16 - 30 Novembre 1805


Vienne, le 16 novembre 1805

A Joséphine

J'écris à M. d'Harville pour que tu partes et que tu te rendes à Bade, de là à Stuttgart et de là à Munich. Tu donneras, à Stuttgart, la corbeille à la princesse Paul. Il suffit qu'y ait pour quinze à vingt mille francs; le reste sera pour faire des présents, à Munich, aux filles de l'électeur de Bavière. Tout ce que tu as su par Madame de Sérent est définitivement arrangé. Porte de quoi faire des présents aux dames et aux officiers qui seront de service près de toi. Sois honnête, mais reçois tous les hommages: l'on te doit tout, et tu ne dois rien que par honnêteté. L'électrice de Wurtemberg est la fille du roi d'Angleterre; c'est une bonne femme, tu dois la bien traiter;  mais cependant sans affectation. Je serai bien aise de te voir, du moment que mes affaires me le permettront. Je pars pour mon avant-garde. Il fait un temps affreux, il neige beaucoup; du reste, toutes mes affaires vont bien.

Adieu, ma bonne amie.


Schönbrunn, 16 novembre 1805, 8 heures du matin.

A Murat

Il m'est impossible de trouver des termes pour vous exprimer mon mécontentement.

Vous ne commandez que mon avant-garde et vous n'avez pas le droit de faire d'armistice sans mon ordre; vous me faites perdre le fruit d'une campagne. Rompez l'armistice sur-le-champ et marchez à l'ennemi. Vous lui ferez déclarer que le général qui signe cette capitulation n'a point le droit de le faire; qu'il n'y a que l'Empereur de Russie qui ait ce droit; toutes les fois cependant que l'Empereur de Russie ratifierait ladite convention, je la ratifierai. Mais ce n'est qu'une ruse; marchez, détruisez l'armée russe; vous êtes en position de prendre ses bagages et son artillerie.

L'aide de camp de l'Empereur de Russie est un polisson; les officiers ne sont rien quand ils n'ont pas de pouvoirs; celui-ci n'en avait point; les Autrichiens se sont laissé jouer pour le passage du pont de Vienne (voir sur ce site les pages consacrées à la prise des ponts de Vienne), vous vous laissez jouer par un aide de camp de l'empereur, je ne conçois pas comment vous avez pu vous laisser jouer à ce point.


Schönbrunn, 16 novembre 1805

À Davout

Mon cousin, vous devez avoir reçu l'ordre de faire venir la division Gudin à Vienne, qui, jointe à la division Friant, formera une force suffisante pour maintenir une bonne police à Vienne, et pour avoir une bonne avant-garde à dix bonnes lieues d'ici, sur la route de Brünn. Il est possible aussi que je vous écrive d'envoyer une avant-garde du coté de Stockerau. Tenez vos postes à Presbourg, pourvu qu'ils ne se compromettent pas. Mettez-vous à l'abri de toute surprise et soyez toujours à vos ponts au point du jour. Ayez des postes de cavalerie jusqu'à Stockerau de huit hommes et un maréchal des logis. Les lettres se porteront de poste en poste. Les aides de camp pourront se servir des chevaux des ordonnances pour arriver rapidement. Vous sentez combien il est important que j'aie fréquemment des nouvelles de Vienne.


Schönbrunn, 16 novembre 1805

Au maréchal Berthier

Mon Cousin, la route de l'armée par Spire sera abandonnée. Le pont de Spire sera levé et les bateaux rendus à leurs propriétaires. La route sera désormais par Strasbourg, Ulm et Augsbourg. Vous donnerez des ordres, ainsi que notre intendant général, pour que des commandants d'armes et des étapes soient placés sur cette route.

On pourra aussi se servir de la route de Strasbourg, Stuttgart et Ulm. L'envoi de toutes les munitions d'artillerie cessera, et tout ce qui se trouverait encore à Ellwangen, ou au delà d'Ulm, sera renvoyé en France. Tous les transports de vivres cesseront. Les transports de souliers et de capotes seront activés et auront la préférence sur tout. S'il y avait cependant à Spire des transports de souliers, capotes et autres effets des corps, on laisserait subsister le pont jusqu'à ce qu'ils soient tous passés et rendus sur Stuttgart.


Schönbrunn, 16 novembre 1805

Au maréchal Ney

L'Empereur me charge, Monsieur le Maréchal, de vous témoigner toute sa satisfaction pour l'activité et le talent que vous avez mi dans l'occupation du Tyrol. Son intention est, comme je vous l'ai fait connaître par ma dernière dépêche, que vous remettiez à un général bavarois le commandement de toutes les troupes qui sont dans le Tyrol, et qui, lui-même, aura le commandement de ce pays. Le général Deroy, qui est à Munich, a reçu l'ordre d'y envoyer le plus de Bavarois qu'il pourra.

Ordonnez qu'on fasse sauter tous les retranchements et toutes le forteresses qui séparent la Bavière du Tyrol.

Du moment qu'il y aura 5,000 Bavarois dans le Tyrol, vous vous dirigerez sur Salzburg. Bien entendu que toute l'artillerie et tous le magasins que vous consignerez aux Bavarois appartiennent à l'armé française. Arrivé à Salzburg, vous réunirez à votre corps d'armé tous les Bavarois inutiles à la garde du Tyrol. L'Empereur espère que vous pourrez avoir 4 à 5,000 hommes; l'intention de Sa Majesté est qu'avec ce renfort vous vous portiez sur Leoben. Au reste vous recevrez des ordres à votre arrivée à Salzburg. L'intention de l'Empereur est que vous tâchiez de communiquer avec le généra Marmont, qui a des postes à Leoben et qui a ordre de se porter su Graz à la poursuite du prince Charles.

Nous cernons l'armée russe, qui a demandé à capituler, promettant d'avance d'évacuer l'Autriche et de s'en aller chez elle; l'Empereur n'a pas approuvé cette capitulation, et on suit les Russes l'épée dans les reins. Nous avons trouvé tous les magasins de Vienne pleins; rien n'avait été évacué. Nous sommes à Presbourg; la Hongrie demande à être neutre.

Envoyez quelqu'un au maréchal Augereau pour savoir s'il est vif ou mort; donnez-lui toutes les bonnes nouvelles de l'armée.

Des 16,000 fusils qui sont à Innsbruck, vous en ferez remettre 8,000 à la disposition de l'électeur de Bavière.


Schönbrunn , 16 novembre 1805

A l'électeur de Württemberg

Mon Frère, M. de Canisy, un de mes écuyers, que j'envoie pour accompagner l'Impératrice jusqu'à Munich, vous communiquera le bulletin du jour; vous y verrez que nos affaires vont au mieux.

Comme je n'ai pas de cavalerie jusqu'au Lech, et que je ne sais pas si l'électeur de Bade en a, je vous prie de faire placer sur les routes, depuis Ulm jusqu'à Strasbourg, des piquets de cavalerie pour escorter l'Impératrice.

Je ne puis que vous réitérer la ferme intention où je suis d'exécuter ce que je vous ai fait connaître; et, à cet effet, je recevrai avec plaisir les notes que vous aurez fait rédiger. Je pense que tout ce que vous pouvez, vous devez le faire. Par exemple, quant aux postes de l'Empire, vous pourrez vous entendre avec l'électeur de Bade pour établir vos postes particulières. Vous pourrez aussi vous emparer de l'Ordre équestre, en déclarant ce que vous voulez en faire, en ne prenant pas les propriétés, mais pour détruire cette sorte de souveraineté qui sert l'Autriche en gênant celle des électeurs. Si vous pensez qu'il vous soit utile de vous emparer des commanderies de l'Ordre teutonique en faveur de votre Ordre, je ne vois pas ce qui peut vous en empêcher. Les choses à faire à la paix donnent beaucoup d'embarras; quand elles sont faites, tout est facile. La Prusse ne pourra pas se plaindre, parce qu'elle a fait de même, et, comme membre de l'Empire, elle lui est soumise comme tout autre. S'il est autre chose que vous puissiez faire, mandez-le-moi, afin que je vous donne mon avis, et que, dans un traité de paix, on puisse en un mot dire : Tout ce qui a été fait par les électeurs est reconnu.

Si vous trouvez moyen de faire passer ici 2 ou 300 voitures, je vous enverrai l'artillerie qui vous aurait appartenu et que l'Autriche aurait prise en différents temps, ainsi que des fusils dont j'ai grande quantité; mais il est nécessaire de les faire escorter par un bon détachement de cavalerie, afin que les traîneurs n'y touchent pas. Tout l'arsenal, toutes les munitions de guerre de la Maison d'Autriche sont en mon pouvoir. Ce serait peut-être le moment que vous envoyassiez quelqu'un à Saint-Pétersbourg, auprès de votre sœur, pour lui faire sentir qu'ayant fait des projets avantageux pour sa Maison, il serait singulier que la Russie s'y opposât si fortement; que cela est même avantageux pour la Russie, puisque ce serait affaiblir l'Autriche; que cela n'est pas très-avantageux à la France, puisqu'elle pourrait retenir ce qu'elle donne aux autres. Un homme adroit pourrait tirer parti des circonstances et du mécontentement de l'empereur de Russie contre l'Autriche. Je crois qu'une mère qui implorerait son fils pour la splendeur de sa Maison produirait un bon effet, et il serait possible de prendre une telle tournure et une telle rédaction dans les traités, que la Russie tirât vanité de votre agrandissement. Ce que je vous dis là n'est pas une chose de grande importance, mais vous sentirez qu'elle peut aussi avoir son degré d'utilité. Pourquoi une mère n'obtiendrait-elle pas de son fils une lettre de recommandation pour sa Maison ? Pour être mère de l'empereur de Russie, on n'en doit pas moins se souvenir de la Maison d'où l'on sort.


Schönbrunn, 16 novembre 1805

25e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE.
                      
Le prince Murat et le corps du maréchal Lannes ont rencontré hier l'armée russe à Hollabrunn : une charge de cavalerie a eu lieu, mais l'ennemi a aussitôt abandonné le terrain en laissant 100 voitures d'équipage attelées.

L'ennemi ayant été joint et les dispositions d'attaque étant faites, un parlementaire autrichien s'est avancé et a demandé qu'il fût permis aux troupes de l'empereur d'Allemagne de se séparer des Russes. Sa demande lui a été accordée.

Peu de temps après, M. le baron de Wintzingerode, aide de camp général de Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, s'est présenté aux avant-postes et a demandé à capituler pour l'armée russe. Le prince Murat a cru devoir y consentir; mais l'Empereur n'a pas pu approuver cette capitulation. Il part au moment même pour se rendre aux avant-postes.

L'Empereur n'a pas pu donner son approbation, parce que cette capitulation est une espèce de traité, et que M. de Wintzingerode n'a pas justifié des pouvoirs de l'empereur de Russie. Cependant Sa Majesté, tout en faisant marcher son armée, a déclaré que, l'empereur Alexandre se trouvant dans le voisinage, si ce prince ratifie la convention, elle est prête à la ratifier également.

Le général Vialannes, commandant la cavalerie du maréchal Marmont, est entré à Presbourg. M. le général comte de Palffy a écrit une lettre à laquelle le maréchal Davout a répondu; les deux lettres sont ci-jointes.

Un corps de 3,000 Autrichiens s'était retranché dans la position de Waldmünchen, au débouché de la Bohême; le général Baraguey d'Hilliers, à la tête de trois bataillons de dragons à pied, a marché contre ce corps, qui s'est hâté d'abandonner sa position. Le général Baraguey d'Hilliers était, le 18 (9 novembre), à Teinitz en Bohême. Il espérait entamer ce corps.

Le maréchal Ney avait eu la mission de s'emparer du Tyrol. Il s'en est acquitté avec son intelligence et son intrépidité accoutumées. Il a fait tourner les forts de Scharnitz et de Luetasch, et s'en est emparé de vive force. Il a pris dans cette affaire 1,800 hommes, un drapeau et seize pièces de canon de campagne attelées.

Le 16 (7 novembre), à cinq heures après midi, il a fait son entrée à Innsbruck; il y a trouvé un arsenal rempli d'une artillerie considérable, 16,000 fusils et une immense quantité de poudre. Le même jour il est entré à Hall, où il a aussi pris de très-grands et très-riches magasins, dont on n'a, pas encore l'inventaire.

L'archiduc Jean, qui commandait en Tyrol, s'est échappé par Luschthal. Il a chargé un colonel de remettre tous les magasins aux Français, et de recommander à leur générosité 1,200 malades qui sont à Innsbruck.

A tous ces trophées de gloire est venue se joindre une scène qui a touché l'âme de tous les soldats. Pendant la guerre dernière, le 76e régiment de ligne avait perdu deux drapeaux dans les Grisons. Cette perte était, depuis longtemps, pour ce corps, le motif d'une affliction profonde. Ces braves savaient que l'Europe n'avait point oublié leur malheur, quoiqu'on ne pût en accuser leur courage. Ces drapeaux, sujets d'un si noble regret, se sont trouvés dans l'arsenal d'Innsbruck: un officier les a reconnus; tous les soldats sont accourus aussitôt. Lorsque le maréchal Ney les leur a fait rendre avec pompe, les larmes coulaient des yeux de tous les vieux soldats. Les jeunes conscrits étaient fiers d'avoir servi à reprendre ces enseignes, enlevées à leurs aînés par les vicissitudes de la guerre. L'Empereur a ordonné que cette scène touchante soit consacrée par un tableau. Le soldat francais a pour ses drapeaux un sentiment qui tient de la tendresse. Ils sont l'objet de son culte comme un présent reçu des mains d'une maîtresse.

Le général Klein a fait une incursion en Bohême avec sa division de dragons. Il a vu partout les Russes en horreur; les dévastations qu'ils commettent font frémir. L'irruption de ces barbares, appelés par le gouvernement lui-même, a presque éteint dans le cœur des sujets de l'Autriche toute affection pour leur prince. 

"Nous et les Français, disent ces Allemands, nous sommes les fils des Romains; les Russes sont les enfants des Tartares. Nous aimons mieux, mille fois, voir les Français armés contre nous que des alliés tels que les Russes."

A Vienne, le seul nom d'un Russe inspirait la terreur. Ces hordes sauvages ne se contentent pas de piller pour leur subsistance; ils enlèvent, ils détruisent tout. Un malheureux paysan, qui ne possède dans sa chaumière que ses vêtements, en est dépouillé par eux. Un homme riche qui occupe un palais ne peut espérer de les assouvir par ses richesses; ils le dépouillent et le laissent nu sous ses lambris dévastés.

Sans doute, c'est pour la dernière fois que les gouvernements européens appelleront de si funestes secours. S'ils étaient capables de le vouloir encore, ils auraient à payer ces alliés du soulèvement de leurs propres nations. D'ici à cent ans, il ne sera, en Autriche, au pouvoir d'aucun prince d'introduire des Russes dans ses États.

Ce n'est pas qu'il n'y ait dans ces armées un grand nombre d'officiers dont l'éducation a été soignée, dont les mœurs sont douces, l'esprit éclairé; ce qu'on dit d'une armée s'entend toujours de l'instinct naturel de la masse qui la compose.


Schönbrunn, 16 novembre 1805

ORDRE DU JOUR

On a trouvé dans l'arsenal de Vienne une grande quantité de carabines, de pistolets pour la cavalerie. de sabres et de fusils.

Les corps qui en auront besoin adresseront sur-le-champ leur demande à l'état-major en général, afin qu'il y soit pourvu sans délai.

Un officier du 2e régiment de cuirassiers s'est permis de déshonorer le nom français, en levant des contributions à son profit dans un pays ami et allié au couvent dit Anhausen, près d'Ulm, et appartenant à S. A. S. l'Electeur de Wurtemberg.

 Sa Majesté voit avec la peine la plus vive de pareils excès, et elle veut qu'ils soient réprimés.

Elle ordonne, en conséquence, que l'officier qui s'est rendu coupable de ce délit, soit sur le champ recherché et puni suivant toute la rigueur des lois.

Les voyageurs à la suite de l'armée forcent les postes et prennent les chevaux destinés pour les courriers de l'Empereur, de manière que les communications avec la France deviennent très lentes.

Sa Majesté défend à quelque individu que ce soit de prendre aucun cheval de poste destiné au service des courriers sur la route d'ici à Strasbourg.

Les individus coupables de transgresser le présent ordre seront d'autant plus sévèrement punis que chacun sent l'importance et les conséquences que peut avoir, pour le bien public, la violation du présent ordre.

Le major général renouvelle à MM. les maréchaux, officiers généraux et colonels, l'ordre de Sa Majesté qui enjoint de renvoyer dans leurs pays respectifs toutes les voitures et chevaux de réquisition qui ont été pris pour le service de l'armée dans les Etats des Electeurs de Wurtemberg, de Bavière et de Bade.

MM. les maréchaux et généraux en chef rendront compte au major général des ordres qu'ils auront donnés pour que les intentions de Sa Majesté soient remplies.

La continuation des gîtes d'étapes, depuis Linz, se fera par Amstetten, Melk, Saint-Pôlten, Sieghardskirchen et Vienne.

Le maréchal BERTHIER,

Par ordre de l'Empereur.

(Picard)


Znaym, 17 novembre 1805

A l'empereur d'Autriche

Monsieur mon Frère, un officier de Votre Majesté m'a remis sa lettre, au moment où je montais à cheval, à Hollabrunn. Je m'empresse de répondre à Votre Majesté pour la remercier de la confiance qu'elle me montre, et pour l'assurer de mon désir de lui être agréable, en même temps que du regret que j'éprouve de voir retardé tous les jours davantage le moment du rétablissement de la paix entre nous. J'aurais désiré pousser mes avant-postes aujourd'hui sur Brünn; mais je m'arrêterai toute la journée de demain et le temps que Votre Majesté y restera, car je ne voudrais pas, lorsque mon seul but est de poursuivre l'armée russe et de la porter à évacuer ses États, faire rien qu'elle pût prendre comme fait en vue de lui être personnellement désagréable. Je prie seulement Votre Majesté de permettre que je lui mette sous les yeux que ses États de Moravie sont dévastés d'une manière horrible, que les esprits, dans toutes les provinces de ses États, même à Vienne, sont aigris au dernier point contre les Russes, et que les conseils d'hommes qui sont l'objet de la haine de tous les peuples de Votre Majesté, et qui la portent encore à s'engager dans un système d'illusion, lui feront perdre entièrement l'amour de ses peuples, qu'elle mérite à tant d'égards. Je supplie donc Votre Majesté de bien considérer qu'il lui est impossible désormais, sans tout à fait les détacher d'elle, de laisser entrer les armées russes sur son territoire; et, à la première marche que de nouvelles armées russes y feraient, je me tiendrais dégagé de tout traité, et il ne me resterait plus qu'à tenter entièrement le sort des événements et les suites des destinées qui ont donné un cours irrésistible à chaque chose. Votre Majesté sera sans doute informée de l'alarme qui s'est manifestée à Vienne à une fausse nouvelle que mes armées avaient été battues par les Russes, et qu'ils s'approchaient de cette capitale. Ce seul événement, résultat du hasard , lui fera juger de la disposition des esprits. Ses sujets nous abordent avec des transports de joie, nous indiquent où sont les Russes, nous aident : Ce sont des barbares, disent-ils en parlant d'eux; donnez-nous des armes, nous vous aiderons à les chasser. Il me reste à assurer Votre Majesté de tout l'intérêt que je porte à la portion de ses États que le sort de la guerre a mise en mon pouvoir, tant par l'intérêt propre qu'ils inspirent en ce moment que par le désir que j'ai de donner à Votre Majesté une preuve de mon estime et de mon amitié, et je me flatte que les circonstances actuelles auront cela de bon, qu'elles seront la base d'une amitié durable et sincère, et me mettront à l'abri d'être calomnié par les ennemis du continent. Les Russes brûlent, en se retirant, les plus beaux villages. Si Votre Majesté veut m'assurer qu'ils évacueront tous ses États, je m'arrêterai à Brünn et cesserai de les poursuivre.

Sur ce, je prie Dieu , Monsieur mon Frère, qu'il veuille avoir Votre Majesté Impériale en sa sainte et digne garde.

De Votre Majesté Impériale, le bon frère,

Napoléon


Znaym, 18 novembre 1805

A M. Cambacérès

Je vous écris de Moravie. Ces trois quarts de la monarchie autrichienne sont en mon pouvoir, ainsi que ses magasins, ses arsenaux et tous ses établissements. Vos finances vont mal; aussi vos banquiers sont bien mauvais. A mon retour à Paris, qui ne tardera de quelques semaines, je m'occuperai d'y remédier.


Znaym, 18 novembre 1805

A M. Barbé-Marbois

Je ne vois pas de nécessité d'envoyer de l'argent en Italie. Je fais connaître au maréchal Masséna qu'il doit y pourvoir des contributions du pays vénitien. Quand je dis l'Italie, je n'entends point le Piémont ni Gênes, puisqu'ils sont français.

Il y a longtemps que je ne suis instruit de la situation des finances de l'armée; le payeur est loin de moi. Ce ne sera que dans quelques jours, à mon retour à Vienne, que je me ferai rendre compte de tout. Vous pouvez ne plus envoyer d'argent à cette armée-ci, même pour la solde, pourvu qu'elle soit assurée jusqu'au 11 frimaire (2 décembre).


Znaym, 18 novembre 1805

Au général Dejean

Monsieur Dejean, à dater du jour où le quartier général du maréchal Masséna est arrivé à Vicence, tous les services de l'armée d'Italie doivent être payés avec l'argent levé dans le pays vénitien.  Il a été mis une contribution dans Vérone autrichienne : il qu'elle aille au profit de l'armée. Annoncez donc au maréchal Masséna et aux administrations que la solde et l'entretien de l'armée sont à la charge du pays ennemi qu'occupe l'armée. Je ne conçois comment vous avancez que, dans les mois de vendémiaire et de brumaire, le séjour de l'armée en Allemagne n'a produit aucune économie. Je croyais cependant que la nourriture de 40,000 chevaux et de 150,000 hommes, soit en fourrages, soit en pain, viande et eau-de-vie, était bien quelque chose. Les prisonniers ne coûteront rien , si vous vous donnez de la sollicitude pour les distribuer aux propriétaires qui en ont besoin, ou pour les faire employer par M. Cretet. Donnez-vous pour cela le mouvement convenable. Il est inutile de dépenser actuellement de l'argent à Sampigny; j'ai des caissons de toute espèce à n'en savoir que faire. Il me suffit que la compagnie qui est chargée de se les procurer se procure les charretiers. Mais il est bien essentiel que j'aie les 3,600 chevaux dont j'ai fait les fonds. Il est inutile de payer la seconde partie de la masse des capotes. Au reste envoyez-moi l'état de ce qui a été donné et de ce qui reste à donner. J'ai ici des capotes plus qu'il ne m'en faut.


Znaym, 18 novembre 1805

Au vice-amiral Decrès

Je reçois votre lettre relative an combat de Cadix. J'attends les détails ultérieurs que vous m'annoncez, avant de me former une opinion décisive sur la nature de cette affaire. En attendant, je m'empresse de vous faire connaître que cela ne change rien à mes projets de croisières; je suis même fâché que tout ne soit pas prêt. Il faut qu'elles partent sans délai. Faites venir, par terre, toutes les troupes de terre qui sont à bord de l'escadre; elles attendront mes ordres à la première ville de France.


Znaym, 18 novembre 1805

Au général Clarke

L'Empereur, Général, pense qu'il est nécessaire d'instruire la ville de Vienne des principaux événements qui ont eu lieu.

La première chose dont vous devez vous occuper, c'est de faire faire la Gazette de Vienne; on dit que le même rédacteur peut continuer à y être employé. Vous pourriez lui faire connaître que, s'il se trouvait compromis, il pourrait suivre l'armée française; vous pourriez même lui promettre un sort en France, comme pension ou autrement; ce journaliste publierait des nouvelles de Vienne, comme vous les lui feriez parvenir.

Répandez dans la ville la fuite des Russes, la capitulation qu'ils voulaient faire pour gagner quelques jours et couvrir leur retraite, ainsi que le détail du combat de Guntersdorf, qui a eu lieu le 25 (16 novembre), et où 2,000 Russes ont été faits prisonniers, 1,500 tués, douze pièces de canon enlevées, 100 voitures de bagages; que nous sommes arrivés hier à Znaym, poursuivant l'arrière-garde de l'armée russe, faisant à chaque instant des prisonniers, et que nous avons trouvé des magasins assez considérables d'avoine et de farine.

Mettez-vous en contact avec les hommes influents du pays; annoncez l'arrivée prochaine de l'Empereur Napoléon.

Je vous ai écrit cette nuit pour faire préparer le casernement des divisions Dupont et Gazan.


Znaym, 18 novembre 1805, 9 heures du soir.  

Au maréchal Lannes

Mon Cousin, je reçois votre lettre d'aujourd'hui, qui m'apprend la bonne nouvelle que le général Sebastiani vient d'enlever 1,200 Russes. Mais le dernier paragraphe de votre lettre me fait de la peine. Je vous reproche constamment de trop vous exposer, et ce n'est vraiment m'aimer que d'exposer ainsi mes meilleurs amis. Si j'en voulais hier à quelqu'un, c'était à Walther, parce qu'il faut qu'un général de cavalerie suive toujours l'ennemi l'épée dans les reins, surtout dans les retraites; que je ne veux point que l'on ménage les chevaux quand ils peuvent prendre des hommes, et parce que j'ai la conscience qu'on pouvait faire hier ce qu'on a fait aujourd'hui.

On ne m'a amené hier que quelques blessés, et, après la manière dont vous aviez battu l'ennemi, j'espérais un millier d'hommes. Si l'on a fait aujourd'hui ce qu'on devait faire hier, je suis satisfait et je n'y pense plus. Il m'en a beaucoup coûté de donner cette journée-ci de repos aux grenadiers; mais j'y ai été porté par la pensée qu'il vaut mieux avoir une victoire moins complète que d'exposer de si braves gens à être malades. J'aspire après le moment où je pourrai les faire reposer un ou deux mois.

Vous allez recevoir des ordres de mouvement. J'espère que nous serons demain à Brünn. C'est une grande et belle ville; ce qui est nécessaire pour bien asseoir notre position, car on ne peut rester dans une ville comme Vienne comme avant-poste. Ménagez-vous et ne doutez jamais de mon amitié.


Znaym, 18 novembre 1805

26e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le prince Murat, instruit que les généraux russes, immédiatement après la signature de la convention, s'étaient mis en marche, avec une portion de leur armée, sur Znaym, et que tout indiquait que l'autre partie allait la suivre et nous échapper, leur a fait connaître que l'Empereur n'avait pas ratifié la convention, et qu'en conséquence il allait attaquer. En effet, le prince Murat a fait ses dispositions, a marché à l'ennemi et l'a attaqué le 25 (16 novembre), à quatre heures après midi, ce qui a donné lieu au combat de Guntersdorf, dans lequel la partie de l'armée russe qui formait l'arrière-garde a été mise en déroute, a perdu douze pièces de canon, 100 voitures de bagages, 2,000 prisonniers et 2,000 hommes restés sur le champ de bataille. Le maréchal Lannes a fait attaquer l'ennemi de front, et, tandis qu'il le faisait tourner par la gauche par la brigade de grenadiers du général Dupas, le maréchal Soult le faisait tourner par la droite par la brigade du général Levasseur, de la division Legrand, composée des 3e et 18e régiments de ligne. Le général de la division Walther a chargé les Russes avec une brigade de dragons et a fait 300 prisonniers.

La brigade de grenadiers du général Laplanche-Mortière s'est distinguée. Sans la nuit, rien n'eût échappé. On s'est battu à l'arme blanche plusieurs fois. Des bataillons de grenadiers russes ont montré de l'intrépidité. Le général Oudinot a été blessé; ses deux aides de camp chefs d'escadron Demangeot et Lamotte l'ont été à ses côtés. La blessure du général Oudinot l'empêchera de servir pendant une quinzaine de jours. En attendant, l'Empereur, voulant donner une preuve de son estime pour les grenadiers, a nommé le général Duroc pour les commander.

L'Empereur a porté son quartier général à Znaym le 26 (17 novembre), à trois heures après midi. L'arrière-garde russe a été obligée de laisser ses hôpitaux à Znaym, où nous avons trouvé des magasins de farine et d'avoine assez considérables. Les Russes se sont retirés sur Brünn, et notre avant-garde les a poursuivis à mi-chemin. Mais l'Empereur, instruit que l'empereur d'Autriche y était, a voulu donner une preuve d'égards pour le prince et s'est arrêté la journée du 27 (18 novembre).

Ci-joint la capitulation du fort de Kufstein, pris par les Bavarois. 

Le général Baraguey d'Hilliers a fait une incursion jusqu'à Pilsen, en Bohême, et a obligé l'ennemi à évacuer ses positions. Il a pris quelques magasins et a rempli le but de sa mission. Les dragons à pied ont traversé avec rapidité les montagnes couvertes de glaces et de sapins qui séparent la Bohême de la Bavière.

On ne se fait pas d'idée de l'horreur que les Russes ont inspirée eu Moravie. En faisant leur retraite, ils brûlent les plus beaux villages, ils assomment les paysans. Aussi les habitants respirent-ils en les voyant s'éloigner; ils disent : Nos ennemis sont partis. Ils ne parlent d'eux qu'en se servant du terme de barbares qui ont apporté chez eux la désolation. Ceci ne s'applique pas aux officiers, qui sont en général bien différents de leurs soldats, et dont plusieurs sont d'un mérite distingué; mais l'armée a un instinct sauvage que nous ne connaissons pas dans nos armées européennes.

Lorsqu'on demande aux habitants de l'Autriche, de la Moravie, de la Bohême, s'ils aiment leur empereur : Nous l'aimions, répondent-ils, mais comment voulez-vous que nous l'aimions encore? il a fait venir les Russes. 

A Vienne, le bruit avait couru que les Russes avaient battu l'armée française et venaient sur Vienne. Une femme a crié dans les rues : Les Français sont battus; voilà les Russes!. L'alarme a été générale, la crainte et la stupeur ont été dans Vienne. Voilà cependant le résultat des funestes conseils de Cobenzl, de Colloredo, de Lambertie. Aussi ces hommes sont-ils en horreur à la nation; et l'empereur d'Autriche ne pourra reconquérir la confiance et l'amour de ses sujets qu'en les sacrifiant à la haine publique; et, un jour plus tôt, un jour plus tard, il faudra bien qu'il le fasse.


Pohrlitz, 19 novembre 1805

27e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Depuis le combat de Guntersdorf, l'ennemi a continué sa retraite avec la plus grande précipitation. Le général Sebastiani, avec sa brigade de dragons, l'a poursuivi l'épée dans les reins. Les immenses plaines de la Moravie ont favorisé sa poursuite. Le 27 (18 novembre), à la hauteur de Pohrlitz, il a coupé la retraite à plusieurs corps et a fait dans la journée 2,000 Russes prisonniers de guerre.

Le prince Murat est entré le 27 (18 novembre - en réalité, Murat entre dans la ville le lendemain), à trois heures après midi, à Brünn, capitale de la Moravie, toujours suivant l'ennemi. L'ennemi a évacué la ville et la citadelle, qui est un très-bon ouvrage, capable de soutenir un siège en règle.

L'Empereur a mis son quartier général à Pohrlitz.

Le maréchal Soult, avec son corps d'armée, est à Niemtschitz.

Le maréchal Lannes est en avant de Pohrlitz.

Les Moraves ont encore plus de haine pour les Russes et d'amitié pour nous que les habitants de l'Autriche.

Le pays est superbe et beaucoup plus fertile que l'Autriche.

Les Moraves sont étonnés de voir, au milieu de leurs immenses plaines, les peuples de l'Ukraine, du Kamtschatka, de la grande Tartarie, et les Normands, les Gascons, les Bretons et les Bourguignons en venir aux mains et s'égorger, sans cependant que leur pays ait rien de commun, ou qu'il n'y ait entre eux aucun intérêt politique immédiat; et ils ont assez de bon sens pour dire, dans leur mauvais bohémien, que le sang humain est devenu une marchandise dans les mains des Anglais. Un gros fermier morave disait dernièrement à un officier francais, en parlant de l'empereur Joseph  II, que c'était l'empereur des paysans, et que, s'il avait continué à vivre, il les aurait affranchis des droits féodaux qu'ils payent aux couvents de religieuses.

Nous avons trouvé à Brünn soixante pièces de canon, trois cents milliers de poudre, une grande quantité de blé et de farine, et des magasins d'habillement très-considérables.

L'empereur d'Allemagne s'est retiré à Olmütz.

Nos postes sont à une marche de cette place.


Pohrlitz, 20 novembre 1805, 8 heures du matin 

Au maréchal Soult

Il est ordonné au maréchal Soult de se rendre à Austerlitz.

Le maréchal Berthier, par ordre de l'Empereur.


Brünn, 21 novembre 1805

28e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

L'Empereur est entré à Brünn le 29, à dix heures du matin.

Une députation des états de Moravie, à la tête de laquelle se trouvait l'évêque, est venue à sa rencontre. L'Empereur est allé visiter les fortifications et a ordonné qu'on armât la citadelle, dans laquelle on a trouvé plus de 6,000 fusils, une grande quantité de munitions de guerre de toute espèce, et entre autres quatre cents milliers de poudre.

Les Russes avaient réuni toute leur cavalerie, qui formait un corps d'environ 6,000 hommes, et voulaient défendre la jonction des routes de Brünn et d'Olmütz. Le général Walther les contint toute la journée, et, par différentes charges, les obligea à abandonner du terrain. Le prince Murat fit marcher la division de cuirassiers du général d'Hautpoul et quatre escadrons de la garde impériale. 

Quoique nos chevaux fussent fatigués, l'ennemi fut chargé et mis en déroute. Il laissa plus de 200 hommes, cuirassiers ou dragons d'élite, sur le champ de bataille; 100 chevaux sont restés dans nos mains.

Le maréchal Bessières, commandant la garde impériale, a fait, à la tête des quatre escadrons de la Garde, une brillante charge qui a dérouté et culbuté l'ennemi. Rien ne contrastait comme le silence de la Garde et des cuirassiers et les hurlements des Russes.

Cette cavalerie russe est bien montée, bien équipée; elle a montré de l'intrépidité et de la résolution; mais les hommes ne paraissent pas savoir se servir de leurs sabres, et à cet égard notre cavalerie a un grand avantage. Nous avons eu quelques hommes tués et une soixantaine de blessés, parmi lesquels se trouvent le colonel Durosnel, du 16e de chasseurs, et le colonel Bourdon , du 11e de dragons.

L'ennemi s'est retiré de plusieurs lieues.


Brünn, 21 novembre 1805

Au prince Joseph Napoléon

Vous avez jeté 26 millions dans l'eau, c'est très bien fait; mais avec quoi paierez vous la solde, l'entretien de mes troupes ? Je ne dois rien à Vanlerberghe; tant pis pour lui, s'il s'est avanturé avec l'Espagne dans des affaires qui ne meregardent pas. Il me suffit qu'il ne manque point par la faute du Trésor.

(Lecestre)


Quartier impérial, Brünn, 22 novembre 1805

A M. Cambacérès

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 20 brumaire. Je ne sais pas comment vous avez pu opiner pour donner 26 millions à M. Vanlerberghe. Est-ce dans un temps comme celui-ci que je dois être obligé de faire des avances à des hommes qui se sont enfournés dans de mauvaises affaires ?


Brünn, 22 novembre 1805

A M. Barbé-Marbois

Ce n'est pas sérieusement que vous me demandez mon approbation à la mesure que vous avez prise pour M. Vanlerberghe. Vous savez très-bien qu'il a toujours été contre mes principes, même en temps de paix, de faire des avances à des fournisseurs, et il est bien singulier qu'après m'avoir entretenu si souvent de l'insuffisance des moyens du trésor, vous me proposiez de donner 26 millions à un homme auquel je ne les dois pas, qui a très-bien fait son service tant qu'il l'a fait comme munitionnaire, mais qui, dans ces derniers temps, l'a fort mal fait. J'y perdrai les 26 millions, et cela ne sauvera point cet homme.

Quant à ce que vous dites des receveurs généraux, certes qu'il faut y revenir, et que là est le grand mal de la situation de nos affaires.

Je ne dis rien de la Banque; vous connaissez mon opinion là- dessus; elle n'a pas fait son métier un instant; elle a toujours agi eu contre-sens de son institution. J'espère, dans le courant du mois, être à Paris, et, par le désordre que je vois s'introduire dans les finances, je vous assure que j'en ai grande hâte. Un ministre a dit qu'il valait mieux donner 100 millions à Vanlerberghe que de le laisser manquer. Permettez-moi de dire que c'est là un propos de petites maisons. Ce ministre ne connaît pas probablement les chiffres et ne sait pas ce que c'est que 100 millions.


Quartier impérial, Brünn, 22 novembre 1805

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, je reçois votre dépêche du 29 brumaire (20 novembre). Je crois que je ne tarderai pas moi-même à me rendre à Vienne. Toutefois, si M. Haugwitz passe à Vienne avant que j'y sois, il me semble qu'il se trouvera là plus à même de faire des affaires que près de moi, qu'il pourra à peine voir. Vous pouvez donc entamer la question avec lui et chercher à savoir ce qu'il veut. Parlez-lui de l'occupation du Hanovre (je vous envoie différentes petites pièces qui vous feront connaître comment on s'y comporte), du passage des Suédois et des Russes par le nord pour entrer en Hanovre et en Hollande; non que je les craigne, puisque j'ai fait réunir dans le nord une armée assez puissante pour leur en imposer : mais enfin j'avais lieu de croire que les Prussiens entraient en Hanovre pour empêcher les Russes et les Suédois d'y pénétrer. Touchez quelques mots du mauvais accueil et de l'insulte faite au général Duroc et à M. Laforest. Quels que soient les sujets de refroidissement, ce n'est pas toutefois une raison pour qu'on ne reçoive pas des ambassadeurs et qu'on n'écoute pas ce qu'ils ont à dire. Demandez pourquoi l'on forme des armées contre moi : l'on me menace donc ? La Prusse veut donc m'imposer des conditions ? Et, si les trois puissances qui ont partagé la Pologne sont tellement d'accord pour faire la guerre contre moi, qu'y puis-je faire ? Quelle garantie aurai-je qu'une première condescendance ne m'obligera pas à une seconde ? Au milieu de tout cela, dites que vous ne m'avez pas vu depuis longtemps; enfin essayez de toutes les manières à pénétrer ce que veut M. Haugwitz. Parlez d'une convention qui aurait été signée le 3 novembre, à ce que disent les Autrichiens, et qui serait pareille en tout à celle du partage de la Pologne; mais la France n'est pas la Pologne; cela mettra le continent en feu pour plusieurs années; mais personne n'a le droit de calculer pour qui sera le succès. Bref, tâchez de démêler ce qu'il veut. Pour être médiateur, il faut être impartial : le roi de Prusse l'est, si, laissant traverser ses États par les Russes, j'ai aussi la même faculté; il l'est, si, laissant traverser le nord à une armée suédoise, je puis aussi traverser le nord pour aller à sa rencontre. Faites-lui bien connaître que, s'il veut sincèrement la paix, la conduite de la Prusse l'éloigne. Enfin tâchez de vous mettre au fait et de pénétrer, s'il est possible, le système de la Prusse. Les nouvelles sont ici que l'empereur de Russie était à Olmütz il y a trois jours, et qu'il est parti pour la Russie.


Quartier impérial, Brünn, 22 novembre 1805

Au général Lauriston

Monsieur le Général Lauriston, retardez tous les passages de munitions d'artillerie par Braunau; j'en ai une immense quantité à Vienne et partout, dont je ne sais que faire. J'ai ordonné au général Songis de faire rétrograder le grand parc. Assurez-vous que l'ordre qui a été donné au directeur par le général Songis est postérieur à notre entrée à Vienne. Vous dites qu'il manque de bouches à feu à Passau : eh! mon Dieu, j'en ai des milliers à Vienne; ne faites donc rien venir d'Augsbourg.


Brünn, 22 novembre 1805

Au maréchal Masséna

Je vous fais connaître, Monsieur le Maréchal, l'entrée de l'armée française à Vienne. Une colonne russe, battue à Krems par le maréchal Mortier, s'est retirée sur Brünn; l'Empereur est parti de Vienne pour la couper; son arrière-garde a été atteinte par le prince Murat et le maréchal Lannes, qui l'ont combattue à Hollabrunn; les Russes en ce combat opiniâtre, ont perdu 3,000 hommes.

Le maréchal Bernadotte a été détaché sur la route de Bohême; il est à Budwitz, sur la route de Prague.

Le reste de l'armée a poursuivi l'ennemi jusqu'à Brünn, où l'ennemi nous a abandonné la place et le fort, avec toute son artillerie et des magasins considérables de vivres et de munitions. A deux lieues au delà de Brünn , le prince Murat a rencontré la cavalerie ennemie, forte de 4,000 hommes; il s'est engagé un combat de cavalerie à cavalerie : celle de l'ennemi a été culbutée et repoussée jusqu'à moitié chemin de Brünn à Olmütz.

Le général Marmont est à Graz et le maréchal Ney à Innsbruck. Kufstein, Scharnitz sont pris. Le maréchal Augereau doit être parti de Kempten.

L'intention de l'Empereur, Monsieur le Maréchal, est que vous poursuiviez l'ennemi sans relâche. Laissez un corps d'observation devant Venise; laissez-en un autre devant Palmanova, et poursuivez l'ennemi l'épée dans les reins, afin qu'il ne puisse pas se jeter sur nous, étant au moment de nous trouver en présence de toutes les forces de l'armée russe. L'Empereur attend donc avec la plus grande impatience l'arrivée de vos troupes à Laybach ou à Graz, parce que, dans cette position, vous contiendrez le prince Charles et l'empêcherez de venir, par le Danube, à la hauteur de Vienne par la Hongrie; s'il faisait cette manœuvre, vous auriez le temps d'attendre des ordres, soit pour vous porter en Hongrie, soit pour vous approcher de la Grande Armée.

Vous laisserez toutes les troupes italiennes, ainsi que les Polonais, à la disposition du vice-roi, l'intention de l'Empereur étant de ne les laisser pénétrer dans le Tyrol que quand il connaîtra leur état de situation; mais il donnera de nouveaux ordres à cet égard.

Le maréchal Berthier, par ordre de l'Empereur.


Quartier impérial, Brünn, 23 novembre 1805

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, je crois que les Autrichiens ont quelque chose de plus sérieux à penser qu'à enlever l'Électrice. Quand ils l'enlèveraient, que diable voulez-vous qu'ils en fassent ?

Je ne vais pas tarder à me rendre à Vienne, ayant pris le parti de donner du repos à mes troupes, qui en ont un excessif besoin.

J'imagine que vos courriers vous arrivent de Paris et vous tiennent au courant de ce qui se passe en Europe. Vous trouverez ci-joint une proclamation assez ridicule de l'empereur d'Allemagne. Nous nous écrivons, de part et d'autre, beaucoup de lettres sans en venir à grand'chose. Cobenzl, qui les fait, croyait me duper; mais il n'y réussit pas. Il paraît qu'ils continuent à se jeter dans les bras des Russes. Les Parques filent la vie des hommes; les destins ont assigné à chaque État leur durée. Une aveugle fatalité pousse la Maison d'Autriche.

Je vous prie d'étudier le système de la banque et des finances de ce pays, afin de me mettre au fait à ma prochaine arrivée à Vienne.


Quartier impérial, Brünn, 23 novembre 1805

Au général Lauriston

Monsieur le Général Lauriston, continuez à faire embarquer tous les hommes isolés pour nous joindre. Ne retenez donc rien de ce qui appartient à l'armée. Renvoyez les 400 chasseurs des 2e et 12e de chasseurs. Faites partir des dépôts tout ce qui peut nous joindre. Nous avons surtout besoin de cavalerie. Visitez les places de Passau et de Burghausen , et écrivez qu'on y envoie l'artillerie convenable; on peut en faire passer de Vienne; il y en a une grande quantité. Enfin rétablissez le bon ordre et faites des exemples.


Brünn, 23 novembre 1805

29e BULLETIN DE LA GRANDE ARMÉE

Le maréchal Ney a fait occuper Brixen, après avoir fait beaucoup de prisonniers à l'ennemi. Il a trouvé dans les hôpitaux un grand nombre de malades et de blessés autrichiens. Le 26 brumaire (17 novembre), il s'est emparé de Klausen et de Botzen.

Le général Jellachich, qui défendait le Vorarlberg, était coupé.

Le maréchal Bernadotte occupe Iglau. Ses partis sont entrés en Bohême.

Le général Wrede, commandant les Bavarois, a pris une compagnie d'artillerie autrichienne, 100 chevaux de troupe, 50 cuirassiers et plusieurs officiers. Il s'est emparé d'un magasin considérable d'avoine et autres grains, et d'un grand nombre de chariots attelés chargés du bagage de plusieurs régiments et officiers autrichiens.

L'adjudant commandant Maison a fait prisonniers, sur la route d'Iglau à Brünn, 200 hommes des dragons de Latour et des cuirassiers de Hohenlohe. Il a chargé un autre détachement de 200 hommes et a fait 150 prisonniers.

Des reconnaissances ont été poussées jusqu'à Olmütz.

La Cour a évacué cette place et s'est retirée en Pologne.

La saison commence à devenir rigoureuse. L'armée française a pris position; sa tête est appuyée par la place de Brünn, qui est très-bonne, et qu'on s'occupe à armer et à mettre dans le meilleur état de défense.


Quartier impérial, Brünn, 24 novembre 1805

ORDRE DU JOUR

Tout le Tyrol est occupé par notre armée.

L'Empereur témoigne sa satisfaction aux corps de M. le maréchal Ney. Scharnitz a été enlevé. Les troupes de l'électeur de Bavière se sont emparées de la forteresse de Kufstein. Une colonne ennemie se trouve coupée dans le Vorarlberg; elle est entre le corps du maréchal Ney et celui du maréchal Augereau. Notre jonction avec l'armée d'Italie est opérée; nous sommes maîtres du pays vénitien, du Tyrol et de Salzburg. Ainsi notre droite est appuyée à l'Adriatique et notre gauche à la Bohême, à Brünn, place forte, sans que, dans l'intervalle ni sur nos derrières, il y ait aucun poste, aucune place forte, aucun corps ennemi. Les magasins, les arsenaux sont en notre pouvoir. Aux places fortes du Tyrol il faut joindre celles que nous avons sur l'Inn et en Moravie.

Il n'est pas de jour où il n'arrive des nouvelles que des débris de l'armée autrichienne sont tombés en notre pouvoir.

L'intention de l'Empereur est de donner quelques moments de repos à l'armée; les chefs de corps doivent en profiter pour faire réparer rhabillement et la chaussure, nettoyer les armes et rallier tout le monde. Ils auront soin de faire un état des traîneurs qui, sans cause légitime, seront restés sur les derrières; ils recommanderont aux soldats de leur en faire honte, car, dans une armée française, la plus forte punition, pour celui qui n'a pas su prendre part aux dangers et à la gloire, est la honte qui lui est imprimée par ses camarades. Enfin, s'il en est qui se trouvent dans ce cas, l'Empereur ne doute pas qu'ils ne soient empressés, aux premières actions, de se rallier et de serrer de près leurs drapeaux.

Les chefs de corps écriront à leurs majors pour avoir la situation des dépôts, et, dès qu'ils l'auront reçue, ils la feront passer au major général.

Les nouvelles de France annoncent que tous les conscrits sont partis et arrivent de tous côtés.

L'Empereur recommande à chaque homme d'avoir sa baïonnette, qui fut toujours l'arme favorite du soldat français.

Le maréchal Berthier, par ordre de l'Empereur.


Quartier impérial, Brünn, 25 novembre 1805

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, l'empereur d'Allemagne vient de m'envoyer M. de Stadion et M. de Gyulai, avec des pleins pouvoirs en règle pour négocier, conclure et signer une paix définitive. Comme j'ai  fait connaître à l'empereur, par une lettre, et une conférence avec M. de Gyulai, que la première condition de la paix était la réunion de l'État de Venise au royaume d'Italie, j'ai tout lieu de penser que la cour de Vienne a pris son parti là-dessus.

Ces messieurs sont autorisés à vous voir, et vous êtes autorisés à traiter avec eux. Ils savent l'état de la question par ce que je le ai dit en peu de mots; mais vous devez la traiter doucement et longuement. Mon intention est absolument d'avoir l'État de Venise et de le réunir au royaume d'Italie.

Vous ne manquerez pas de leur parler de l'impossibilité de leur laisser le Tyrol, la Souabe, ce qu'il convient de garder pour la Bavière, etc. Vous tâcherez aussi de les deviner, si cela vous est possible. Mon intention est que, si les négociations doivent durer, elles s'établissent à Linz, pour être un peu éloignées du théâtre de guerre.

M. Haugwitz arrive demain à Iglau; j'ai ordonné qu'on l'y retînt toute la journée; après-demain il sera ici. J'ai voulu éviter qu'il se rencontrât avec MM. de Stadion et Gyulai, qui partent demain matin pour Vienne. Dites à M. Maret de rédiger vos pleins pouvoirs.


Quartier impérial, Brünn, 25 novembre 1805

A l'empereur de Russie

Sire, j'envoie mon aide de camp le général Savary près Votre Majesté, pour la complimenter sur son arrivée à son armée. Je le charge de lui exprimer toute mon estime pour elle, et mon désir de trouver des occasions qui lui prouvent combien j'ambitionne son amitié. Qu'elle le reçoive avec cette bonté qui la distingue, et me tienne comme un des hommes les plus désireux de lui être agréables. Sur ce, je prie Dieu qu'il veuille avoir Votre Majesté Impériale en sa sainte et digne garde.


Quartier impérial, Brünn, 25 novembre 1805

ORDRE DU JOUR

L'Empereur voit avec peine les désordres qui se commettent en arrière de l'armée ; ils deviennent tels qu'ils doivent fixer toute son attention. Des mauvais sujets cherchent à déshonorer l'armée, et au lieu de se trouver à leurs drapeaux et devant l'ennemi, ils restent en arrière où ils commettent toute espèce d'excès et même des craintes.

Sa Majesté ordonne qu'il soit formé sur-le-champ cinq colonnes mobiles, composées chacune : d'un adjudant commandant ou colonel, d'un chef d'escadron, d'un capitaine d'infanterie, d'un officier de gendarmerie, d'un magistrat du pays, faisant fonctions de rapporteurs.

Ces officiers formeront autant de commissions militaires qu'il y a de colonnes mobiles.

La première de ces commissions étendra sa juridiction sur le cercle de Vienne, la deuxième sur le cercle de Saint-Pölten, la troisième sur le cercle de Steyer, la quatrième sur le cercle de Linz, la cinquième sur le cercle d'Unter-Mannhartsberg.

A la suite de ces commissions, et sous les ordres de l'adjudant commandant, il y aura trois brigades de gendarmerie, 60 dragons à cheval et 90 hommes d'infanterie. Chaque détachement de dragons sera commandé par un chef d'escadron, chaque détachement d'infanterie sera commandé par un capitaine, chaque détachement aura le nombre d'officiers prescrit par les règlements militaires en raison de sa force.

Le général Bourcier fournira les dragons pour la colonne mobile de Vienne et pour celle de Saint-Pölten.

Le 20e régiment de dragons fournira les dragons pour la colonne mobile du cercle de Stever et pour celui de Linz.

Le général Beaumont fournira les dragons pour la colonne mobile du cercle de Unter-Mannhartsberg.

Le corps d'armée de M. le maréchal Davout fournira les détachements d'infanterie pour les cercles de Vienne, de Saint-Pölten et de Unter-Mannshartsberg.

La garnison de Linz fournira l'infanterie pour le cercle de Steyer et pour celui de Linz.

Quant au cercle de Braunau, Sa Majesté s'en rapporte au gouverneur général ; mais elle autorise, dans cette partie, la formation d'une commission militaire ayant la même autorité et le mêmes droits que celles ci-dessus.

Tout traîneur, qui, sous prétexte de fatigue, se sera détaché de son corps pour marauder, sera arrêté, jugé par une des commissions militaires, et exécuté sur l'heure.

L'adjudant commandant de chaque colonne mobile rendra compte tous ls jours au major général du lieu où il se trouvera et des opérations de la commission.

Ces colonnes, qui seront fortes de plus de 150 hommes, se diviseront en autant de petites patrouilles que l'adjudant commandant jugera convenable, afin de se porter partout où besoin sera.

Auprès de chaque commission il y aura un magistrat du cercle que désignera M. le gouverneur général de l'Autriche.

Chaque commission se rendra sur tous les points où elle jugera sa présence nécessaire, dans l'arrondissement du cercle.

Le major général, maréchal Berthier.

(Lecestre)


Brünn, 26 novembre 1805

ORDRE DU JOUR

La route de communication entre les frontières de France et la Grande Armée sera établie à l'avenir par Strasbourg, Cannstatt, Ulm et Augsburg ; la route de Spire reste supprimée et le pont est levé.

Les lieux d'étapes de Strasbourg à Augsburg seront :

Rhein-Bischofsheim,
Rastatt,
Ettlingen,
Pforzheim,
Enzweihingen,
Cannstatt,
Plochingen,
Ulm,
Günzburg,
Et Zusmarshausen.

D'Augsburg à Vienne, les gîtes subsisteront tels qu'ils sont à présent, à l'exception d'Enns et de Purkersdorf qui seront établis lieux d'étape.

De Vienne à Brünn, les gîtes seront ;

Stammersdorf,
Gaunersdorf,
Poysdorf,
Et Mariahilf.

On se rendra de Purkersdorf à Stammersdorf sans entrer à Vienne.

Tous ces lieux d'étape auront des commandants d'armes, des commissaires des guerres ou adjoints, et seront pourvus de tout ce qui est nécessaire.

Nombre de militaires, incommodés ou blessés légèrement, les uns avec des billets d'évacuation, les autres sans billets, se portent vers le Rhin.

Le major général rappelle que l'évacuation des hôpitaux placés sur le Danube doit se faire sur Augsburg et non sur les établissements accidentels de lieux d'étape au delà du Danube : toute évacuation de ce genre doit cesser à l'instant, et les militaires restés en arrière doivent être dirigés sans délai sur l'armée.

Sa Majesté est informée qu'on délivre avec une facilité criminelle des feuilles de route pour rétrograder : quelques hommes sont envoyés aux dépôts de leurs corps ; on donne à d'autres des missions au delà du Rhin, dont le but est inconnu ou presque toujours étranger au service de l'armée. Sa Majesté a défendu, dès le commencement de la campagne, qu'aucun militaire repassât le Rhin ; elle ordonne que tous ceux qui rétrograderont, munis d'une permission illégale, soient arrêtés et reconduits à leurs corps, de brigade en brigade. Elle rend personnellement responsables les chefs de corps et les commissaires des guerres qui se permettraient de donner une autorisation quelconque de ce genre, sans être approuvée par le major général.

Un prétendu garde-magasin nommé Aaron ou Arens, s'est introduit dans le magasin de sel à Melk et en a vendu une partie à son profit ; il est ordonné que cet individu soit arrêté partout où il se trouvera et livré aux tribunaux, pour être puni suivant la rigueur des lois.

Le major général, maréchal Berthier.


Quartier impérial, Brünn, 26 novembre 1805

A M. Maret, à Vienne

Il n'est plus question de faire des bulletins, puisqu'il n'y a pas d'événements qui en méritent la peine. Faites seulement mettre dans le Moniteur que Sa Majesté a conféré fort longtemps avec M. de Stadion et M. Gyulai, ministres plénipotentiaires de Sa Majesté l'empereur d'Allemagne.


Quartier impérial, Brünn, 26 novembre 1805

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, après toutes les conversations particulières que j'ai eues avec le général Gyulai, il me paraît que la Maison d'Autriche, perdant Venise, voudrait incorporer Salzburg à ses États, sauf à indemniser l'Électeur dans quelque partie de l'Allemagne. Il me parle de l'Ordre teutonique, de la diète de Ratisbonne, et de ne je sais quoi encore. Il me paraît que Haugwitz est arrivé aujourd'hui à Iglau; il sera demain ici. Vous ne me parlez point des nouvelles qui doivent vous arriver de mes différents ministres.


Brünn, 26 novembre 1805

Au maréchal Davout

L'Empereur me charge de vous communiquer, Monsieur le Maréchal, ses idées sur l'ordre de bataille qu'il faut prendre vis-à-vis des Russes; cet ordre de bataille devra, autant que faire se pourra, être pris de la manière suivante :

Chaque brigade, son premier régiment en bataille;

Le deuxième régiment en colonne serrée, par division;

Le 1e bataillon, à la droite et en arrière du le bataillon du premier régiment;

Le 2e bataillon, à gauche et en arrière du 2e bataillon; 

L'artillerie, dans l'intervalle des deux bataillons qui sont en bataille, et quelques pièces à droite et à gauche.

Si la division a un cinquième régiment, il devra être en réserve, cent pas en arrière; un escadron, ou au moins une division de cavalerie derrière chaque brigade, pour pouvoir passer par les intervalles, poursuivre l'ennemi s'il était rompu, et faire face aux Cosaques.

Dans cet ordre de bataille, vous vous trouverez dans le cas d'opposer à l'ennemi le feu de la ligne, et des colonnes serrées toutes formées pour opposer aux siennes.

Le maréchal Berthier, par ordre de l'Empereur.


Brünn, 26 novembre 1805, 9 heures du soir

Au maréchal Davout

L'Empereur, Monsieur le Maréchal, ordonne que vous vous empariez du pont que l'ennemi a sur la March à Neudorf.

Si la division du général Gudin est partie pour se rendre à Presbourg, vous devez vous y rendre vous-même pour y arranger postes.

S'il y a un bois à proximité de cette place, Sa Majesté veut qu'on en profite pour y baraquer la division Gudin comme les troupes baraqué à Boulogne, avec la seule différence que le camp formera un carré occupant le moins d'espace possible.

Ce camp devrait être placé de manière à être dans une position qui rende maître du Danube et de la March.

A 100 toises, aux extrémités du carré, on construirait quelques redoutes.

La cavalerie serait aussi cantonnée et aurait ses avant-postes au-delà de Presbourg.

Quoique le général Gudin fût maître de la ville., il y laisserait faire la police comme à l'ordinaire; mais l'Empereur défend que personne ne loge la nuit à la ville; tout le monde devra être au camp.


Brünn, 26 novembre 1805

Au prince Joseph Napoléon

Je suis toujours à Brünn. J'ai accordé ces jours-ci quelques conférences à MM. de Stadion et de Giulay. Je reois demain M. de Haugwitz, ministre du roi de Prusse. J'espère arriver à conclure la paix sous très peu de temps. Vous ne doutez pas du très grand désir que j'ai d'être de retour à Paris. Voyez si les Tuileries sont enfin arrangées; il me semble qu'elles devraient être prêtes le 1er novembre. Les empereurs d'Allemagne et de Russie sont à Olmutz. L'armée russe reçoit successivement différents renforts.

(Lecestre)


Palais impérial de Brünn, 28 novembre 1805

DÉCRET

ARTICLE ler. - Il sera levé une contribution de cent millions de francs (argent de France) sur l'Autriche, la Moravie et les autres provinces de la Maison d'Autriche occupées par l'armée française.
ART. 2. - Cette somme est donnée en gratification à l'armée, conformément à l'état de distribution que nous arrêterons.
ART. 3. - Le prix de tous les magasins de sel, de tabacs, des fusils, de la poudre et des munitions de guerre qui ne sont pas nécessaires à l'armement de notre armée, et que notre général d'artillerie ne fera point transporter en France et que nous jugerons devoir être vendus, sera versé dans la caisse de notre armée pour lui être distribué en gratification.
ART. 4. - Sur les premiers fonds qui rentreront de cette contribution, ainsi que sur ceux provenant de la contribution de Souabe, il sera payé trois mois de solde en gratification à tout général, officier et soldat qui a été ou sera blessé dans la présente guerre.
ART. 5. - Notre ministre de la guerre est chargé de l'exécution du présent décret.


Brünn, 28 novembre 1805, 7 heures du soir

Au général Cafarelli

Il  est ordonné au général Caffarelli de mettre à l'ordre de sa division que l'on prépare les armes, que l'on se munisse de cartouches; qu'il y aura une grande bataille. Il parlera à ses généraux de brigade et à ses colonels, et il se mettra en marche, avec sa division, à une heure du matin. Il marchera en guerre, sans traînards, et avec son artillerie, et sans aucune espèce de bagage; il sera rendu, demain 28, avec sa division, à six heures du matin, à Brünn, et il continuera sur-le-champ sa route sur celle d'Olmütz. Il enverra près de moi un aide de camp, pour lui faire connaître la position à occuper. 

Il est probable qu'à huit heures du matin l'action sera vigoureusement engagée. 

Le maréchal Berthier, par ordre de l'Empereur


Brünn, 28 novembre 1805, 8 heures du soir

Au maréchal Bernadotte

Il est ordonné à M. le maréchal Bernadotte de faire diriger plus promptement possible son avant-garde sur Brünn; il lui est ordonné de se mettre lui-même en marche avec ses troupes, sans perdre un moment, pour arriver le plus tôt possible à Brünn.

Il enverra près de moi, et à l'avance, un de ses aides de camp, pour me faire connaître l'arrivée successive de ses troupes, et connaître la position qu'il devra occuper au delà de Brünn.

Il préviendra les Bavarois de tous ses mouvements, afin qu'ils serrent à lui et qu'ils puissent manœuvrer suivant les circonstances.

Le maréchal Bernadotte préviendra son armée qu'il y aura bataille au delà de Brünn, demain ou après; il fera mettre les fusils en état, aura des cartouches; son artillerie marchera en guerre, et il prendra du pain, ce qu'il pourra. (des lettres identiques sont envoyées à Davout, Mortier, aux généraux Boyer et Marmont).


Palais impérial de Brünn, 28 novembre 1805

ORDRE DU JOUR

L'Empereur ordonne d'acquitter la solde à la troupe jusqu'au 1er frimaire et les appointements de MM. les officiers jusqu'au 1er nivôse. La solde sera payé en billets de la banque de Vienne. S.M. accorde le tiers en sus de la solde et des appointements.

Le payeur général fera verser sur le champ dans les caisses des payeurs de chaque corps d'armée les fonds nécessaires pour payer la troupe jusqu'au 1er frimaire et MM. les officiers jusqu'au 1er nivôse.

Le major général Berthier

(Picard)


Palais impérial de Brünn, 28 novembre 1805

DÉCISIONS

Rapport du ministre de la guerre à l'Empereur

Sa Majesté m'ayant fait connaître que son intention était que ses aides de camp fussent remboursés d leurs frais de poste, à raison de 10 francs par poste, sur les fonds du chapitre 7 de mon ministère, je La prie de vouloir bien mettre son approuvé sur ce rapport

Berthier

Approuvé

 

Le ministre demande si l'habillement des troupes italinnes faisant partie du corps d'armée qui était aux ordres du général Saint-Cyr dans le royaume de Naples et qui est en ce moment réuni à l'armée d'Italie, continuera d'être à la charge de la France. Décidé conformément à l'opinion du ministre

Au bivouac à deux lieues en avant de Brünn, 30 novembre 1805, 4 heures du soir

A M. Talleyrand

Monsieur Talleyrand, je désire faire la paix promptement. Je ne serais pas éloigné de laisser Venise à l'électeur de Salzburg, et Salzburg à la Maison d'Autriche. Je prendrai tout Vérone, tout Legnano avec 5,000 toises autour, et le fort de la Chiusa, pour le royaume d'Italie. Les troupes autrichiennes ne pourraient pas entrer dans le pays de Venise, et l'Électeur serait dans la plus grande indépendance; il pourrait s'appeler, si l'on veut, roi de Venise. Parme et Plaisance et Gênes, nous resteraient. Il n'y a point de difficultés pour la séparation des couronnes de France et d'Italie, mais jusqu'à l'arrangement général des affaires d'Europe, ou plus tard, mais pas plus tard qu'à ma mort. L'électorat de Bavière serait érigé en royaume de Bavière; on lui donnerait Augsbourg et Eichstaedt, l'Ortenau et le Brisgau, la noblesse immédiate; le reste aux deux autres électeurs.

Il y aurait une manière adroite de faire entrer dans la rédaction du traité la notification de l'acte de garantie que j'aurais fait aux trois électeurs. Je restituerai toute l'artillerie, les magasins, les places fortes; je ne lèverai plus aucune contribution, ni n'exigerai le payement de celles que j'ai imposées. On me donnera cinq millions payables de différentes manières.

Vous aurez vu M. Haugwitz. Il a mis dans sa conversation avec moi beaucoup de finesse, je dirai même beaucoup de talent; j'ai conservé cependant l'idée, tant de la lettre que de son discours, qu'on était incertain à Berlin sur le parti à prendre. Vous lui demanderez des explications sur l'entrée à Hanovre de l'armée combinée. Il est convenu qu'il répondrait que ces troupes y sont entrées conformément aux principes du Roi, qu'il m'a manifestés plusieurs fois; que le Roi ne voulait pas que la guerre s'établît dans le nord, et qu'en conséquence de ces principes il empêchera l'armée russo-suédoise-anglaise de passer par le nord et de se porter en Hollande.

Il y aura probablement demain une bataille fort sérieuse avec les Russes; j'ai beaucoup fait pour l'éviter, car c'est du sang répandu inutilement. J'ai eu une correspondance avec l'empereur de Russie : tout ce qui m'en est resté, c'est que c'est un brave et digue homme mené par ses entours, qui sont vendus aux Anglais, mais au point qu'ils veulent m'obliger de donner Gènes au roi de Sardaigne et de renoncer à la Belgique ! Vous allez tomber à la renverse quand vous apprendrez que M. de Novosiltzof a proposé de réunir la Belgique à la Hollande. Aussi tous les gens raisonnables les ont jugés fous et ont dit : Tout ce qui entoure l'empereur en est encore aux mêmes idées ! Donnez des nouvelles à Maret. Écrivez-en à Paris; ne parlez pas de la bataille, car ce serait trop inquiéter ma femme. Ne vous alarmez pas; je suis dans une forte position; je regrette ce qu'il en coûtera, et presque sans but.

Quant aux pouvoirs, vous les avez par la nature des choses. Mandez à Paris que, bivouaquant depuis quatre jours au milieu de mes grenadiers, je n'écris que sur mes genoux, et ne puis dès lors guère écrire. Du reste, je me porte très-bien.


1 - 15 novembre 1805