Mars 1797   


Goritz, 25 mars 1797

Au Directoire Exécutif

... jusqu'à cette heure le prince Charles a plus mal manœuvré que Beaulieu et Wurmser, il a fait des fautes à tous les pas, et d'extrêmement grossières, il lui en a coûté beaucoup, mais il lui en aurait coûté bien davantage si la réputation qu'il avait ne m'en avait imposé à un certain point, et ne m'avait empêché de me convaincre de certaines fautes que j'apercevais, en les supposant dictées par des vues qui, dans la réalité, n'existaient pas.


Klagenfurt, 31 mars 1797

Au prince Charles, commandant l'armée autrichienne

Monsieur le Général en chef, les braves militaires font la guerre et désirent la paix. Celle-ci ne dure-t-elle pas depuis six ans? Avons-nous assez tué de monde et commis assez de maux à la triste humanité! Elle réclame de tout côté. L'Europe, qui avait pris les armes contre la République française, les a posées. Votre nation reste seule, et cependant le sang va couler encore plus que jamais. Cette sixième campagne s'annonce par des présages sinistres; quelle qu'en soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre quelques milliers d'hommes de plus, et il faudra bien que l'on finisse par s'entendre, puisque tout a un terme, même les passions haineuses.

Le Directoire exécutif de la République française avait fait connaître à S. M. l'Empereur le désir de mettre fin à la guerre qui désole les deux peuples : l'intervention de la cour de Londres s'y est opposée. N'y a-t-il donc aucun espoir de nous entendre, et faut-il, pour les intérêts ou les passions d'une nation étrangère aux maux de la guerre, que nous continuions à nous entr'égorger ? Vous, Monsieur le Général en chef, qui, par votre naissance, approchez si près du trône et êtes au-dessus des petites passions qui animent souvent les ministres et les gouvernements, êtes-vous décidé à mériter le titre de bienfaiteur de l'humanité entière, et de vrai sauveur de l'Allemagne ? Ne croyez pas, Monsieur le Général en chef, que j'entende par là qu'il ne vous soit pas possible de la sauver par la force des armes, mais, dans la supposition que les chances de la guerre vous deviennent favorables, l'Allemagne n'en sera pas moins ravagée. Quant à moi, Monsieur le Général en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de vous faire peut sauver la vie à un seul homme, je m'estimerai plus fier de la couronne civique que je me trouverais avoir méritée, que de la triste gloire qui peut revenir des succès militaires. 

Je vous prie de croire, Monsieur le Général en chef, aux sentiments d'estime et de considération distinguée avec lesquels je suis, etc.