire des réquisitions de ce genre au nom de la République.

Cette observation n'a pas servi à grand-chose dans la suite, car voici ce qui s'est passé quelques semaines après:

 

Le général Lecourbe, paraît-il, est un bibliophile enragé. Depuis qu'il est à Salzbourg, il n’a fait que lire des ouvrages sur ce pays, en partie pour le connaître, en partie pour savoir s'il ne se trouvait pas cachés dans quelques couvents de vieux parchemins, des incunables ou d'autres vieux bouquins.

Un jour il releva dans la Géographie de Hubner (tome II, p. 663) un renseignement d'après lequel la bibliothèque du couvent de Saint-Pierre, à Salzbourg, possédait six bibles imprimées en 1462, dont une de Mayence et deux autres éditées à Augsbourg.

Par une lettre autographe adressée au supérieur du couvent, il réclama aussitôt une de ces bibles, celle de Mayence, et quelques incunables de moindre importance. Comme il ne recevait pas de réponse, immédiatement il envoyait au couvent M. Bottin, son secrétaire. Nous tenions trop à nous conserver les bonnes grâces du puissant général pour ne pas satisfaire avec tout l'empressement possible à ses goûts de bibliophile, mais le bibliothécaire du couvent lui assura qu'il n'existait pas de bibles de cette date, ni au couvent ni ailleurs, attendu qu'il n'en avait pas encore été imprimé à cette époque. Les catalogues de vieux livres que nous avons ensuite consultés à ce sujet nous ont confirmé ces dires. Mais pour être agréable au général on lui envoya un fonds de vieux livres fort précieux dont voici la liste:

Pomponius Mela, De situ orbis. Venetiis, 1478;

Horatii Flacci carmina. Ibid.,1.483;

AEneœ Silvii Epistolœ, sans date ni lieu d'impression;

Kalendarium Magistri Joannis de MontereqisAug. Vind.) 1489;

Abumasoles flores Astrologiœ. ibid., 1489;

Porphyrii Isagoge, sans lieu ni date.

Prœdicamenta Aristotelis, sans lieu ni date.

Jesuitarum causa in Sinis, impr. sur papier chinois, à Pékin, 1717.

 

Manuscrits:

 

Liber Georgii Unsterburger Archiepiscopo Leonardo sacra tus (sur parchemin);

Panegyricus Johannis episcopi ad Guarinum Veronensem (parchemin).

Lorsqu'on fit observer à Lecourbe que le commissaire Neveu, avant de partir, avait déclaré que personne, sauf lui, n'avait le droit de faire de pareilles réquisitions au nom de la République, il répondit tout simplement que ce n'était nullement pour la République qu'il la faisait, mais pour lui-même et afin d'avoir un souvenir personnel.

Ce bibliophile enragé fit ensuite, le 19 mars, une visite au couvent des Capucins de Salzbourg (20). Les bons moines craignaient déjà qu'il ne s'agît encore là d'une terrible réquisition de livres anciens. Naturellement, Lecourbe demanda à voir la bibliothèque. Il se fit tout expliquer, engagea, avec les pères, des conversations interminables de bibliophile, se montra connaisseur délicat, mais, au lieu de leur demander quelque chose, il leur fit cadeau d'un merveilleux manuscrit, un missel écrit sur parchemin (dont on peut trouver la description (en allemand) dans Vierthalers Literatur Zeitung, année 1800,75° pièce, page 176). (A la bibliothèque de Salzbourg.)

10 janvier. Les grenadiers qui sont chargés du service d'ordre dans la ville ont été transférés des logements qu'ils occupaient chez l'habitant, dans les casernes. Ils sont fort mécontents de cette mesure et refusent d'obéir. Ils sont d'ailleurs encouragés dans leur obstination par le général Lecourbe lui-même, qui nous fait dire que si la ville ne fournissait pas à ses troupes le nombre nécessaire de matelas, d'édredons et de couvertures, il leur ferait réintégrer leurs cantonnements précédents.

La ville, qui a déjà monté plusieurs hôpitaux dont les besoins de ce genre se sont élevés jusqu'à cinq cents lits, ne pouvait s'exécuter sur-le-champ; sur quoi les grenadiers de Lecourbe, par ordre de leur général, ont en effet quitté la caserne et sont revenus loger chez les habitants en racontant à ceux-ci que les casernes n'étaient point suffisamment meublées.

La municipalité s'empressa de mettre tout en œuvre pour satisfaire aux exigences de ces messieurs et faire meubler la caserne à leur goût; après quoi ils consentirent à la réintégrer, mais non sans quelque hésitation.

16 janvier. - A onze heures du soir est arrivé, venant de Lunéville, le courrier de cabinet qui avait passé l'autre jour; il a remis une dépêche à Moreau, puis est reparti pour Vienne.

23 janvier. - Cet après-midi ont eu lieu les brillantes obsèques du Dr Joseph-Adam Lorenz (21), médecin en chef de l'armée, décédé dans notre ville hier, après avoir reçu, sur sa demande, les saints sacrements de l'Église. Il avait soixante-six ans.

Un ordre du jour affiché sur les murs portait ceci: 

« Le général en chef annonce avec peine à l'armée la perte qu'elle vient de faire dans la personne du citoyen Lorenz, médecin en chef, mort le 2 de ce mois à Salzbourg. Il avait été employé comme médecin aux armées dans les guerres de Hanovre, ensuite dans les hôpitaux militaires et comme médecin en chef depuis le commencement de cette guerre. Le citoyen Lorenz, recommandable d'ailleurs dans la vie domestique par toutes les vertus privées, fut remarquable dans sa profession par des connaissances profondes qu'une expérience de quarante ans rendait précieuse à la société. A un grand mérite il joignit jusqu'au dernier moment ce zèle et cette humanité attentive qui font seuls de l'art de guérir une mission de bienfaisance.

« Signé: Lahorie (22). »

On l'a inhumé au cimetière Saint-Sébastien, en rendant à son corps les honneurs militaires et civils. Sur sa tombe, le chirurgien en chef de l'armée, le citoyen Percy, a prononcé un discours dont maints troupiers dans l'assistance ont été touchés jusqu'aux larmes (23). Lorenz jouissait, d'ailleurs, de l'estime de toute l'armée, il était surtout aimé de son digne général en chef. L'armée lui a érigé un monument funéraire dont l'inscription est en latin. 

Le lendemain des funérailles, le commandant supérieur de Salzbourg, le général Nicolas Fririon, gendre du docteur Lorenz, est parti pour Strasbourg afin de régler la succession de son beau-père, qui était domicilié dans cette ville. Il a adressé aux autorités indigènes une lettre dans laquelle il annonce que l'adjudant commandant Bertrand (24), un homme digne de toute confiance, - c'est ainsi qu'il s'exprime, - sera nommé à sa place et « fera les mêmes efforts que lui-même pour maintenir l'ordre ».

Depuis longtemps on avait parlé au général en chef des œuvres musicales de l'un de nos meilleurs compositeurs de musique, M. Joseph Haydn. Moreau était devenu fort curieux de les connaître et désirait en entendre une composition. Donc, sur la demande de tous les officiers supérieurs français on organisa dans la grande salle de l'Université un concert où fut exécuté pour la première fois le grand oratorio du citoyen Haydn, intitulé la Création. Il y a eu plus de cent exécutants.

Les officiers français ont paru au grand complet. L'un d'entre eux, pour rendre la merveilleuse composition intelligible à ceux de ses compatriotes qui ignoraient l'allemand, en avait traduit les paroles en français et fait faire une petite brochure intitulée: la Création, oratorio mis en musique par J. Haydn, traduit de l'allemand et mis en vers par un officier de l'armée du Rhin (Salzbourg, an IX, 21 pages in-8a) qu'on a distribuée dans la salle à tous les militaires.

 

28 janvier. - Un certain nombre d'ennemis du général Lecourbe ou de mauvais plaisants avaient fait courir le bruit, depuis quelque temps, que ce général allait faire piller la ville par les troupes placées sous ses ordres. Les calomniateurs ont été arrêtés et sévèrement punis par la police, qui a fait insérer dans les journaux un avis invitant la population à se méfier de pareils bruits.

Vers midi est arrivé de Vienne le courrier de cabinet chargé du transport des pièces pour Lunéville, où ont été engagés les pourparlers en vue de la conclusion de la paix définitive. Il était porteur aussi de dépêches pour Moreau, qu'il lui a remises, et après avoir passé la nuit à Salzbourg, il est reparti à destination de Lunéville, le ledemain.

29 janvier. - Arnaud, commandant d'armes, est venu voir le rédacteur en chef de notre journal officiel et l'a prié d'insérer dans le numéro de demain la lettre ou plutôt les lettres que voici et qui ont en effet paru: .

« Armée du Rhin. Quartier général de Passau le 2 pluviôse an IX de la République française une et indivisible.

« Le chef d'escadron et aide de camp du général de brigade Daultanne (25), chef de l'état-major de l'aile gauche, au commandant de la place de Salzbourg:

 « Le général Grenier (26) me charge, citoyen commandant, de vous transmettre la note que voici, en vous priant de la faire traduire en allemand et de la faire insérer dans le Journal de Salzbourg.

« Que cet exemple invite les hommes de lettres sans foi ni conviction à respecter la vérité d'abord, et surtout à ne pas se permettre d'offenser une nation qui, quelquefois du moins, sait se servir des moyens de vengeance dont elle dispose».

Voici la note annexée à la lettre:

« Je soussigné, journaliste français, rédacteur en chef du journal le Mercure universel, paraissant à Ratisbonne, déclare avoir reçu cinquante coups de bâtons à titre de punition bien méritée pour avoir calomnié les Français dans les numéros de mon journal parus du 1er au 17 décembre 1800.

Signé : Paoli

« Pour copie conforme:

« Le chef d'escadron et adjudant, etc.

« Signé : Lefèvre. »

Moreau était aussi passionné pour la chasse que Lecourbe l'était pour les vieux parchemins. Par une lettre en date du 2 février, signée Bertrand, commandant supérieur, il nous est dit ceci: 

« Le général en chef désirant, Messieurs, chasser demain, je vous invite à faire commander vingt paysans qui seront rendus à neuf heures du matin à Gretich, où nous les prendrons en passant. »

Dans les écuries du prince-archevêque, Moreau fait entretenir une meute de vingt chiens qu'il a ramenés de Munich. C'est d'ailleurs là que la passion de la chasse l'a pris.

Défense a été faite de sa part à tous les officiers et soldats français de chasser sans être munis d'un permis signé par lui, et les sentinelles, aux portes de la ville, ont été chargées d'arrêter quiconque passerait porteur d'un fusil de chasse.

7 février. A midi, Moreau et quelques généraux sont partis pour Hallein (27) afin de visiter les fameuses mines de sel qui se trouvent à proximité de cet endroit et qui sont en exploitation depuis onze cents ans. Ces messieurs ne sont rentrés que pour dîner.

8 février. Vers dix heures du matin, Moreau est parti pour Berchtesgaden, afin de rendre visite au prince Joseph Conrad, qui, pendant le séjour des Français, n'a pas quitté son pays, et que les Français, soit par considération pour lui, soit par pitié pour ses sujets, tous encore de malheureux serfs, ont toujours traité avec des égards exceptionnels en épargnant aux populations de ce petit pays tous les maux de la guerre et toutes les contributions.

Moreau est rentré pour dîner. Quelques jours après, le prince Joseph Conrad de Berchtesgaden est venu lui rendre sa visite et a dîné avec lui au château.

13 février. Le courrier du cabinet impérial que nous avons vu passer plusieurs fois est revenu aujourd'hui à quatre heures de l'après-midi, venant de Lunéville, et a assuré à Moreau que la paix était signée. Elle aurait été conclue à Lunéville le 9. Il déclare avoir dans sa poche le traité avec toutes les clauses additionnelles. Il est parti aussitôt pour Vienne; notons que ce courrier avait parfaitement raison, car le traité de la paix de Lunéville a été publié à Vienne dans le Journal officiel en date du 16, et nous est parvenu depuis.

16 février, veille du mardi gras. C'est aujourd'hui qu'a eu lieu le grand bal offert à la population et aux officiers de la garnison par Moreau, l'état-major général et l'état-major du général Lecourbe. On a, pour cette circonstance, transformé en salle de bal la grande salle des fêtes du palais du prince-archevêque, qu'habite Moreau. Avaient été invités : tous les officiers supérieurs de l'armée française, tous les officiers subalternes en garnison à Salzbourg, et les notables habitants de la ville avec leurs familles. Les invitations étaient coquettement imprimées en français.

Pendant le bal, on a admiré le bon ordre, la gaîté franche et l'hospitalité charmante des amphytrions.

C'est pour cela que nous avons eu peine à nous expliquer pourquoi Moreau a choisi justement le lendemain de cette fête pour nous faire remettre par son secrétaire, M. de Fresnières, la réponse négative à notre demande de diminution du chiffre de la contribution de guerre. Cette réponse était même rédigée en termes assez énergiques; c'était probablement parce qu'il allait partir pour Strasbourg à la rencontre de la jeune Mme Moreau et qu'il voulait qu'elle nous fût remise pendant sa présence à Salzbourg.

En même temps, M. de Fresnières nous a demandé la note des frais du bal. Nos autorités municipales, hésitant quelque peu à répondre à cette demande, déclarèrent que la ville serait trop heureuse de se charger des frais d'une fête qui avait si puissamment contribué à rapprocher les Français de la population et à établir un sympathique accord entre eux et nous; mais de Fresnières insista en disant qu'il avait l'ordre formel de payer tous les frais et qu'il lui fallait la note absolument et sans retard.

17 février. A sept heures du matin, Moreau part pour Strasbourg dans une voiture à quatre chevaux. Il fera le voyage par Munich et Augsbourg. Le soir, la ville, en échange de la fête de l'autre jour, offre aux officiers un grand bal, où il y a foule et où l'on est très gai. Les convenances les plus strictes ont été observées pendant toute la soirée.

Le général Lahorie a été nommé général en chef par intérim. Jusqu'à son départ, Moreau n'avait reçu de la part de son gouvernement aucun avis officiel relatif au traité de paix de Lunéville. Ce n'est qu'en route pour Strasbourg qu'il a trouvé, paraît-il, le courrier que lui avait envoyé le ministre de la guerre Berthier. Il a transmis aussitôt toutes les pièces au général Lahorie.

Le lendemain, nous avons appris, par des officiers français qui ont eu occasion de voir le texte du traité de Lunéville, que notre petit pays avait cessé d'appartenir à un archevêque et qu'il était échu, en vertu de ce traité, au grand-duc de Toscane, comme indemnité pleine et entière des États toscans dont il avait été dépossédé. (28)

Des Français qui avaient été en Italie nous ont raconté également que notre nouveau prince était un homme de bien dans toute l'acception du mot.

Moreau ayant répondu négativement à notre demande au sujet de la diminution de la contribution de guerre, la régence a fait faire des remontrances à Lahorie, en lui démontrant, pièces à l'appui, que les Français sont dans l'erreur la plus complète en ce qui concerne les véritables ressources de notre pays.

Plusieurs jours se passent ainsi en discussions, très désagréables d'ailleurs.

Depuis l'armistice de Steyer, beaucoup de militaires français, se trouvant désœuvrés, se sont adonnés au jeu. Lahorie, en date du 22, a édicté des peines sévères contre les joueurs.

Une lettre de Lahorie est parvenue à la régence accordant enfin une diminution de 1,400,000 livres sur la contribution de guerre imposée au Salzbourg après la victoire du 14 décembre; mais elle renferme en échange des conditions bien dures et même des menaces pour le cas où nous tarderions à payer ce qui nous incombe sur le reste.

 

28 février. Le chirurgien en chef de l'armée, le docteur Percy (29), ayant mérité la reconnaissance des autorités indigènes en sauvegardant leurs intérêts dans l'organisation des hôpitaux, la régence lui avait offert, à titre de remerciement un cadeau consistant en une bague et un magnifique carrosse. C'est notre professeur en chirurgie, M. Hartenkeil (30), qui avait été chargé de lui remettre ces objets. Dans une lettre de remerciement que Percy adresse aujourd’hui à Hartenkeil, il dit entre autres:

« Je vous prie, Monsieur et cher confrère, de vouloir bien être l'interprète de mes sentiments de reconnaissance auprès de Messieurs de la régence pour la bague en brillants et la voiture qu'ils ont eu la bonté de me donner en témoignage de satisfaction du dévouement que je leur ai montré. » 

2 mars. On découvre une supercherie bien amusante:

Notre prince-archevêque possède dans ses remises une magnifique voiture de voyage, équipée et pourvue de tout ce qui peut rendre un long parcours supportable et même agréable. Cette voiture de luxe a coûté 500 ducats. Il y a quelques jours, il nous est parvenu une lettre du commandant supérieur Bertrand réclamant cette voiture pour une mission extraordinaire dont serait chargé l'adjudant commandant Lemarois. Donc, hier, un individu se disant le cocher du commandant supérieur Bertrand s'est présenté dans les remises de la cour pour prendre livraison du véhicule, qu'il a en effet emmené. Aujourd'hui, Lemarois voulant partir, une lettre de Bertrand réclame de nouveau la voiture. On va aux renseignements, et l'on apprend que ni Bertrand ni l'adjudant Lemarois ne l'ont reçue; l'individu qui l'a emmenée ne venait pas de leur part.

Une enquête a été immédiatement ouverte et nous avons appris que c'était un simple économe des hôpitaux, du nom de Chanterelle, qui, ayant résolu de faire sa rentrée triomphale en France dans cette magnifique voiture, s'était servi du nom du commandant Bertrand pour se l'approprier, sans savoir cependant que sa fausse demande coïncidait avec celle des autorités militaires.

7 mars. La contribution de guerre a été payée aujourd'hui. Déduction faite des 1,400,000 livres, montant de la diminution; elle s'élevait encore à 4,000,000 de livres.

On a appris que les troupes françaises allaient rentrer en France. Lahorie a fait encore quelques concessions sur les réquisitions ordonnées.

11 mars. Lecourbe a fait réquisitionner par son secrétaire, M. Bottin, 8 aunes de toile d'emballage, 4 aunes de toile cirée, 2 livres de clous et deux pelotes de ficelle. C'est pour emballer les bouquins et les manuscrits qu'il avait acquis de la façon que l'on sait.

A neuf heures du soir sont arrivés Moreau et sa jeune femme, venant de Strasbourg, par Munich. Les jeunes époux étaient accompagnés d'un innombrable cortège de voitures, de femmes de chambre, de domestiques, de cavaliers et de bagages.

Au palais de la résidence, une réception brillante leur fut faite: la musique de l'état-major général les reçut à la porte, et, au son des instruments exécutant des morceaux français, entouré de tout le corps d'officiers de la suite, Moreau s'est rendu avec sa jeune femme dans la chambre qui leur avait été préparée, et à la porte de laquelle le cortège les quitta.

19 mars. Le général Porson (31), commandant de toutes les garnisons dans le pays de Salzbourg, a quitté son poste et notifié son départ à la régence par une lettre charmante dont voici le principal passage: 

« Je n'ai qu'un regret, dit-il, en partant de Salzbourg, c'est de n'avoir pu prévenir tous les abus qu'entraînent à leur suite la guerre et les nombreux corps de troupes. »

Le soir, un trompette des dragons de Lecourbe et un gendarme se sont battus en duel non loin de la ville. Le trompette est resté mort sur le terrain. Il est à noter que parmi les militaires français on trouve cela très naturel et l'on ne fait aucun cas des duels.

26 mars. - Moreau reçut hier un courrier de Paris et aussitôt il a donné ordre de partir pour la France. Il est en effet parti ce matin entre trois et quatre heures, non sans laisser une gratification de 200 écus aux domestiques indigènes du château.

Le général Decaen a été nommé général en chef de l'armée du Rhin.

Le général Lahorie part également. Bertrand a de même notifié son départ avec une partie du quartier général et demande la permission de se servir de nos voitures jusqu'à Augsbourg, d'où il les renverra (il les a en effet renvoyées).

Depuis quelques jours l'armée française venant de l'intérieur passe par corps d'armée.

Le commandant Arnaud nous quitte également, au grand regret de la régence et des populations. Aussi la municipalité et la régence lui envoient de riches cadeaux pour lui, ses aides de camp et ses secrétaires, en témoignage de sa sollicitude pour le maintien de l'ordre dans la ville.

Le 5 avril, entre une et deux heures de l'après-midi, Decaen et le reste du quartier général nous quittent en nous recommandant quatre soldats français et le capitaine Larcher, dont les blessures sont trop graves pour permettre leur transport.

Enfin une lettre du commandant en chef adressée à la régence porte ceci: 

« Tout Français qui sera resté après le 7 avril dans votre pays doit être considéré par vous comme maraudeur et arrêté comme tel pour être reconduit sous escorte aux colonnes françaises. »


Considérations historiques sur le séjour des Français à Salzbourg, par une personne qui les a vus de près
(probablement par le philosophe salzbourgeois Thaddée Zauner (32)) (extrait)


 

L'occupation était donc finie, il ne nous en restait que les souvenirs.

Moreau, d'abord, en a laissé d'excellents, de même que son état-major, ses aides de camp et ses secrétaires. C'étaient des gens bien élevés, ayant beaucoup d'éducation, polis et humains. Leur choix fait honneur à Moreau autant qu'à Dessoles, chef de l'état-major général . Nous avons même trouvé dans cette suite nombreuse et distinguée des personnes vraiment érudites. Les secrétaires Fresnières et Weisz, puis le contrôleur général Maleszewsky, se distinguaient par une puissance de la pensée et un amour de s'instruire hors ligne.

Weisz n'était pas Français de naissance. Il était de son état professeur de langue allemande au lycée républicain de Paris et accompagnait Moreau à titre d'interprète confidentiel. Les traductions allemandes des proclamations et ordres du jour émanant du quartier général étaient généralement rédigées par lui. Dans l'intention d'en appliquer les principes à l'instruction publique en France, il profitait de son séjour à Salzbourg pour s'assimiler les derniers progrès de la pédagogie et de la philosophie allemandes. 

Sébastien Bottin, n'était pas attaché à la personne de Moreau, mais occupait les fonctions de secrétaire général auprès du général Lecourbe; néanmoins il mérite également ici une mention particulière. Avant la campagne, il avait été secrétaire général à la préfecture du département du Bas-Rhin. On nous a raconté qu'avant la Révolution il avait été moine franciscain. Il adorait la statistique, science dans laquelle il s'était déjà fort distingué. Il est l'auteur d'ailleurs de l'ouvrage intitulé : Annuaire politique et économique du département du Bas-Rhin, par le citoyen Bottin, paru à Strasbourg en l'an IX (33).

 

M. Neveu, commissaire pour les lettres et les arts, était un érudit de talent et ne s'acquittait qu'à contre-cœur de sa mission difficile et désagréable, qui consistait à nous dépouiller de nos collections artistiques et scientifiques. Il apportait d'ailleurs à ce triste emploi beaucoup de discrétion et une modestie infinie. Il possédait, à son arrivée à Salzbourg, une connaissance parfaite de toutes les curiosités historiques et naturelles de notre pays. C'est sur l'intervention de cet homme auprès des directeurs de l'Ecole des mines de Paris que le gouvernement français avait donné dans la suite ordre à Moreau de protéger et de laisser intacte les riches collections du cabinet d'histoire naturelle du baron de Moll, qui n'a eu à livrer à la France que ses doubles.

Quant à Lecourbe et au commissaire ordonnateur Mathieu Faviers, ils aimaient les excursions scientifiques et en organisaient fort souvent dans les mines de Salzbourg, d'où ils rapportaient pour eux-mêmes de riches collections de minéraux.

Les exploitations et le commerce de sel sont très importants dans le Salzbourg; disons qu'ils n'avaient jamais été aussi florissants que pendant l'invasion. Les Français s'y intéressaient d'ailleurs beaucoup. De Salzbourg aux mines de sel de Hallein, c'étaient à chaque instant des excursions et des promenades savantes. Les Français laissaient généralement de riches pourboires aux mineurs qui les guidaient dans les galeries, et longtemps ceux-ci n'ont pu oublier les bons moments que leur procura l'occupation française.

Au commencement du séjour des Français, la vie sociale chez nous était comme suspendue.

Les hommes vaquaient à leurs affaires comme de coutume, mais les femmes et les demoiselles restaient chez elles. Tous les efforts faits dans les premières semaines par les Français pour réunir une nombreuse société étaient restés infructueux.

Le théâtre même n'était fréquenté que par les Français, et il était fort rare d'y compter jusqu'à trois femmes. Une seule fois, l'aimable Fririon réussit à rassembler une grande société, mais les invités salzbourgeois restèrent froids et manquèrent d'animation et d'empressement.

Cependant, depuis le bal donné par la municipalité en revanche de la grande fête offerte par Moreau, nos belles, il est vrai, se tenaient moins éloignées des officiers, et peu à peu des relations sc nouèrent. Plus tard les relations devinrent assez intimes pour inspirer aux officiers de l'état-major du corps de Lecourbe l'idée de jouer la comédie au Grand Théâtre pour amuser ces dames. Ils jouaient des pièces françaises et, à ces représentations, la salle, surtout les loges, étaient  toujours littéralement bondées de femmes, d'autant plus que quelques-uns de ces messieurs jouaient la comédie avec autant de talent que de succès.

Le départ de Moreau pour Strasbourg interrompit malheureusement ce commencement de rapprochement.

Lahorie, son successeur par intérim, était un homme brusque, méchant, dur, sans souplesse ni cœur; la lettre qu'il écrivit à la régence pour presser le versement de la contribution de guerre en est la preuve; en voici quelques passages:

"Au reste, dit-il dans cette lettre, datée du 5 ventôse, je ne chercherai point à entrer dans aucuns détails sur les ressources que vous pouvez avoir; il me suffit de ne point douter qu'elles existent et de l'intérêt que vous avez à les employer pour sauver votre pays. Cela se réduit en effet à décider si, au lieu d'un sacrifice de 2,800,000 francs, dont vous avez déjà une grande partie les fonds, vous préférez exposer votre pays à une exécution militaire générale sur tous les habitants, et qui sera exercée par une armée à laquelle on aura dit de prendre sa solde dans le pays, puisqu'il s'est refusé à la lui donner lui-même."

En prenant connaissance de cette lettre, Lecourbe lui-même, nous a-t-on dit, aurait déclaré qu'il servirait avec tout son corps d'armée de sauvegarde au pays si jamais Lahorie faisait mine de mettre à exécution ces menaces. Aussi Lahorie, quand on lui rapporta les paroles de Lecourbe, s'empressa-t-il de déclarer que la régence s'était méprise sur le véritable sens de sa lettre.

Quelle différence entre ce caractère et celui de Moreau ! En voici un exemple: le 9e hussards, en rentrant en France, après la conclusion de la paix, avait pillé au passage quelques localités, et son colonel, en proférant des menaces, avait extorqué à un fonctionnaire indigène un certificat de bonne conduite à son égard. Moreau apprit le fait et en fut indigné. Il fit ouvrir une enquête qui aboutit en effet à confirmer le fait. Aussitôt, il ordonna de retenir 30,000 frs. sur la solde due aux officiers de ce régiment et fit publier un ordre du jour portant que tout officier serait dès lors rendu personnellement responsable de tout désordre qui se produirait pendant le retour de l'armée à travers l'Allemagne. Moreau et tous ses officiers sont rentrés en France les mains nettes, comme ils étaient venus.

Quant à Lecourbe, son caractère était diamétralement opposé à celui de Moreau, bien que l'on ne pût lui refuser ni de grands talents militaires ni du courage.

C'était un rusé adorant les bibelots et les objets d'art; mais là se bornaient ses réquisitions et sa rapacité ne s'exerça sur aucun autre terrain.

 

Il avait également une autre opinion que Moreau des droits du vainqueur en pays ennemi. Moreau lui permit d'établir son quartier général comme lui à Salzbourg, c'est-à-dire dans la même ville que lui ; ce fut à dessein, car loin de lui, dans une garnison isolée, Lecourbe aurait peut-être toléré des horreurs, mais ici, à côté du général en chef, il n'eût osé le faire.

Afin d'éviter toute confusion, Moreau confia à Lecourbe toute la partie de la ville située sur la rive droite de la Salza; c'est d'ailleurs là qu'il résidait tandis que Moreau habitait la rive gauche, sur laquelle il exerçait seul le pouvoir immédiat. Disons aussi que le commandant de place qu'il avait nommé, le général Porson, maintenait le bon ordre, et l'on n'avait pas lieu de s'en plaindre. 

La garde civique partout sympathisa avec la garnison française, et il était touchant de voir avec quel entrain et avec quel accord bourgeois de Salzbourg et soldats français montaient ensemble la garde d'honneur devant le palais du général en chef.

Sollicitude du général Moreau pour l'avancement de la science médico-chirurgicale, constatée par un témoin oculaire.

Lorsque les Français établirent leur quartier général à Salzbourg, les divers services du commandement, de l'intendance et de l'état-major de l'armée du Rhin accaparèrent tellement, par l'impression de leurs bulletins, formulaires, proclamations, ordres du jour, etc., les deux imprimeries qui existaient dans notre ville, qu'il fallut renoncer à l'exécution des commandes courantes faites par les habitants. Le professeur J.-J. Hartenkeil., qui publiait à cette époque le répertoire complet de son journal la Gazette médico-cltirurgicale, voyant cette publication ainsi compromise, c'est-à-dire arrêtée, prit le parti d'aller trouver le général en chef Moreau afin de le prier de vouloir bien intervenir pour que son journal pût continuer de paraître.

Moreau le reçut fort bien et lui donna tout de suite une lettre ordonnant à son imprimeur de n'interrompre sous aucun prétexte l'impression de l'ouvrage du savant professeur, dut-il s'ensuivre des retards dans celle des pièces destinées à l'armée.

 

Respect des Français pour les tribunaux du pays ennemi.

Constatation faite par un habitant.

 

Pendant le séjour des Français dans la ville de Salzbourg, il y eut plusieurs procès intentés à des habitants par des membres de l'armée française qui se crurent, pour une cause ou une autre, lésés dans leurs intérêts, mais toujours, dans ces questions litigieuses, les Français se sont adressés aux tribunaux du pays, et jamais ils n'ont usé du droit du plus fort en se faisant justice euxmêmes ou en s'adressant à leurs tribunaux militaires.

En voici quelques exemples: un jour, deux Français furent déboutés de leur demande. Ils s'en tinrent tout simplement là et ne cherchèrent nullement à poursuivre leur cause ailleurs ou par d'autres moyens.

Dans la plupart des cas, d'ailleurs, les juges trouvaient moyen d'arranger l'affaire à l'amiable.

Un procès cependant a été typique à ce sujet et a fait beaucoup de sensation; ce fut à propos de la dénonciation faite par le sieur Sotin, commissaire général des vivres, qui accusait deux notables habitants de notre ville d'être complices d'un vol de farine commis par des boulangers de l'intendance française.

Il demanda leur arrestation et une punition sévère. Nos magistrats firent une enquête par laquelle fut établie la parfaite innocence des deux personnages désignés par Sotin. Le syndic de la ville, le sieur Jérôme Kleinmayer, transmit le dossier à Sotin en le priant de vouloir bien, vu ce résultat inattendu, s'expliquer sur la suite qu'il entendait donner à l'affaire.

Le commissaire général des vivres répondit, par une lettre des plus courtoises en date du 18 nivôse an IX, dont j'extrais ce passage:   

 

" J'ai voulu, dit-il, vous prouver, Monsieur, en vous les dénonçant (les deux citoyens de notre ville) directement, que je regarde comme le plus grand attentat contre une nation même vaincue d'enlever les citoyens à leurs juges naturels, et que les terribles lois de la guerre ne le permettent qu'en cas de déni de justice de la part des magistrats. "

 

Le séjour des Français et leur conduite dans le faubourg de Muhlen, à Salzbourg. Rapport fait par le moine d'un couvent.

 

Les hommes les plus courageux tremblaient pendant la terrible canonnade du 14, qu'on entendait sur les champs do Wals, et l'épouvante saisit ceux qui virent passer les convois de blessés.

A quatre heures de l'après-midi, nous vîmes avec crainte que les impériaux se retiraient par Salzbourg.

Les Français arrivèrent le 15, leur emboîtant presque le pas. Notre couvent, le couvent des Augustins, reçut immédiatement des troupes. Elles se composaient de 2 commandants, 4 capitaines, 1 adjudant, 6 domestiques, 12 chevaux, 258 hommes, auxquels le soir vinrent se joindre 102 autres soldats. L'un des capitaines, du nom de Jardinier, prit le commandement du couvent. Le soir, les officiers mangèrent de fort bon appétit. Après le dîner, ils demandèrent du vin chaud avec du sucre, et les soldats de l'eau-de-vie chaude également sucrée, ce qui paraît être là la boisson favorite du Français.

Nous croyions leur avoir offert un excellent repas; il paraît qu'il n'en fut rien, car un officier vint trouver le supérieur du couvent en lui disant : 

" Ah ! quelle pâtée de chiens ! Sales prêtres, vous manquez d'esprit !" 

En ce qui concernait le coucher, on répartit les soldats dans nos quatre grandes chambres, sur des paillasses. Les officiers se logèrent eux-mêmes dans les chambres des pères; quelques-uns firent mettre leurs lits au réfectoire. Tout ce monde était bien exigeant et fort impoli, il faut le dire.

La journée du 16 décembre commença par une visite du capitaine Jardinier au supérieur. Il fit pour son compte personnel une quantité de petites réquisitions d'objets de tout genre. C'était un homme qui nous coûta cher que ce capitaine Jardinier, néanmoins il faut avouer que c'est grâce à lui que nous fûmes préservés de nouveaux cantonnements.

Le même jour, un sous-officier des hussards logés au couvent demanda impérieusement du vin au supérieur. Celui-ci se retrancha derrière les ordres formels qu'il avait reçus du capitaine Jardinier, et d'après lesquels il était défendu de donner du vin aux hussards: « Allez le lui demander vous-mêmes si vous ne me croyez pas, » ajouta-t-il. Le cavalier se rendit avec ses hommes au réfectoire, où les officiers étaient en train de dîner. A peine le virent-ils poindre à la porte qu'ils se ruèrent tous sur lui et le rouèrent de coups; le commandant du couvent, au milieu de cette bagarre, cherchait à l'entraîner avec lui pour le faire mettre en prison. L'arrestation se fit avec beaucoup de difficultés; les hommes qui suivaient le sous-officier intervinrent en sa faveur, et bientôt il y eut des rixes à ce propos dans toutes les dépendances du couvent.

Le 19, nos officiers nous quittèrent, et lorsqu'ils furent tous sortis, Jardinier céda le commandement à un sergent du nom de Victoire. Ce Victoire était excessivement fier de ce poste et faisait sentir son autorité à tous les autres sergents logés au couvent. C'était d'ailleurs une parfaite canaille que cet homme.

Heureusement il eut bientôt ordre de rejoindre sa compagnie et quitta le couvent avec le plus grand regret. En nous faisant ses adieux, il nous demanda del'argent, que nous eûmes soin d'ailleurs de ne pas lui donner.

Le 21 décembre, tous ces désordres prirent une fin subite, car nous eûmes à loger M. Simmonet, administrateur général des hôpitaux; Rouillon, agent principal du général Moreau; Lodibert, agent principal du général Lecourbe; Thierstein et Montrochet, administrateurs des hôpitaux; Marin, employé; six domestiques, et douze chevaux.

Tout ce monde est resté au couvent jusqu'au départ définitif des troupes françaises.  Quel que coûteux que fût pour nous leur séjour, nous étions fort satisfaits de la conduite de ces gens. Leur honnêteté était parfaite; la bonté, l'amabilité, une conduite noble et humaine les distinguaient tous. Ils causaient volontiers avec les prêtres et tâchaient par tous les moyens de leur alléger la lourde charge de les nourrir et de les loge.

D'eux tous, un seul, Simmonet, dut nous quitter avant le départ définitif. Il partit pour Augsbourg, d'où il envoya au supérieur, en souvemr de son passage chez nous, une magnifique eau-forte reproduisant la Descente de la Crolx par Rubens.

Même la conduite des domestiques ne laissait absolument rien à désirer.

 

 

Rapport sur les événements de guerre qui se sont produits à Henndorf et à Neumark (34), par B.-J. Kirchdorfer, délégué judiciaire (extrait).

 

La petite commune de Henndorf eut beaucoup à souffrir des passages de troupes, car, à bien prendre, ceux-ci duraient depuis dix ans.

En ce qui concerne parculièrement l'année 1800, ce furent d'abord des impériaux que nous vîmes passer, puis les Wurtembergeois et les Bavarois; ensuite vint la terrible retraite de l'armée impériale, puis, en définitive, l'armée française arrivant dans ce pays complètement épuisé.

De puissantes colonnes françaises s'avançant vers l'Autriche alternaient dès lors avec des convois de prisonniers autrichiens se dirigeant sur Salzbourg pour y être internés.

Comme il ne fallait pas séparer ces troupeaux d'hommes captifs, et qu'au contraire il fallait les loger ensemble dans un grand édifice, ce fut toujours dans l'église qu'on les enferma.

Les prisonniers portaient généralement sur eux leurs rations de pain et de viande, de sorte que leur nourriture ne nous incombait pas, mais nous eûmes à leur fournir du bois pour leur permettre de faire la soupe et entretenir des feux dans le cimetière, au milieu duquel se trouve l'église.

L'intérieur de notre temple venait justement d'être blanchi à la chaux et remis à neuf, attendu qu'il avait beaucoup souffert des passages de troupes antérieurs. Nous priâmes en conséquence l'escorte française de ces prisonniers, qui se composait d'une vingtaine d'hommes, de vouloir bien ménager notre église et veiller à ce qu'elle soit tenue en bon état de propreté. A peu d'exceptions près, ils furent assez aimables pour accéder à notre désir.

Un jour, les prisonniers, après s'être réchauffés et reposés dans le cimetière, c'est-à-dire en plein vent, s'avisèrent d'allumer les chaises et les bancs à l'intérieur du temple. Les Français accoururent aussitôt et éteignirent l'incendie.

La garnison française que nous reçûmes dans la suite ne nous ménagea pas les pillages. L'église, dès les premières attaques, fut complètement dévalisée. Le soir de cette bataille, un chasseur à cheval vint voir le paysan qui habitait la maison voisine de l'église. Il portait un objet caché sous son grand manteau vert; c'était un calice provenant du trésor de notre église. Il lui raconta qu'à la distribution du butin, après le pillage, il avait eu soin de se le faire remettre dans l'intention de le restituer au curé, et, ce disant, il le déposa entre les mains du paysan en le priant d'en avoir bien soin. Mais comme le paysan lui fit comprendre que le vase ne serait guère en sûreté chez lui, le soldat alla le porter chez le vicaire.

 

Malheureusement, quelques jours après, les troupes du général Drouet (35), à leur passage, pillèrent le pays, et le vase fut découvert dans sa cachette par le cuisinier du général, qui se l'appropria.

J'ai eu le plaisir de revoir ce brave homme au moment de son retour d'Autriche, après l'armistice de Steyer ; lorsque je lui appris que son calice avait de nouveau disparu, il en fut très affecté.

La garnison que nous avions nous faisant subir toutes les misères possibles, nous fûmes obligés, à un moment donné, de prier Arnaud, commandant d'armes à Salzbourg, de nous envoyer des sauvegardes. Cet officier nous envoya en effet un brave et digne homme qui fit son devoir, mais qui, malheureusement, était à lui seul insuffisant pour nous mettre à l'abri des exactions de ses camarades. Arnaud nous en envoya donc un second. Tout le village, mais surtout la brasserie, doivent leur salut aux efforts de ces deux Français.

Cela gênait naturellement beaucoup les deux officiers commandant notre petite garnison, qui voyaient les sauvegardes d'un fort mauvais œil et faisaient tous leurs efforts pour les faire rappeler; ce à quoi ils réussirent en effet.

La troupe qui nous faisait tant souffrir nous quitta enfin.

Le 17 mars 1801, il nous en arriva une autre de cent cinquante sous-officiers et soldats commandés par trois officiers, le capitaine Marie (36), le lieutenant en premier Schafer et le sous-lieutenant Pome.

Ces messieurs se sont distingués par la sollicitude dont ils ont fait preuve pour le strict maintien de l'ordre et de la discipline parmi leurs troupes. Lorsqu'ils virent la misère de nos paysans, ils s'ingénièrent à nous préserver de cantonnements nouveaux.

D'un autre côté, cependant, ils exigeaient que leurs soldats fussent bien nourris et ne manquassent de rien; aussi fallait-il fournir du pain blanc pour tout le détachement, mais ils furent très sévères pour ceux de leurs soldats qui se rendaient coupables de méfaits quelconques envers la population.

Parmi les objets dont les soldats français avaient perpétuellement besoin, il faut nommer les plumets et les panaches. A ce sujet, il n'y avait aucun ordre de la part de leurs officiers pour leur en fournir; néanmoins c'était là l'objet de leurs désirs les plus pressants. A table, pendant les repas, ce n'étaient de leur part que sous-entendus et mots plaisants pour obtenir de l'habitant de quoi en confectionner; généralement, après toutes sortes de plaisanteries et d'intrigues pour arriver à leurs fîns, on finissait par céder et par leur en offrir.

 

L'irritabilité des Français a été pour beaucoup dans les disputes qui surgissaient de temps en temps entre le soldat et l'habitanL Cette irritabilité était souvent fondée. Tout soldat français pouvait s'apercevoir, dès les premiers moments de son arrivée chez le paysan, d'une antipathie par trop affichée et d'une défiance trop visible jointe à une conduite revêche et désagréable. Même des gens qui, en raison de leur éducation, auraient dû se comporter autrement n'avaient pas assez d'esprit pour se conduire poliment envers les Français.

Voici, à titre d'exemple, le cas d'un certain M. D..., habitant Salzbourg; un jour ce monsieur reçut la visite d'un officier français qui venait prendre logis chez lui. L'officier était accompagné d'un chien. M. D..., en voyant l'animal, fît quelques réflexions désobligeantes à son égard et finalement déclara que le bulletin de logis dont l'officier était porteur était muet au sujet de la bête, et qu'il n'avait par conséquent pas à la loger. Le Français, très calme et voulant probablement infliger une leçon à M. IL., ne répondit rien, et se contenta de retourner au bureau des logis pour demander simplement un bulletin de plus pour sa bête, qu'on lui délivra immédiatement. Bien entendu le chien fut logé avec son maître, et il ne resta à M. D... qu'à se bien conduire dans la suite avec un monsieur qu'il s'était, dès son arrivée, tant empressé d'offenser sans raison.

 

Le capitaine Marie était un homme bon, mais un peu susceptible. Il ne savait pas un mot d'allemand et était obligé, dans ses rapports avec l'habitant, de se fier à ses domestiques, qui lui disaient d'ailleurs ce qu'ils voulaient.

Les commandants de place avaient pris l'habitude d'accepter ou plutôt de se faire donner de petits cadeaux, qu'ils appelaient eux-mêmes cadeaux spontanés. Marie, mais toutefois sans formuler d'exigences, fit un jour allusion à un cadeau dont il avait, dit-il, besoin. Il nous expliqua que, en effet, tout en voyant bien la misère terrible de l'hahitant, il avait pensé que M. le maire, sachant apprécier les éminents services qu'il rendait tous les jours à la commune, ne lui refuserait pas quelques aunes de drap dont il avait le besoin le plus absolu.

La commune étant en effet persuadée de la bonne volonté de Marie résolut de faire le sacrifice de 150 florins environ, somme certainement cent fois inférieure à la valeur des services que cet homme nous a rendus par son excellente conduite.

Le lieutenant en premier Schafer, qui avait été sergent sous la royauté et qui manifestait encore souvent, et très délibérément d'ailleurs, des principes monarchistes, était Alsacien et parlait couramment l'allemand. Il avait presque soixante-dix ans, mais il était encore plein d'activité et de verdeur; disons 

cependant que sa toilette manquait de soin et de propreté. Il était sale de corps.

Pome, lui, était jeune, fougueux, rempli de santé, alerte et gai; il ne comprenait pas un mot d'allemand. Nous avons eu maintes preuves de son excellent cœur, et toutes les fois qu'il voyait un habitant pleurer pour avoir été maltraité par un soldat, il s'empressait de le prendre sous sa protection.

 

Les Français à Neumark, d'après un témoin oculaire (extrait.)

 

Ce dont les Français semblaient avoir le plus besoin chez nous, c'étaient des cartes géographiques. Ils en cherchèrent jusque dans l'école, et, n'en trouvant pas, ils estimèrent que notre enseignement ne valait rien et que, par conséquent, notre système d'instruction publique était mauvais.

Leurs détachements étaient toujours suivis d'une quantité de femmes de mauvaise vie qu'ils avaient d'ailleurs l'air de traiter avec le dernier mépris. Cela n'empêche pas que nos femmes aient eu beaucoup à souffrir de leurs avances. Les officiers joignaient à leurs propositions des promesses d'argent; la troupe demandait de l'amour à coups de crosse; leur conduite envers les prisonniers était bonne, mais les blessés de l'ennemi étaient moins bien soignés par eux que les leurs. Ceux-ci étaient généralement couchés sur des lits, tandis que les impériaux devaient se contenter de paille.

L'amour du confort, inhérent au caractère français, se manifestait jusque dans leur campement et dans leurs bivouacs. Ils réquisitionnaient des lits, les emportaient au camp et se couchaient dedans en plein air. C'était un spectacle bien curieux que de les voir chez eux dans leurs campements. A droite de chaque groupe il y avait le cheval attaché à un poteau, à gauche flambait un magnifique feu de bivouac, et le milieu était occupé par le cavalier couché ainsi en pleine campagne dans un bon lit, fumant sa pipe, la couverture tirée jusqu'au menton. Multipliez ce spectacle quelques centaines de fois, ajoutez-y des piles de bagages, des armes en faisceaux, des caissons, des canons, du train, et vous aurez un aspect fidèle d'un camp français comme j'en ai vu près de chez nous, qui avaient trois quarts de lieue de long.

 

Correspondances relatives au passage des troupes françaises à Henndorf, publiées dans le journal: Vierthalers Intelligenzblatt; année 1801, par un ecclésiastique de cette commune.

 

Les journées du 13 au 18 décembre ont été bien malheureuses pour notre localité. 

Pendant la retraite de l'armée impériale, la cure, située sur la route, a été attaquée quatre fois par des maraudeurs autrichiens.

Le 14, nous avons eu l'honneur d'offrir une tasse de café aux généraux autrichiens le prince Schwarzenberg et Gavasini.

Le prince m'a affirmé que ni lui ni son collègue n'avaient mangé depuis plusieurs jours.

Ils nous parlèrent avec beaucoup d'estime des Français nos ennemis; j'avais vu l'armée prussienne en 1792, l'armée saxonne en 1798, l'armée autrichienne en 1800, et bientôt je vis les armées françaises; mais, faute de connaissances militaires, je n'ose me prononcer sur les soldats de la République. J'ai pu cependant constater que nos paysans se plaignaient beaucoup plus de la conduite des impériaux que de celle des Français. Parmi les impériaux, les Wurtembergeois et les Bavarois surtout les ont fait souffrir. D'ailleurs, le 13 décembre 1800, j'ai vu moi-même dans les caves de Saint-Pierre, à Salzbourg, un cavalier wurtembergeois fondre sabre au clair sur des citoyens non armés. Et pour quelle raison ? Pour une discussion à propos de rien: cet homme voulait à tout prix fendre le crâne à un malheureux habitant, et ce ne fut que grâce à l'intervention d'un aumônier de l'armée qu'il y renonça.

Le 18 décembre, à deux heures de l'après-midi, nous vîmes arriver les premiers chasseurs français. C'étaient de magnifiques gars, frais, dispos, et fort gais. Aussitôt, tous les habitants ouvrirent leurs portes et vinrent leur offrir quelque chose; ils semblaient d'ailleurs très bons garçons, et n'inquiétèrent personne.

Quelques-uns seulement parmi eux demandèrent à des paysans leurs bourses, disant qu'ils étaient sans le sou.

L'instituteur du village, entre autres, avait dû céder la sienne avec tout l'argent qu'il avait sur lui; mais lorsque, quelques instants plus tard, interpellé par des cavaliers français sur le chemin qu'avaient pris les Autrichiens, il leur donna à ce sujet très clairement les explications qu'ils demandaient, l'un des cavaliers intervint pour qu'en échange de ce service on lui rendît sa bourse, ce qui fut fait.

A la cure, ils furents moins délicats. M. le curé fut dépouillé par eux de tout l'argent qu'il avait sur lui; quant à moi, ils se contentèrent de me demander mes nom et prénoms, puis mon âge, sans s'inquiéter du reste.

Un copieux repas avait été préparé pour les Français par le curé à la cure même; mais comme on était venu annoncer l'arrivée d'un général, les officiers n'osèrent y toucher.

Nous eûmes, en effet, le plaisir de voir chez nous, le soir même, M. le général Drouet (les généraux Richepanse (37) et Sahuc (38), plus tard, descendirent également à la cure).

Drouet était un homme aimable, jovial et humain. Nous avons eu le bonheur de le loger jusqu'au 17. S'il faut en croire ses domestiques,il n'y avait que sept ans qu'il était à l'armée (39). Ils nous ont raconté aussi que leur maître était le fils d'un serrurier (40). L'extérieur de ce général était fort recommandable: mens pulchra in corpore pulchro.

J'ai oublié le nom de son aide de camp.

Tant que ces messieurs sont restés au milieu de nous, aucun acte de rapine n'a été commis à la cure, bien que la porte cochère restât grande ouverte, et cela nuit et jour et sans que le général, pour des raisons que j'ignore, y fit jamais mettre de factionnaire. Il passait bien des soldats de mauvaise mine, mais quand nous leur avions dit qu'un général habitait la maison, ils s'empressaient toujours de disparaître au plus vite.

Le général Drouet n'oubliera certainement jamais le séjour qu'il a fait parmi nous. Nous lui sommes redevables de la conservation de tout notre bien. Il nous a exhortés au courage, et, à son départ, sans que nous lui en eussions fait la demande, il nous accorda une sauvegarde à laquelle il recommanda de veiller sur nos personnes et sur nos biens jusqu'à ce que le dernier détachement de troupes françaises fût passé. C'est pour cela que je ne comprends pas comment nous avons pu être complètement dévalisés quelques jours après en présence des sauvegardes mêmes. M. le curé éprouva de ce chef une perte s'élevant à  1,000 florins; même nos deux bonnes furent dépouillées de tout ce qu'elles possédaient, et on pourra se faire une idée de ce pillage quand j'aurai dit que, afin de pouvoir écrire ces lignes, j'ai dû emprunter la plume, l'encre et le papier (26 décembre 1800).

Si jamais le général Drouet repasse par ici, ce que tous les membres de la cure désirent ardemment, nous pensons bien rentrer en possession de notre bien; mais en serait-il autrement que rien ne diminuerait la considération et l'estime que nous professons pour cet homme, qui s'est fait le protecteur généreux de deux pauvres ecclésiastiques que, sans les connaître, il a traités avec tant de bienveillance et d'humanité.

 

Les Français dans l'arrondissement de Saint-Jean en Pongau (41)

(extrait du journal de François-Joseph Eyweh, greffier de la commune).

 

(On appelle Pongau une section de la vallée de la Salza située à une soixantaine de kilomètres au sud de la ville de Salzbourg et s'étendant au pied des Hautes Alpes à peu près en face de la vallée de Gastein. Elle est séparée de la grande plaine de Bavière, que commande la ville de Salzbourg, et par laquelle l'armée du Rhin vint envahir la région, par un col des plus étroits, le col de Lueg, que les Français n'ont jamais pu prendre que par surprise. Ce col est la clef de tout l'intérieur du pays.)

 

Ce fut le 16 décembre 1800 que nous apprîmes que non seulement la ville de Salzbourg, mais encore Hallein et Golling, venaient d'être occupés par les troupes françaises.

Quelques instants après nous reçûmes la nouvelle que le col de Lueg venait également de tomber entre leurs mains.

Cela signifiait pour nous l'invasion à brève échéance. Les habitants furent consternés, et les nouvelles les plus extravagantes ne tardèrentpas à circuler. Le 18 décembre, une estafette nous apporta un ordre du commandant de Salzbourg portant défense, sous peine de mort, de porter des armes. Cet ordre, promulgué le lendemain à l'église pendant le sermon, produisit un effet absolument contraire à celui que l'on visait, car les paysans se mirent aussitôt à délibérer sur la question de savoir s'il fallait, oui ou non, organiser une résistance. Ils furent encouragés dans leurs projets par soixante et onze hommes de troupes autrichiennes et leurs officiers arrivés depuis peu et qui, par leurs discours et leurs récriminations, cherchèrent à enflammer leur courage, de sorte que lorsque, le 19, nous apprîmes que Werfen, petite localité au sud du col de Lueg, après avoir été occupée par les Français, fut imposée par eux d'une contribution de guerre de 105 carolins parce qu'un détachement de quarante-sept hommes des Condéens avait persisté à s'y défendre, ils coururent retirer de leur cachette leurs armes à feu.

 

Le 24 à midi le tocsin sonna. Les Français s'étaient retranchés à Werfen et y avaient amenés du canon.

Le 30, à deux heures du matin, on apporta au commandant des troupes autrichiennes occupant notre commune une dépêche du général français.

 

Le jour de l'an 1801, les Autrichiens partirent de chez nous et deux heures plus tard deux officiers français firent leur apparition à la mairie, ou ils reclamèrent au maire des cantonnements pour 160 hommes d'infanterie de la 38e demi-brigade. 

 

Ils affirmèrent d'ailleurs qu'ils venaient en amis attendu qu'un armistice avait été signé le 25. Une heure plus tard, les soldats formant les 3e et 4e compagnies du 1er bataillon de la 38e demi-brigade de l'armée française, commandés par quatre officiers, arrivèrent tambour battant. Les désordres ne tardèrent pas à se produire; on aurait dit que toutes les cuisines et toutes les caves étaient à eux. Lorsque nous nous en plaignîmes aux officiers, ceux-ci répondirent qu'ils ne pouvaient rien, mais que dans deux ou trois jours l'ordre serait certainement rétabli.

Vers midi arrivèrent le chef de la demi-brigade Gauthier (42) et le commandant du 1er bataillon nommé Fririon. A cinq heures du soir arrivèrent l'aide de camp du général de brigade, le citoyen Gilbert Laval, et le colonel du 8e hussards. Ils demandèrent des cantonnements pour 200 cavaliers et 400 fantassins, et cela de la façon la plus impérieuse.

Nous leur expliquâmes qu'il nous était impossible de satisfaire à tant d'exigences à la fois; à quoi ils nous répondirent qu'ils sauraient bien faire respecter leurs ordres.

L'employé de la mairie Mosshammer, qui parlait assez bien le français, se rendit le soir même au domicile de ces messieurs pour réclamer contre la dureté de ces exigences et demander quelques adoucissements. Les officiers finirent par se laisser attendrir: 

« J'espère, ajouta le commandant, que la commune saura apprécier ma bonté et mon influence. C'est là une question sur laquelle je m'expliquerai demain. »

Le surlendemain, à midi, quarante grenadiers nous arrivèrent inopinément après que les autres troupes furent parties.

Nous ne savions absolument pas nous expliquer la cause de cette nouvelle occupation, lorsque nous en apprîmes la raison par les troupes elles-mêmes: c'est que le général en chef venait d'apprendre que les habitants de Saint-Jean avaient voulu organiser la résistance à main armée.

Aussi reçûmes-nous ordre d'avoir, dans le délai de trois heures, à déposer à la mairie toutes nos armes à feu et autres. Or, pendant que, tête baissée, un à un, les habitants portaient leurs fusils à la mairie, les Français semblaient visiblement inquiets de tout ce qui se passait autour d'eux.

Leur inquiétude ne fit que s'accentuer lorsqu'ils apprirent qu'un soldat français venait de dévaliser un paysan qu'il avait rencontré sur la grand'route. Les camarades du troupier s'étaient immédiatement empressés de le dénoncer au commandant, qui envoya chercher la victime.

En attendant qu'elle arrivât, et craignant des représailles et des actes de vengeance de la part de la population, nous entendîmes les officiers prononcer cette phrase : 

« Si ce paysan ne vient pas, nous sommes f..., car nous sommes en trop petit nombre. » 

Mais le paysan arriva, et comme on n'avait pas du tout retrouvé la bourse que le soldat lui avait volée, les Français lui en donnèrent une autre en le persuadant que c'était là la sienne.

Leur méfiance envers nous était extrême. Nous avions nommé un des nôtres commissaire des vivres. Celui-ci, pour calmer cette méfiance et se concilier leurs bonnes grâces, résolut de leur offrir un grand dîner, qui eut lieu en effet et qui n'a pas manqué de produire l'apaisement désiré, car deux jours après, par un ordre du général Laval, les paysans furent autorisés à reprendre leurs armes.

Le 10, il y eut une rixe entre un soldat français et un paysan qui, sur sa demande, lui avait refusé de l'eau-de-vie de kirsch, disant qu'il n'en avait plus. Le soldat avait fondu sur l'habitant et l'avait grièvement blessé. Il fut aussitôt arrêté et mis en prison.

Le 26 arriva le colonel Ducros. Cet officier s'est distingué de ceux qui l'avaient précédé par les excellentes manières et la délicatesse qu'il apporta aux réquisitions. Il mettait même de la politesse et des formes à s'approprier notre bien :

« En tournée d'inspection, nous dit-il, afin de vérifier dans les différents cantonnements de mon régiment, si les charges sont justement réparties d'après la fortune des communes et de leurs habitants, je me suis aperçu que, toute proportion gardée, il y a trop de troupe à Bishofshofen et trop peu chez vous. Je me vois donc obligé de vous envoyer encore quelques hussards; cependant, fit·il en poursuivant, au cas où vous serez disposés à me verser 200 florins comptant et 26 aunes de drap vert fin, je suis tout disposé à ne pas exécuter cette mesure. » 

Nous marchandâmes et il y eut de longs pourparlers pour arriver à une diminution; enfin il déclara pouvoir accepter 170 florins et 6 écus en échange du drap, dont notre village ne possédait pas une aune. 

Le 17 février aurait été un mardi gras bien triste pour nous, si les Français n'avaient pas contribué à nous égayer un peu en nous rappellant par une mascarade que nous étions en carnaval. Ils se travestirent ce jour-là en prenant les uns le costume national de nos paysans montagnards, les autres celui de nos paysannes, et, tambour battant, ils parcoururent du matin au soir le bourg par douze et dix-huit couples en se tenant par la main et en faisant de longues haltes dans les auberges. Ensuite, ils organisèrent un bal en plein vent, où ils s'amusèrent entre autres à tirer des coups de fusil et de pistolet.

Le 18, mercredi des cendres, le même cortège parcourut les rues pendant toute la matinée; l'après-midi, cependant, la figure des soldats s'assombrit soudain, ils ne dansaient plus, mais en se formant en cortège et en marchant d'un pas grave et lent ils entonnèrent des chants funèbres au son d'un tambour entouré d'un crêpe.

Ils s'avancèrent ainsi vers un grand jardin couvert d'une épaisse couche de neige et creusèrent une fosse où ils couchèrent celui de leurs camarades qui figurait le prince carnaval qu'on enterrait ainsi. Brusquement alors ils tirèrent un coup de pistolet, le tambour roula et l'inhumé sortit de sa tombe glaciale; après quoi toute la société se dirigea vers l'auberge en dansant en rond et en se tenant par la main.

Bien que cette troupe parût complètement prise de boisson, personne d'entre les habitants ne fut offensé par elle. Ils auraient pu demander à nos paysannes de se prêter à cet amusement, mais ils se contentèrent de leurs camarades qui avaient revêtu le costume féminin. 

C'est le 25 que fut publié le traité de paix.

Le 1er mars, nous reçûmes une nouvelle garnison composée d'une compagnie de la 38° demi-brigade et de ses trois officiers, dont un capitaine appelé Renaud.

Les habitants de Saint-Jean avaient été victimes de la cupidité de pas mal d'officiers français. Il était donc naturel qu'on eût peur de ces nouveaux venus. Cependant quelques heures nous suffirent pour dissiper toutes nos craintes à cet égard, car nous pûmes reconnaître dans ce Renaud un véritable ami de l'humanité. Ayant compris dès son arrivée qu'il y avait, en proportion de l'importance de la localité, beaucoup trop de soldats cantonnés dans notre village, il envoya aussitôt une estafette au général de brigade pour demander le transfert dans une autre commune d'une partie de la troupe et refusa net toute récompense pour ce service.

Cet homme, d'une politesse parfaite, était aussi loyal, honnête et sobre. Tous ses ordres étaient empreints de l'amour de la justice el de la discipline. Sa présence a été un bienfait pour les habitants de Saint-Jean, qui ne l'oublieront certes jamais. Enfin, le 17, à six heures du matin,l es Français nous quittèrent définitivement.

Le départ fut organisé par Renaud, de façon qu'aucun désordre ne pût s'ensuivre, et s'effectua dans le plus grand calme. Sur le bonnet de beaucoup de soldats on vit des bouquets de feuilles d'arbre que les paysans chez qui ils avaient demeuré leur avaient attachés en signe de leur bonne conduite et de souvenir. Lorsque la colonne s'ébranla, plusieurs soldats se précipitèrent hors des rangs pour serrer une dernière fois la main aux paysans chez qui ils avaient été logés. Toute la population était massée dans la rue et leur faisait cortège.

 

Séjour des Français à Kitzbühel et dans ses environs, d'après le témoignage d'un habitant de la localité.

 

Quelques jours après, le 3 décembre, nous vîmes les premiers républicains. Ils étaient quinze et s'en allaient vers le Brixenthal.

A les voir on aurait dit un convoi de prisonniers, tellement ils marchaient modestement et sans faire de bruit. A un moment donné, ils rencontrèrent sur la route une équipe d'ouvriers cantonniers armés de piques et de pelles. Très surpris, ils s'arrêtèrent, tandis que l'un d'entre eux sortit du rang et leur cria en mauvais allemand : 

" He, là-bas ! les Tyroliens, nous sommes de braves gens, ne tirez pas, nous sommes de bons amis. "

" Il n'y a pas de danger, " répondirent les nôtres; c'est fini, nous ne tirons plus maintenant."

Le 16 janvier arrivèrent les sauvegardes françaises. C'étaient des grenadiers de la 36e demi-brigade, de beaux hommes, bien équipés et ayant de l'argent à profusion. Chose curieuse, leur commandant, qui s'appelait Doridant, descendit chez le maître de poste, qui avait été auparavant commandant des milices tyroliennes et s'était distingué dans plusieurs comhats contre les Français. Tous deux furent constamment en bonne intelligence.

A leurs jours de décade, nous ne leur avons jamais vu une physionomie de fête quelconque, mais il n'en était pas ainsi à nos dimanches et jours de fête catholique. Ces jours-là, il y en avait toujours qui assistaient à l'office à l'église, et ce fut un contraste bien saisissant que de voir ces gens, vêtus des couleurs bleu, blanc et rouge, mêlés à la foule pieuse des paysans, tirer de leurs poches leurs rosaires, se signer et s'asperger d'eau bénite et se mettre chrétiennement à genoux.

On en fut hien étonné chez nous, parce que les Tyroliens nous avaient raconté que les ré.publicains ne croyaient pas en Dieu, avaient aboli la religion et étaient les ennemis jurés de tous les prêtres. Mais en dehors de l'église aussi, ils étaient toujours fort polis envers le curé, Toutes les fois qu'ils le croisaient dans la rue, ils tiraient poliment leur bonnet en disant: « Bonjour, bonsoir, monsieur le pasteur » Dans leur chambre, ils se promenaient dans un déshabillé complet et pieds nus, malgré l'épouvantable froid. Quelques-uns sortaient même ainsi et faisaient des promenades dans le village.

Chanter et faire du bruit, était depuis le matin jusqu'au soir leur principale occupation. Le bruit commençait le matin de très bonne heure et ne finissait guère que le soir fort tard. Le reste du temps ils le passaient à manger et à boire. Après le dîner, qu'ils prenaient à midi selon l'habitude de notre pays, et pour favoriser la digestion, ils allaient dans les champs qui se trouvent derrière le village et qui étaient à ce moment couverts d'une épaisse couche de neige. Là ils se jetaient les uns aux autres des boules de neige et se livraient ainsi de véritables batailles. Lorsque l'un ou l'autre des deux partis, trop maltraité par les boules de l'ennemi, se sauvait en cédant la place, ils riaient à gorge déployée et paraissaient en ressentir un plaisir d'enfants. Les vainqueurs s'en réjouissaient comme s'ils avaient gagné une véritable bataille sur les Autrichiens. D'ailleurs, le parti battu figurait toujours pour eux l'armée des impériaux.

Le 4 mars, le commandant des milices tyrolienncs à Waiding organisa une petite fête en l'honneur de la paix, où j'eus l'occasion de faire quelques observations sur les Français. Assistèrent à cette fête, entre autres, plusiems officiers des milices tyroliennes, un capitaine de la cavalerie française et deux officiers d'infanterie française.

Les Français étaient tous très gais. Ils ont chantonné et sifflé même pendant le repas et ont mangé et bu de fort bon appétit. La conversation roulait naturellement sur les dernières opérations de guerre; très familièrement ils nous racontèrent le passage de l'Inn et avouèrent, très franchement, que toute l'armée avait passé cette rivière sans coup férir.

Ils déclarèrent que les Condéens avaient agi en bons patriotes français en leur évitant, par leur inaction et leur fuite précipitée, de gaspiller leur poudre et leurs balles, qui, à la bataille de Wals, le 14, leur avaient ensuite rendu un si grand service.

Ils nous avouèrent aussi que, s'ils avaient rencontré partout la même résistance que dans le Tyrol, ils n'auraient jamais pu avancer aussi rapidement. A la fin du repas furent portées les santés inévitables chez tout Français. Le capitaine français but à la paix, pendant que ses compatriotes crièrent: Vive l'empereur d'Autriche ! vive le prince Charles ! vive la nation tyrolienne ! Il fallait bien que nous prissions notre revanche en nous mettant à crier: Vive la République ! vive la grande nation française ! vive le premier consul Bonaparte !

Nos exclamations furent reçues par eux avec une salve d'applaudissements et les marques d'une grande joie.

 

Les Français à Mittersill, dans le Oberpinzgau, vallée supérieure de la Salza. 

Récit fait par un habitant (extrait).

 

L'invasion a été précédée chez nous d'un commencement de soulèvement qui d'ailleurs n'a pas eu de suites et s'est arrêté net. Ce fut le 4 janvier 1801 que nous arrivèrent les premiers Français; en tête marchaient le lieutenant-colonel Beker (43), des hussards et huit hommes à cheval. Aussitôt arrivé, cet officier se rendit à la mairie afin de s'informer de ce que nous possédions en fait de fourrages. Il nous promit en même temps de ne pas trop frapper la commune par ses réquisitions et de ne pas y mettre trop de troupes.

Le 5 au soir arriva un piquet de vingt-quatre hussards du 8e régiment de la division Gudin, avec un sergent et un caporal. Ils avaient pris part à la sanglante bataille de Salzbourg. Ils étalent chargés du transport des dépêches et avaient pour mission de veiller à la sécurité des communications.

Le 6 janvier à midi arriva l'infanterie, composée de six compagnies et de deux bataillons de la 83° demi-brigade. Cette troupe comprenait : 1 chef de bataillon, 1 adjudant-major, 1 officier de santé, 5 capitaines, 12 lieutenants, 1 tambour-major, 700 musiciens, sous-officiers et soldats.

Jusqu'à ce moment nous nous étions toujours fait une idée très élevée de la politesse française; cependant, lorsque, à peine arrivé chez nous, le sieur Minal, chef de bataillon, se rendit à la mairie dans le seul but de dire des grossièretés au maire, nous en rabattîmes quelque peu de cette excellente opinion. Ce monsieur ne réclama ni plus ni moins que l'appartement du maire et toute la mairie pour s'y loger à lui seul. Il n'insista cependant pas, et toute l'affaire ne nous parut qu'une vaine menace.

Le lendemain la municipalité, en lui rendant sa visite, lui fit observer que, Moreau ayant promis, dans sa dernière proclamation, de maintenir l'ordre et la discipline parmi ses troupes, notre gouvernement avait au moins le même intérêt à éviter tout froissement. Minal comprit le sens de ces paroles et devint fort poli. 

Mais déjà il s'était produit quelques exactions et plusieurs excès avaient été commis; en guise de réponse nous lui mîmes sous les yeux le décret du général Fririon concernant l'entretien des troupes; il refusa d'en prendre connaissance, ce qui ne l'a pas empêché d'ailleurs d'apporter quelques adoucissements à ses exigences.

Sa troupe, en général, s'est tenue tranquille et semblait satisfaite de ce que nous pouvions lui offrir.

Le mardi gras approchant, il devait y a voir des réjouissances; mais Minal, pour des raisons de tranquillité intérieure, défendit les amusements et les mascarades autant pour les militaires que pour la population. Il fut ainsi fait, parce que les Français étaient toujours dans la crainte de quelque soulèvement.

Minal le craignait peut-être encore plus que les autres. Au début de son séjour parmi nous, cette peur l'empêchait de dormir la nuit. Un beau matin, il entendit un bruit insolite dans la cheminée de sa chambre; s'armant de son sabre, il courut ouvrir cette cheminée pour en voir sortir... un paisible ramoneur.

A plusieurs reprises, Minal avait invité à dîner les fonctionnaires du pays: ceux-ci résolurent donc de lui rendre sa politesse en lui offrant à lui comme à tous les autres officiers, un splendicle souper, où l'on fut fort gai de part et d'autre, où l'on prononça maint discours et où l'on vida maint verre de vin à la conclusion de la paix. Comme partout, le caractère des Français nous a offert un mélange de brutalité et de moralité, de sauvagerie et de haute culture d'esprit alliées à une bonté de cœur native.

Un certain Poussin, capitaine des grenadiers, était l'objet de l'estime de toutes les populations : ibre comme un républicain, fier comme un Anglais, honnête comme un Allemand, il agissait ouvertement et justement et voyait avec déplaisir les exactions et actes de chantage, que commettaient quelques-uns de ses compatriotes. Quant à Minal, qui était passé maître dans l'art de faire rendre gorge aux habitants, il se fit, au moment de partir, délivrer par la commune un certificat de bonne conduite.

A vrai dire, il ne faudrait pas trop se plaindre de la conduite des Français; pris en général, ils avaient le respect des autorités établies, de la religion et de la propriété d'autrui, à quelques exceptions près, bien entendu. Je pourrais citer maint exemple où les Français eurent même un grand mérite pour le maintien de l'ordre et de la tranquillité; ainsi ce furent des Français qui, le 17 février, accoururent avec la rapidité de l'éclair pour éteindre l'incendie qui s'était déclaré ce jour-là dans la ferme Finkengut, à Wald.

Toutefois il y avait parmi eux de vilains personnages; tel ce Minal, ainsi que son secrétaire Greney, un véritable brigand de grand chemin.

Mais des gens comme Parissel et Valette, qui, au moment du départ des troupes, lorsque tous les soldats étaient ivres, préservèrent, par leur énergie, la commune de désordres et de pillage, simplement par reconnaissance du bon traitement qu'ils y avaient reçu pendant leur séjour, sont des exemples qui vous consolent de tout le reste.

Ainsi finirent les jours pendant lesquels un peuple guerrier, venant de loin, faisait retentir notre paisible vallée du bruit des armes et se faisait nourrir à nos dépens. En outre des réquisitions d'avoine, de pain, de viande, de bière, il leur fallait surtout du drap, des cordes et des peaux pour leurs tambours, de la terre de pipe et du blanc d'Espagne. C'étaient ces objets-là qu'ils réclamaient avec le plus d'insistance.

 

Rapport du sieur J.-E. Koch sur les scènes qui ont précédé l'arrivée des Français sur le séjour des troupes françaises dans la vallée de Gastein (extrait).

 

Dès le 15 décembre 1800, des émissaires tyroliens vinrent inviter les habitants du duché de Salzbourg à prendre les armes contre les Français. « Nous avons été vendus aux Français » dirent- ils. Le soulèvement s'organisa aussitôt. Les milices se composaient en grande partie de jeunes gens, de vagabonds, de valets de fermes sans travail, tous célibataires et toute sorte de gens n'ayant rien à perdre et tout à gagner au désordre.

Ils traitèrent la garnison autrichienne en ennemie, blessèrent un officier et maltraitèrent quelques soldats. La nuit de ce jour offrit un spectacle qui était bien fait pour vous donner une idée des scènes qui devaient s'être produites à Paris au moment de la révolution de 1789. On y vit tous les fails caractéristiques de la masse ameutée, stupide et brutale. Tandis que, d'un côté, des bandes envahirent les auberges en hurlant et en chantant, d'autres attroupements, se composant d'individus qui s'étaient affublés, à tort et à travers, de tous les insignes possibles de la piété religieuse, pénétrèrent dans l'église et entourèrent la maison du curé, en payant à l'avance des messes à dire pour le salut de leurs âmes pendant la lutte. Ils achetèrent aussi des rosaires et demandèrent, en vociférant, à se confesser. Enfin, grâce aux efforts du clergé, on arriva à décider ces bandes de défenseurs de la patrie à se disperser ou à se tenir tranquilles.

Ce n'était pas si facile que cela en avait l'air; car, en dehors de ceux qui étaient originaires de notre commune, il y avait ceux qui venaient des autres régions et qui passaient constamment.

 

Enfin, le 5 janvier, nous fûmes délivrés de ces gens par la venue du colonel des hussards français Becken (44), arrivant avec quatorze cavaliers pour occuper des cantonnements chez nous. Le 6 et le 7, 800 hommes d'infanterie nous arrivèrent.

A Gastein même, les premières troupes françaises, se composant de deux compagnies du premier bataillon de la 83e demi-brigade, qui auparavant avait occupé la frontière occidentale du Tyrol, du Vorarlberg et les confins de la Suisse, sont arrivées le 4 janvier 1801..

Pendant que l'aile droite de l'armée s'était avancée par Salzbourg, cette demi-brigade avait reçu ordre de quitter ses cantonnements en Suisse et de suivre la frontière du nord du Tyrol dans la direction de l'ouest, afin de rejoindre le gros de l'armée du Rhin à Salzbourg même. Son état-major était resté à Traunstein et à Reichenhall, et divers détachements étaient allés cantonner dans l'intérieur du duché, jusque dans les étroites vallées des Hautes Alpes.

Sauf les grenadiers, c'étaient tous des soldats mal aguerris, mal équipés, à peine instruits et qui, depuis la bataille de Zurich contre les Russes, n'avaient pris part à aucun combat.

Il y avait parmi eux un grand nombre d'Alsaciens parlant fort bien l'allemand. En arrivant dans la vallée de Gastein, leur principal objectif était de ne pas être logés sur la côte de la montagne; ils tenaient à se trouver à peu de distance les uns des autres et préféraient pour cela les villages le long de la chaussée, dans le bas de la vallée, au risque même d'obtenir des gîtes peu confortables et bien inférieurs sous ce rapport à ce qu'ils auraient pu trouver dans les communes situées à mi-cÔte; tout cela par crainte d'une surprise de la part des montagnards.

Aussi des ordres très sévères furent-ils donnés à la troupe d'avoir à se tenir tranquille, afin de ne pas surexciter la haine des populations. Pendant les premiers jours, ils n'osaient même pas se servir d'estafettes françaises, la nuit du moins, et employaient des indigènes au transport de leur correspondance.

Malgré le froid épouvantable qu'il faisait, des factionnaires furent disposés hors des villages, où ils campaient devant d'énormes feux de bivouac.

Nos paysans, du reste, ne faisaient aucun mystère de leurs dispositions hostiles, avouaient ouvertement avoir organisé deux soulèvements et conservaient leurs armes suspendues aux murs de leurs chambres comme une espèce de menace perpétuelle.

Nous nous étions figuré qu'à la suite de l'établissement de la république une certaine égalité régnerait dans les rangs de ces républicains et que, au moins en dehors du service, nous verrions le spectacle d'une douce fraternité liant entre eux les hommes des différents grades. Rien de tout cela. A aucun prix un sergent n'aurait consenti à partager sa chambre avec un troupier; il n'aurait même pas voulu habiter avec lui sous le même toit. Le simple sous-officier se donnait des airs de général et faisait grand cas de ses galons; entre eux les Français se jalousaient les uns les autres. Le troupier disait du mal du caporal, le capora! débitait des horreurs sur le compte du sergent, le sergent disait pire que pendre de l'officier, et ainsi de suite jusqu'en haut. Les officiers se servaient de toute espèce de petits trucs pour se faire donner de l'argent par les paysans; le butin obtenu, ils s'enviaient les uns les autres, en cherchant à tricher au partage.

Seul le commandant de place du village de Hofgarten sc distinguait par une incorruptibilité à toute épreuve. Il est regrettable que cet homme ne comprît pas un mot d'allemand.

Tous les officiers étaient d'extraction fort humble. Sellier, commandant du bataillon cantonné dans la commune de Taxenbach, était le fils d'un meunier ; c'est sous Louis XVI qu'il avait gagné son grade d'officier. Minal, commandant du deuxième bataillon, cantonné à Mittersill - un homme léger et noceur - était avant la Révolution un humble chapelier. Le lieutenant Hugl, en garnison à Gastein-les-Bains, était maréchal ferrant de son état; Richon, à Hof-Gastein, était  

le fils d'un marchand de pain d'épices. Il avait été, avant la Révolution, frère gardien dans un couvent de capucins; Henriod était fils de boucher; Foerche, capitaine, était le fils d'un charron des environs de Strasbourg.

Les troupes françaises ne se sont rendues coupables ici d'aucun méfait; d'ailleurs, nous leur donnions de quoi se nourrir largement et plus qu'il ne leur fallait.

Dans le cas d'exigences exorbitantes de leur part, il suffisait généralement de leur faire tranquillement, et sans passion, quelques objections catégoriques et formelles, mais sans montrer de crainte. En ayant l'air de les craindre, on était perdu, car aussitôt ils vous faisaient sentir qu'ils etaient les maîtres. D'ailleurs, ils vivaient en bons termes avec l'habitant et s'associaient même souvent à nos fêtes de village et autres réjouissances populaires.

C'est au tir à la cible, art dans lequel nos paysans excellent, qu'ils ne nous cachaient pas leur admiration pour nous, et là, ils ne se gênaient pas de reconnaître notre supériorité sur eux, non sans quelque jalousie cependant.

En fait d'argent, ils n'en possédaient point ou très peu. Quelques-uns d'entre eux seulement en recevaient de temps en temps que leurs parents leur envoyaient de France. La grande République, malgré les énormes contributions de guerre levées dans nos pays, leur devait huit mois de solde. Aussi s'en plaignaient-ils dans les termes les plus amers. 

Il y eut beaucoup de malades parmi eux, et comme leur médecin de bataillon, un certain Rist, ignorait complètement les propriétés salutaires des eaux thermales de Gastein, les malheureux ne pouvaient en profiter.

Un des malades, le lieutenant Buot, mourut chez nous. Richon le fit enterrer et fit mettre sur sa tombe l'épitaphe que voici :

Ci-gît :

Jean-Baptiste Huot, natif de Baujeux, département de la Haute-Saône, âgé de 38 ans, officier à la 83e demi-brigade d'infanterie de ligne, décédé le 18 pluviôse an IX de la République française. 

Mortel, qui que tu sois et telle que soit ton opinion, respecte ses cendres ! 

Je dus mettre de l'autre côté de la croix tombale la traduction de cette épitaphe en allemand.

Vu les circonstances qui avaient amené ces étrangers parmi nous, il ne pouvait être naturellement question de relations sympathiques entre eux et la population.

Les événements de la guerre nous les avaient amenés; ce fut là la destinée. Nous fîmes tout pour nous incliner devant ses dires et inéluctables lois en satisfaisant aux exigences de 1'ennemi.

Mais ce qui a fait le mérite des Français, c'est l'intelligence qu'ils ont eue de tenir compte de la faiblesse de nos ressources, et de prévoir les effets fâcheux qu'auraient pu entraîner pour eux des exactions, des violences et des abus de pouvoir. Au contraire, par leur attitude calme et réservée, ils ont ramené à des sentiments meilleurs et plus pacifiques maintes têtes bouillonnantes de paysans rêvant déjà de leur opposer une résistance à main armée.

Ils nous quittèrent le 3 mars 1801, en nous remerciant chaleureusement de notre hospitalité et de ce que nous avions pu faire pour eux.

 

 

Conduite des Français dans la commune de Tamsweg (45) ( extrait),

 

Dès les premiers jours de décembre, lorsqu'on se rendait sur les hauteurs voisines de notre village, on pouvait entendre le bruit du canon. Le sol étant gelé, le bruit des combats qui avaient lieu dans la plaine, mais cependant assez loin, se répercutait vers le haut et se percevait distinctement. Ce n'est que le 3 janvier 1801 que nous arrivèrent les premiers Français; c'étaient un sergent des hussards avec quelques cavaliers. Ils demandèrent des cantonnements et partirent après avoir bu et mangé, mais sans payer et sans donner de bons.

Le même jour au soir, sont arrivés six hommes d'infanterie demandant également à passer la nuit. Ils se couchèrent sans faire bdaucoup de bruit et repartirent le lendemain.

Le 6, quelques hussards du 7e régiment se présentèrent. Arrivés à midi, ils nous annoncèrent l'approche de plusieurs colonnes de leur régiment, dont 270 hommes avec 300 chevaux arrivèrent en effet une heure après. Nous eûmes juste le temps de préparer les gîtes qne nous réclamait cette troupe. Ils passèrent la nuit et repartirent le lendemain pour la Carinthie. Leur commandant, le lieutenant-colonel Schneider, a couché à la mairie. C'était là un brave homme qui a fait tout son possible pour maintenir l'ordre parmi son monde et qui, du reste, parlait très bien l'allemand.

A partir de ce jour, les passages de troupes n'ont plus cessé. Il est passé, entre autres, les corps du général Roussel (46) et celui du général Demont (47). Le général Demont venait de sortir de captivité autrichienne.

Nous vîmes ensuite des prisonniers de guerre en masse, des courriers, des agents diplomatiques, des agents négociateurs, des officiers payeurs et une grande quantité de femmes; et nous étions obligés de nourrir tout ce monde et de lui fournir des chevaux de relai, ce qui n'était pas pour nous une charge peu lourde.

Le premier bataillon de la 109e demi-brigade, sous le commandement du citoyen Durand, et un peloton de hussards du 7e, fort de cinquante-trois hommes commandé par le capitaine de cavalerie Thumlair, sont venus prendre, quelques jours plus tard, leurs cantonnements chez nous et y sont restés jusqu'au 19 mars.

Nous eûmes en outre des hussards d'ordonnance chargés du transport des correspondances militaires vers la Styrie et la Carinthie, et ensuite quinze jeunes sous-officiers natifs des différentes régions de la France qui, par ordre supérieur, assistaient ici à un cours d'armes et de sciences militaires que leur faisait, dans la grande salle du château de Kienburg (48), l'adjudant-major Rome, également en garnison chez nous.

Le 8 janvier, à trois heures de l'après-midi, un incident qui aurait pu avoir des conséquences fâcheuses pour nos paysans se produisit: un caporal en cantonnement en Styrie, se trouvant en voyage vers Tamsweg, probablement pour la transmission d'un rapport militaire, fut attaqué en route par un indigène.

Le militaire, comme il faisait très froid, était descendu de la charrette de paysan sur laquelle il faisait le voyage et était resté un peu en arrière. Se trouvant ainsi isolé du cocher et seul, un malfaiteur (nous avons appris plus tard que c'était le fils d'un boucher de la région), dans l'intention de le voler, lui tira un coup de fusil.

Au lieu de le tuer, ce qui était son intention, le meurtrier ne fit que le blesser; puis, prenant peur et n'osant l'approcher pour perpétrer le vol, il se réfugia dans la forêt. Le commandant de la place écumait de rage à la nouvelle du crime et nous menaça de faire brûler le village et même les villages voisins, si l'on n'en découvrait pas l'auteur. Cependant, lorsqu'il vit que nous faisions tout notre possible pour arriver à la découverte du coupable et que nous prodiguions tous les soins possibles au Français blessé, il se contenta de faire simplement un rapport sur l'incident à son supérieur, le général Roussel, en garnison à Gmünd.

Les Français entre eux n'étaient pas toujours d'humeur pacifique. Il y eut des scènes et même des désordres auxquels la population resta étrangère et dans lesquels elle ne fut pour rien.

Je ne citerai ici qu'un seul cas: dans le village de Maria Pfarr arriva un jour un capitaine de la 109e demi-brigade domicilié à Unterberg. Il s'appelait Adolphe Honte, et descendit chez le curé. En même temps arrivèrent deux officiers des hussards avec leurs hommes. J'ajoute que le capitaine d'infanterie, de son côté, était également accompagné d'un détachement de son arme.

Les deux officiers de hussards descendirent, comme lui, à la cure. Les cavaliers de la troupe des hussards, sur ces entrefaites, avaient fracturé la cave de l'auberge et y menaient un train d'enfer, de sorte que l'aubergiste vint se plaindre à leurs deux officiers. Ceux-ci l'envoyèrent tout simplement promener.

Ce procédé déplut au capitaine d'infanterie qui était présent et qui leur dit des grossièretés en les menaçant de faire intervenir sa troupe s'ils n'allaient pas ordonner à leurs hommes de se tenir tranquilles. Il s'ensuivit une scène violente entre l'officier d'infanterie et les deux officiers de cavalerie, et l'on se provoqua de part et d'autre en duel.

Les gens de la cure faisant leur possible pour mettre d'accord les parties, cette intervention empêcha ces messieurs de se battre dans la chambre du curé, ce qu'ils avaient bien envie de faire; ils sortirent donc dans la cour, où un duel au sabre eut lieu séance tenante. Il fut très court: quelques reprises seulement, au bout desquelles l'un des deux offieiers de hussards fut blessé, après quoi tout le monde rentra dans la maison.

Le commandant de place était un homme qui aimait les réquisitions petites et personnelles. En échange de sa promesse de maintenir l'ordre, il exigea de nous, pour son usage, deux chevaux de selle et un carrosse de voyage tout monté avec les harnachements nécessaires. Après quelques marchandages, il en rabattit un peu et se contenta de moins.

Le jour du mardi gras, il exigea qu'on lui offrît un bal suivi d'un souper, auquel il fallut inviter tous les officiers de la garnison.


Je note cependant qu'en échange on pouvait compter sur lui pour le maintien de la discipline parmi son monde. Ainsi, il avait fait défense formelle à tous les aubergistes et traiteurs de l'endroit de recevoir, passé sept heures, des soldats français dans leurs locaux. Pour faire veiller à l'exécution de cet ordre, il faisait circuler des patrouilles qui mettaient en prison quiconque y contrevenait, de sorte qu'il y avait toujours une honne douzaine de ces nobles républicains sous les verrous.

Parmi les divers incidents auxquels ont donné lieu les relations quotidiennes des populations avec l'armée française, je n'en citerai qu'un seul : un paysan avait raconté dans divers lieux que, dans le village de Maria Pfarr, un officier cantonné dans cette commune lui avait réquisitionué un cheval. L'officier l'apprit, s'en sentit offensé et alla porter plainte contre le calomniateur auprès du commandant de la place Durand, qui cita devant lui le paysan et les personnes à qui il avait fait ce récit. Après avoir entendu l'officier, le paysan et les témoins, Durand s'adressa au juge de l'endroit qu'il avait également convoqué, en lui disant : « Vous êtes juge, monsieur, veuillez vous prononcer. » Le juge condamna le paysan à vingt-quatre heures de prison et à faire amende honorable pour l'offense, ce qui fut fait immédiatement.

A peine le paysan eut-il quitté la mairie pour aller se constituer prisonnier que le commandant réclama au juge sa grâce, l'obtint et fit relâcher le coupable.

Preuve de la grande bonté de cœur des généraux français (extrait du rapport d'un habitant), 

Le 8 février 1801, des soldats français amenèrent au quartier général de Léoben le forgeron Joseph Zaissmann et son ouvrier Bernhard Peer, arrêtés pour avoir tué un grenadier français. Le fait s'était passé dans les circonstances suivantes : le Français étant venu à la forge demander de l'argent, le forgeron avait refusé d'en donner; là-dessus fureur du soldat, qui avait dégaîné en prononçant des menaces de mort; sur quoi l'ouvrier du forgeron était accouru et, après avoir saisi un instrument, avait assommé net l'agresseur.

Pendant le trajet des prisonniers au quartier général et dans la prison, les soldats de l'escorte, furieux, leur avaient fait endurer des tortures inouïes, de sorte que le général Goullus (49), pour soustraire les accusés à la vengeance des soldats, se décida à autoriser leur transfert dans la prison de ville, à la condition cependant que le maire signât un papier par lequel il répondait sur sa tête des prisonniers. De toutes parts parmi la population des voix s'élevèrent en faveur de ces derniers. On avait pitié d'eux, parce que, en somme, ils s'étaient trouvés dans un cas de légitime défense,

 

Aussi plusieurs personnes avaient-elles sollicité leur grâce, ce que malheureusement les généraux Lecamus (50) et Goullus, commandant le corps, ne pouvaient accorder, les lois françaises ne conférant pas aux généraux des pouvoirs aussi illimités.

Il fallait absolument les déférer à un conseil de guerre par une procédure en règle. Ce qui nous parut excessif dans cette affaire, c'étaient les lenteurs qu'on y apportait. L'audience fut remise de quinzaine en quinzaine, sous prétexte qu'il n'avait pas été nommé de défenseur. Ce retard cependant avait sa raison d'être.

Or, un jour, le maire fut appelé au quartier général, où il rencontra les généraux Lecamus et Goullus qui lui déclarèrent confidentiellement que, s'il désirait voir ses prisonniers échapper au châtiment, il n'avait qu'à les faire évader habilement et sans bruit. Le maire se mit aussitôt en devoir de leur choisir d'abord une retraite au delà de la zone française, et ensuite les fit sortir de leur cellule non sans avoir préalablement brisé la porte, scié un barreau de la fenêtre et déposé sur le sol une lime afin de constituer un simulacre d'évasion.

A l'aide de laissez-passer délivrés par les deux généraux, mais portant bien entendu des noms fictifs et, de plus, dûment travestis, les deux prisonniers traversèrent sans encombre les lignes françaises.

 

Toutes ces précautions étaient bien nécessaires; la troupe, vu certaines apparences dont était enveloppé le crime, et qui étaient défavorables aux accusés, étaient fort irritée contre ceux-ci.

Lorsque le général Lecamus fut officiellement informé de l'évasion, il fît semblant d'entrer dans une fureur indescriptible. Il fil appeler le maire et lui déclara qu'il le ferait arrêter en vertu de la responsabilité qui pesait sur lui et des engagements qu'il avait pris. Une enquête fut ouverte par laquelle on cherchait à savoir par quels moyens les prisonniers avaient pu se procurer une lime.

Le général eut recours au subterfuge que voici :il fit constater, au cours del'enquête, qu'ils n'avaient pas été fouillés en entrant dans la prison française et établit que, tout prisonnier étant censé être fouillé à son entrée dans une prison, les gardiens de la prison locale au moment du transfert étaient excusables de ne les avoir pas fouillés de nouveau. L'histoire de la lime se trouvait ainsi reposer sur quelques fondements plausibles. Le général Lecamus, toujours pour tromper l'opinion, promit 20 louis à quiconque découvrirait la cachette des fugitifs; un peloton commandé par un capitaine du nom de Dubois, lequel avait probablement des ordres à ce sujet, se mit à battre la campagne, mais en évitant toutefois soigneusement l'endroit où ils étaient cachés, de sorte qu'on ne les découvrit pas.

 

Plus tard, au moment où les Français nous quittèrent, le maire fut appelé auprès du général, qui lui dit ceci: 

« Quand le dernier soldat français sera sorti de l'endroit, vous ferez annoncer aux paysans que c'est moi qui ai fait évader leurs deux compatriotes, accusés de meurtre. »

 

Joseph Phillipp, curé à Eisenerz, en Styrie, en 1801, sur la conduite des soldats français pendant leur séjour dans cette localité (extrait) (51).

 

Nous vîmes les Français chez nous dès les derniers jours de l'année dernière.

Eizenerz reçut une garnison.

Le 7 janvier 1801, à sept heures de la matinée, parut chez nous le général des contributions français (probablement un commissaire général de guerre), M. de Malechevsky qui nous demanda, par une lettre rédigée en termes impérieux, un état de l'assiette de nos impôts. Toute la municipalité fut mandée par lui. à l'hôtel de ville, pour deux heures de l'après-midi. Ayant parfaitement reconnu qu'Eisenerz était le point central de l'industrie métallurgique du district, il nous frappa, au nom de la République, d'une contribution de guerre de 320,000 francs, dont 300,000 francs payables par l'administration des mines et 20,000 par la population.

Cette somme devait être versée à Linz, en monnaie conventionnelle, dans le délai de quinze jours, sous peine d'exécution militaire.

Un criminel qui entend son arrêt de mort aurait moins tremblé que nous, lorsque nous apprîmes les exigences de l'ennemi. Nous fondîmes en larmes, nos visages devinrent pâles comme la mort et le désespoir s'empara de nos cœurs. Sans tarder nous nous précipitâmes auprès du général et lui exposâmes la situation en lui expliquant, avec franchise, que cette contribution dépassait de beaucoup nos faibles moyens.

Mais cet homme, qui d'ailleurs savait tempérer les rigueurs de sa mission terrible par la douceur de son caractère personnel, resta sourd à nos pleurs et à nos tribulations. Il nous recommanda de nous adresser au général en chef Moreau, résidant à Salzbourg, et finalement s'arracha de force à nos gémissements afin de continuer son voyage et de semer la terreur et l'épouvante ce jour-là encore jusqu'à Léoben.

Si nous nous étions abandonnés au hasard au milieu de tant de malheurs, nous aurions trouvé l'excuse d'une pareille conduite dans l'excès de notre chagrin; mais à ce moment même où les conseils et les secours étaient si loin de nous, nous nous efforçâmes d'employer tous les moyens pour nous sauver de la ruine. Sur-le-champ, nous expédiâmes à Vienne, auprès de S. A. I. et R. l'archiduc Charles, le conseiller municipal Trost et le directeur des mines, le chevalier des Bergs, avec mission de prier le prince de vouloir bien intervenir en notre faveur dans cette affaire et obtenir pour nous une diminution.

Le 5 février, nous eûmes le spectacle d'une scène qui contrasta avec beaucoup d'autres auxquelles nous assistions à cette époque. Le commandant français Stroude manda, à neuf heures du matin, toute la municipalité et tous les employés des mines à l'Hôtel de ville, où il nous avoua, en nous confessant les peines les plus intimes de son cœur, que son commandant en chef à Léoben l'avait accusé d'avoir fait main basse sur le contenu du magasin de guerre autrichien situé à Eisenerz.

Nous considérâmes comme de notre devoir d'exhorter au courage cet homme qui paraissait foudroyé par cette accusation et lui signâmes tous, sur sa prière, un certificat témoignant de sa parfaite innocence.

Cette conduite de notre part, à laquelle, en effet, Stroude ne s'attendait pas, nous procura le spectacle de voir l'altier et fier soldat qui avait si souvent fait peser sur nous sa puissance de vainqueur, pleurer comme un enfant.

 

Le 18 du mois de février 1801 ne devrait jamais s'effacer de la mémoire des fils de Eisenerz, car c'est ce jour-là que M. Xavier de Hochkowler reçut de Vienne une estafette lui annonçant la nouvelle de la conclusion de la paix. Il nous fît part de cette joyeuse nouvelle, qui mettait fin à des misères auxquelles nous aurions certainement succombé à la longue.

Afin de manifester notre joie sans bornes à ce sujet et, d'autre part, pour gagner les faveurs de l'ennemi, dont le départ, selon toute probabilité, ne se ferait plus attendre; de plus, pour nous mettre à l'abri d'excès et de désordres dont nous avaient en effet menacés quelques têtes brûlées de la troupe, nous décidâmes de réunir tous les officiers de la garnison française dans la grande salle des bureaux de l'administration des mines, et de leur offrir une soupe servie à midi. Cette politesse nous fut rendue par les Français, remplis d'amour-propre, comme chacun sait, car ils s'empressèrent de nous accorder tout ce que nous leur demandions !

Nous sommes loin de croire que ce serait rendre un service à la postérité que de faire le portrait d'un peuple qui était assez juste pour s'appeler lui-même le fléau de l'Allemagne.

Mais, pour rectifier un grand nombre d'opinions contradictoires et pour mettre la postérité à même de juger cette race d'hommes étrange qui à la fin du XVIIIe siècle bouleversa la surface du globe, nous en consignons ici un portrait fidèle, une copie authentique prise sur l'original inoubliable, que nous avons eu le malheur de pouvoir observer de près pendant soixante-cinq jours de suite.

Au moment de son entrée chez l'habitant, le Français répand l'épouvante et la terreur autour de lui; cependant, un esprit qui sait garder son sang-froid se rend bien vite compte que le tonnerre fait moins de mal qu'il ne fait de bruit ! En fait de contributions, de réquisitions, d'extorsions, le Français use, dans toute leur étendue, des terribles droits que lui donnent la guerre et la victoire, mais les petits vols clandestins, les rapines et les larcins dans les cantonnements sont au-dessous de son caractère.

On ne saurait lui refuser du courage et de la fermeté à la bataille, mais il craint la défense et les soulèvements des populations.

Le Français est exact au service, mais hostile à toute contrainte militaire mesquine en ce qui concerne les exigences secondaires du métier de soldat.

En entrant chez le paysan, il vomit feu et flammes et n'en finit pas de dicter des ordres pour le bon entretien de sa personne; mais lorsqu'on lui fait bon accueil, qu'on lui montre une figure avenante, qu'on manifeste de l'empressement à le servir, il suffit de quelques bonnes raisons pour apaiser sa tête bouillonnante, après quoi il se contente généralement de fort peu de choses.

Il aime la propreté au-dessus de tout, et cette habitude est en effet la cause de sa robuste santé.

Jamais il ne se charge l'estomac de plats trop lourds ou absorbés en trop grande quantité, et c'est là, paraît-il, la source des grandes facultés de son esprit et de son corps.

Il est toujours mobile, gai et disposé aux plaisirs mais même ses amusements ont toujours un certain rapport avec la guerre.

Il est un grand ami du vin et de l'amour. Le premier le rend fou et insupportable, le dernier lui fait employer les moyens les plus terribles pour arriver à ses fins galantes.

Même en pays ennemi, il respecte les autorités indigènes et les habitants d'une position sociale supérieure, maisil n'est pas sympathique au simple paysan.

La légèreté et la méfiance sont ses falblesses prédominantes; la reconnaissance et la gratitude occupent le premier rang dans la série de ses vertus (52).

 

 

 




NOTES
(celles en gras sont de l'édition originale)


(1) In "Les Armées françaises jugées par les Habitants de l'Autriche, 1797 - 1800 - 1809", d'après des rapports de l'époque. Raoul Chélard. Paris, 1893


(2) Charles Decaen (1769 - 1832), commandant la 3e division du centre sous Moreau.

(3) Straßwalchen

(4) Lire la Salzach

(5) Louis-Auguste Marchand, baron de Plauzonne (1774 - 1812) , chef d'état-major de la division decaen. C'est lui qui s'est emparré du pont de Lauffen, sur la Salzach

(6) Claude-Jacques Lecourbe (1758 - 1815)

(7) La forteresse de Hohensalzbourg, qui domine la ville à pic, entourée de murailles et d'un système de fossés fort compliqué, d'ailleurs construite sur un rocher escarpé et complètement inaccessible, était réputée imprenable. Les Français y entrèrent sans coup férir et y trouvèrent un matériel de guerre considérable qui, pendant l'occupation française, fut vendu aux enchères publiques au profit de la caisse de l'armée. La garde civique réclama à Moreau deux canons pour orner la cour de sa caserne: c'étaient deux pièces de campagne en très bon état. Moreau les lui accorda en témoignage de la grande confiance qu'il avait dans l'esprit de la population locale; elles se trouvent aujourd'hui au musée de Salzbourg. Chacune porte, sur une plaque de cuivre,l'ordre du jour par lequel elles furent restituées.

(8)  Pierre-François-Joseph Durutte (1767 - 1827)

(9) Sans doute Antoine Arnaud (1749 - 1806)

(10) Lire Jean-Joseph-Paul-Augustin Dessolle (1767 - 1828)

(11) Cet incident est très intéressant, en ce qu'il montre un besoin récurrent de l'époque.

(12) Johann Michael Haydn (1737 - 1806), compositeur de la Cour de Salzbourg.

(13) François-Nicolas Fririon (1766 - 1840)

(14) Le premier numérotage des maisons à Salzbourg est, selon l'aveu des historiens locaux, dû aux Français. Plusieurs autres institutions concernant la police et les services publics introduits par l'armée du Rhin ont été également adoptées depuis, de sorte que tout le monde vous dira à Salzbourg que le séjour des Français, tout en ayant été fort coûteux, n'a pas été sans utilité et a laissé de profondes traces dans l'administration locale.

(15) La Franziskaner Kirche est une des plus vieilles églises de la vieille ville de Salzbourg

(16) Armistice de Steyer, signé par Moreau et l'archiduc Charles.

(17) Charles-Étienne Gudin de la Sablonnière (1768 - 1812). Il sera l'un des célèbres commandants des trois "immortelles" divisions de Davout.

(18) La Résidence (Residenz) est l'un des "must" de Salzbourg, avec ses appartements et sa célèbre galerie d'art.

(19) Jean-Baptiste Éblé (1758 - 1812), qui se rendra célèbre lors du passage de la Bérézina. Il commande alors l'artillerie du corps de réserve de l'armée du Rhin.

(20) Le Kapuzinerkloster, sur le Kapuzinerberg, d'où l'on a une très belle vue sur la ville de Salzbourg.

(21) Joseph-Adam Lorentz (1734 - 1801), premier médecin de l'armée du Rhin, membre du Conseil de Santé des Armées et directeur de l'École de Strasbourg.

(22) Victoire-Claude-Alexandre Fanneau de Lahorie (1766 - 1812). Sa participation au complot Malet lui couta la vie.

(23) On trouve une description détaillée de ses funérailles et une reproduction du discours de Percy dans le Moniteur universel, n° 141, 21 pluviôse an IX, p. 88. Sur les travaux de Lorenz, voir Tissot, Journal de Paris, an IX, n° 140.

(24) Henri-Gatien Bertrand (1773 - 1844), le futur le compagnon d’exil de Napoléon.

(25) Joseph-Augustin Fournier de Loyssonville, marquis d'Aultane (1759, 1828), chef d'état-major de Grenier.

(26) Paul Grenier (1768 - 1827)

(27) Les mines de sel de Dürnberg (à environ 20 km au sud-ouest de Salzbourg) se visitent toujours de nos jours.

(28) L'article 5 du traité prévoyait en effet aue le Grand-Duc de Toscane obtiendrait en Allemagne une indemnité pleine et entière de ses États d’Italie, ce qui est confirmé dans l'article secret attaché au traité : Ainsi qu’il est convenu par l’article 5 du traité patent, le grand-duc de Toscane obtiendra en Allemagne une indemnité pleine, entière et équivalente de ses États d’Italie, à laquelle sont préférablement employés l’Archevêché de Salzbourg et la Prévôté de Berchtesgaden.. L'article n'a donc pas été si secret qu'il était dit !

(29) Pierre-François Percy (1754 - 1825). Avec Larrey, l'un des grands noms de la médecine militaire de l'époque napoléonienne.

(30) Johann-Jakob Hartenkeil (1761 - 1808), médecin personnel du prince archevêque de Salzbourg et qui est alors célèbre pour ses conférences de chirurgie.

(31) Jean-François Porson (1765 - 1840)

(32) Judas Thaddeus Zauner (1750 - 1813). Il est l'auteur de "Beyträge zur Geschichte des Aufenhaltes dert Franzosen im Salzburgischen und in den angränzenden Gegenden. Salzburg, 1802."

(33) Tout le monde en France connaît aujourd'hui le nom de Bottin, car celui que nous rencontrons en 1800 à Salzbourg est le même qui fonda l'Annuaire des adresses bien connu. Bottin fut ensuite député pendant les Cents-Jours, il prit plus tard l'Almanach du commerce de paris, des départements, etc., fondé par La Tyna en 1801 et qui, en fusionnant plus tard avec une entreprise analogue, devint le Bottin bien connu !.

 
(34) Ces deux petites localités se trouvent sur les rives du lac Wallersee, au nord-ouest de Salzbourg

(35) Jean-Baptiste Drouet, plus tard comte d'Erlon et maréchal (1765 - 1844). Il appartient alors à la division Richepance.

(36) Sans doute Jean-Baptiste Marie (1769 - 1835), à cette époque capitaine du génie à l'armée du Rhin.

(37) Antoine Richepance (1770 -  1802). Il s'est couvert de gloire à Hohenlinden. Il décèdera en Guadeloupe.

(38) Louis-Michel-Antoine Sahuc (1755 - 1813), de la division Richepance, avec lequel il était à Hohenlinden.

(39) En fait, Drouet s'était engagé pour la première fois au régiment de Beaujolais en 1782, le quittant en 1787. Mais en 1792 il s'était de nouveau engagé, cette fois au bataillon des chasseurs de Reims. La remarque est donc correcte !

(40) Drouet est en réalité fils d'un charpentier.

(41) Sankt-Johann im Pongau

(42) Jean-Joseph Gauthier (1765 - 1815), chef de la 38e demi-brigade depuis le 20 juillet 1800

(43) Nicolas-Léonart Bagert Beker (1770 - 1840)

(44) Lire Beker

(45) Tamsweg se trouve à une dizaine kilomètres au sud de Radstadt, sur la Mur.

(46) François-Xavier Roussel (1770 - 1807)

(47) Joseph-Laurent Demont (1747 - 1826), qui avait effectivement été fait prisonnier par les Autrichiens le 2 mai 1799, à Süss.

(48) Le château de Kienburg se trouve à mi-chemin entre Matrei im Tirol et Lienz. Gravement endommagé par une bombe durant la dernière guerre mondiale, il est actuellement en rénovation.

(49) François Goullus (1758 - 1814). Il commande l'arrondissement de Leoben.

(50) Jean Lecamus, dit Camus (1762 - 1846),chef d'état-major de Montrichard

(51) Ce rapport, qui est un des plus curieux, fait partie d'un opuscule manuscrit intitulé : Das XVIII Jahrhundert im Innerberg des Eisenerzes, écrit par Phillipp en 1801. Nous avons fait tout notre possible pour conserver à la traduction française toute la naïveté du texte allemand et le pittoresque des expressions.

(52)
Le petit musée d'Eisenerz, ville minière faisant partie des domaines de la Société miniére et metallurgique des Alpes autrichiennes (Alpino), renferme trois aquarelles de pluseurs mètres carrés de surface représentant des scènes de l'occupation française en 1801. Il ya d'abord la scène du déjeuner frugal décrite plus haut par le bon curé. Sur ce tableau, on voit une grande table où trônent les officiers français panachés et armés, tandis que tous les habitants sont tête nue et se trouvent relégués à de petites tables, sauf un, qui est placé en face de celui des officiers qui occupe la place d'honneur. 

Une autre peinture représente la scène du départ de la garnison française. On voit les troupiers français alignés, l'arme au bras, jetant un coup d'œil d'adieu à des femmes du pays, tandis que, devant le front de la troupe, le maire offre au commandant français, en souvenir de son passage, une tabatière.