Consulat - Premier Empire
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Discours sur l'État de l'Empire - 1806


Messieurs les Députés des départements au Corps législatif,

Je suis chargé par S. M. l'Empereur de vous rendre compte de la situation de l'Empire pendant l'année qui vient de s'écouler.

Ses destinées venaient d'être fixées sur une base immuable; une cérémonie dont le souvenir formera une époque dans nos annales avait élevé le chef de l'État et son auguste famille à la dignité qui demandaient et les vœux et les besoins de la France, lorsque , l'année dernière, vous vous réunîtes dans cette enceinte que vint consacrer sa présence. Ce fut au milieu de vous que brillèrent les premiers rayons de cet éclat immortel dont l'ont environné les hommages du peuple et les bénédictions du ciel, augure heureux pour les travaux auxquels vous alliez vous livrer : aussi vos opérations ont-elles ré- pondu à son attente, car toutes ont été utiles. 1:amour du bien public , l'inspiration du génie ont guidé tous vos pas, et l'unité établie dans l'Empire et si solennellement proclamée a semblé mettre plus d'harmonie encore dans vos sentiments et dans vos délibérations.

L'Empereur, à son tour, vous avait annoncé qu'il envisageait une grande dette dans ses nouveaux honneurs. Tous ses instants ont été consacrés à l'acquitter. Vous savez s'il a rempli ses promesses, et à quel point il a surpassé votre attente; vous savez de quels événements, peut-être direz-vous de quels prodiges, une année, à peine écoulée, a été remplie; je les rappellerai, sans prétendre les raconter ni en décrire les immenses résultats. L'Europe, encore immobile d'étonnement et de crainte, la France, transportée d'admiration et d'amour, me dispensent de dire ce que j'essayerais vainement d'exprimer.

A peine vos travaux étaient terminés, lorsque l'Empereur entreprit de visiter une partie de la France. Si partout il a été salué par les témoignages, les plus vifs et les plus unanimes des affections publiques, si les habitants des villes et des campagnes sont accourus au-devant de lui en lui offrant l'hommage de leur reconnaissance et de leur amour, il n'a pas éprouvé une jouissance moins chère à son cœur en voyant de ses propres yeux les résultats d'une administration constamment animée  depuis six ans, par la plus généreuse sollicitude pour le bien des peuples et la restauration de l'ordre public. Il a vu les traces de nos malheurs effacées, et leurs souvenirs même presque éteints, les lois respectées , les magistrats livrés avec zèle à leurs devoirs , les mœurs épurées , les idées religieuses en honneur, l'urbanité française rendue à son ancienne délicatesse. Si quelques améliorations restaient encore à opérer, ce n'étaient plus ces réparations qui succèdent à de grands désastres, c'étaient ces perfectionnements qui appartiennent à un temps de calme et de prospérité; cependant l'Empereur a voulu les connaître, les accomplir.  Il a appelé à lui tous ceux qui, par leurs fonctions ou leurs lumières, pouvaient seconder ses vues , admis tous ceux qui avaient des grâces à solliciter, accueilli les demandes, écouté , provoqué les observations, récompensé les services, vu lui-même les moindres détails, et partout il a laissé , dans les mesures d'une haute sagesse, des monuments durables de son passage.

Troyes reçoit ses premiers regards, et obtient ses premiers bienfaits; ces bienfaits lui promettent une existence digne de son ancienne célébrité.

Le projet d'une navigation de la Seine se faisant par les mêmes bateaux de Paris à Châtillon, non loin de sa source, est conçu; les détails en sont arrêtés. L'amélioration de celle de la Saône est projetée; les villes qu'elle baigne reçoivent des embellissements; les quais de Chalon, Tournus, Macon, doivent être restaurés et agrandis. Macon verra s'élever dans ses murs une cathédrale plus belle que celle dont elle regrette la destruction; l'Empereur contribue à cette construction d'une somme considérable prise sur ses propres revenus. La Seille, rendue navigable, sera un nouveau bienfait pour le département de Saône-et-Loire. Le département de l'Ain se réveille à la vue de son souverain qui vivifie tout , et qui s'occupe avec intérêt d'accroître son industrie et de corriger l'insalubrité d'une partie de son territoire.

Lyon , déjà comblée des bienfaits de celui qui releva ses édifices et repeupla ses ateliers, croit n'avoir plus de vœux à former, et n'éprouve que le besoin d'entourer de ses justes transports le libérateur qu'elle chérit. Mais la sollicitude de l'Empereur pour cette capitale de l'industrie française n'est point épuisée, et, lorsqu'on ne l'entretient que de reconnaissance , son regard découvre encore les moyens d'accélérer les progrès d'une prospérité toujours croissante depuis son règne; les parties méridionales de la ville seront assainies; le Rhône sera contenu dans ses rives et rapproché de la ville qu'il semble vouloir abandonner. De sages règlements fixent la fidélité dans les ateliers et garantissent la confiance du consommateur étranger, sans gêner la liberté de l'industrie; des récompenses décernées par l'Empereur lui-même redoublent l'émulation des ouvriers; une école de dessin assurera le perfectionnement de l'art. Lyon communiquant avec la mer par le midi, bientôt avec le Rhin par le canal Napoléon, avec l'Océan et la Manche par la Saône, la Loire et la Seine, débouché de la Suisse et du Piémont, jouira d'un entrepôt qui, développant le bienfait d'une situation si heureuse, achèvera de la rendre le centre d'un vaste commerce.

L'ancienne Savoie, longtemps opprimée par la politique de ses souverains, heureuse d'être réunie par ses lois à une patrie à laquelle elle appartint toujours par ses mœurs, offre à l'Empereur des cœurs fidèleset déjà éprouvés. Tout est en mouvement dans ces vallées jadis presque inaccessibles, bientôt ouvertes aux communications les plus fécondes. Mais les grandes opérations dont elle est le théâtre ne laissent point négliger ses moindres intérêts : le château de Chambéry renaît de ses cendres; des édifices abandonnés sont rendus à l'utilité publique; des asiles sont ouverts à l'indigence ; des points de repos sont assurés aux voyageurs; le germe de l'industrie est semé sur un sol auquel il paraissait étranger.

L'Empereur franchit les Alpes par cette route que son génie a conçue et que sa puissance exécute. Ici une nouvelle scène s'offre à ses regards : le Piémont conserve encore quelques vestiges d'une révolution moins terrible, mais plus récente que la nôtre. Il semble n'être point entièrement français , ni par les sentiments qui le dominent, ni par les avantages dont il jouit : l'Empereur qui, deux fois, avait paru autour des murs de Turin à la tête d'une armée victorieuse, et n'y était point entré par respect pour l'infortune ou la faiblesse, y entre pour la première fois; il s'y montre comme le père de ses nouveaux enfants, sans soldats, sans gardes, accompagné seulement des bienfaits qu'il apporte, plus grand et plus puissant de cette noble sécurité. Les affections auxquelles il s'est confié éclatent de toutes parts. Le peuple piémontais s'est montré digne de la confiance dont il l'honore. Les hommages publics viennent former son cortège; les grands propriétaires restés à l'écart se pressent autour de lui; les administrations incertaines, s'éclairant de son génie , suivent une marche plus ferme et plus régulière; les abus sont réformés, le commerce languissant se ranime , de nouveaux débouchés lui sont promis; les incertitudes sont fixées ; les opinions sont réconciliées ; ceux qui , dans des temps difficiles, se dévouèrent aux intérêts de la France, sont assurés que la France , fidèle, n'oubliera jamais leurs services; ceux qui, engagés par les bienfaits de leurs anciens maîtres, ont cru que le malheur ajoutait aux devoirs de la reconnaissance, apprennent que leur nouveau souverain est trop généreux pour conserver d'autre souvenir que celui du dévouement dont ils se montrèrent capables ; les services sont récompensés, quelle qu'en soit la date, et la nouvelle patrie acquitte les dettes de l'ancienne. Les familles principales, admises autour du trône impérial, répandent autour d'elles l'éclat des honneurs qu'elles ont reçus; les grands propriétaires, sans espérer le retour d'aucun privilège, n'ont plus d'exclusion à craindre; chaque chose reprend la place que lui marquaient la sagesse et la justice; le Piémont, conquis autrefois par les armes, est maintenant naturalisé par les bienfaits.

Tous les points du Piémont verront dater de cette époque des institutions précieuses; mais trois villes surtout ont dû fixer l'attention de l'Empereur : Turin , Casal , Alexandrie ; Turin, jadis résidence dune cour; Casal, ancienne capitale du Montferrat, depuis longtemps naturalisée par les souvenirs, les affections et les mœurs; Alexandrie, autour de laquelle, dans toutes les guerres, roulèrent, comme sur leur pivot, les grandes opérations militaires.

Turin, veuve de ses rois, est consolée par une auguste promesse : un frère de l'Empereur gouvernera cette belle contrée, et son caractère connu garantit le bonheur dont il la fera jouir; il résidera à Turin. Une cour aimable et brillante rendra à cette ville bien plus qu'elle n'a perdu; son magnifique palais deviendra le séjour de la bonté et des grâces. Jadis triste forteresse environnée d'ennemis, maintenant ouverte à la France et à l'Italie dont elle semble être le lien, elle ne sera entourée que de peuples amis , et le commerce et les arts, empressés de s'y rendre, lui prodigueront leurs bienfaits.

Casal, oubliée jusqu'à ce jour, mais toute dévouée au chef de l'Empire, n'a fait entendre que ses acclamations et pas une plainte; l'Empereur a prévu tous ses vœux : un lycée, un évêché, des tribunaux rendent la vie à cette belle cité; des concessions l'enrichissent. Ces bienfaits donneront un développement rapide aux avantages qu'elle tenait de son heureuse situation, d'un climat favorable et de tous les dons de la nature.

Alexandrie, fière de recevoir dans ses murs les mêmes braves dont elle vit la victoire et dont elle fut la conquête, célèbre leur arrivé comme une fête triomphale; ils sont assemblés dans ses murs. Le vainqueur de Marengo est entouré des compagnons de sa gloire dans cette plaine qui en fut l'illustre théâtre. Le prix de la valeur est distribué par les mêmes mains qui en dirigèrent les exploits; un monument est consacré aux mânes de ceux qui s'immolèrent pour la patrie. Les peuples de l'Italie, accourus à ce spectacle, célébrèrent avec les soldats francais l'anniversaire d'un jour qui fixa leurs destinées en assurant celles de la France. En de tels lieux les Français seront toujours sûrs de vaincre , là sera établi le boulevard de l'Empire; là s'élèvera la première place forte de l'Europe. Les fleuves se détournent pour en protéger l'enceinte; les combinaisons les plus profondes de l'art dirigent des travaux immenses, où déjà plus de douze millions de francs ont été dépensés. L'Empereur en a tracé le plan, suivi tous les détails; il rend Alexandrie le siège de tous les grands établissements militaires. Mais en lui assignant une si haute importance dans la guerre, il veut la faire jouir de tous les bienfaits de la paix; il rétablit son administration intérieure; il lui crée un commerce d'entrepôt et de transit que lui destinaient les rivières qui la baignent et les communications dont elle est le centre; ses campagnes, jadis dévastées par des brigands , sont délivrées du fléau qui les désolait depuis plusieurs siècles.

Les bénédictions qui accompagnent l'Empereur ont retenti dans toute la chaîne de l'Apennin.

Gênes les a entendues; elle s'est empressée de présenter à l'Empereur son hommage et ses vœux : ses vœux sont d'être française; elle l'est à moitié par ses affections, par ses habitudes. L'intérêt de sa propre existence lui commande de l'être entièrement : resserrée entre la mer qui la nourrissait autrefois et dont nos ennemis, qui sont les siens, ont fermé les passages, et ces montagnes dont nos lois, sagement prohibitives, font une barrière pour elle, Gênes, manquant de tout, sans forces, sans lois, presque sans gouvernement sollicite l'honneur d'une adoption qui la réunisse à un grand peuple et la fasse entrer en partage des biens dont il jouit et du premier de tous : son gouvernement. Ce vœu a été accompli; il était celui de toutes les classes de citoyens, et pour toutes la réunion a été un bienfait. L'Empereur l'a consacrée par sa présence; il a été accueilli avec les transports que fait naître un libérateur. Gênes, française, reçoit les denrées du Piémont, fournit à la France les produits de son industrie, vit et s'enrichit par elle, et lui promet, à son tour, un accroissement de force maritime et de richesse commerciale. Plusieurs de ses citoyens, déjà connus de l'Empereur, reçoivent de lui des distinctions flatteuses. Les lois françaises y sont introduites sans blesser aucun des intérêts qui l'avaient fait fleurir autrefois. Ses finances sont améliorées ; la dette publique est consolidée. Son territoire est agrandi, il est partagé en départements, et le département le plus près de la France reçoit un nom qui rappelle un des premiers succès du héros de la France, une des premières couronnes dont la victoire orna ce front, depuis si chargé de lauriers. La terre où ce premier laurier, présage de tant d'immortels succès, fut cueilli, avait bien mérité d'être française ! Le bienfait de cette organisation est assuré à Gènes par le choix d'un grand dignitaire nommé pour l'établir.

Parme et Plaisance, longtemps incertaines de leurs destinées, encore soumises à des institutions gothiques, ont aussi possédé le chef de l'Empire, et de son passage datent pour elles un code de lois, un système d'administration assorti aux lumières du siècle. Si de fausses alarmes ont jeté un instant le trouble dans quelques vallées de ces États , des mesures promptes et sans violence ont bientôt ramené l'ordre parmi des pâtres égarés, incapables d'indiquer eux-mêmes le motif d'une agitation presque puérile, et qui a cessé du moment où l'on s'en est sérieusement occupé.

Cependant l'Italie a changé de face, et l'antique royaume des Lombards s'est relevé à la voix de Napoléon. L'Italie se reposant, à l'ombre de la monarchie, de ses longues agitations, n'a plus rien à envier à la France; le même souffle la ranime, la même puissance la protége, le même esprit fonde des institutions nouvelles en les accommodant à sa situation et à ses mœurs.

Milan a salué du nom de son roi celui qu'elle avait appelé son libérateur; Mantoue reçoit avec transport celui qui fut sous ses murs le vainqueur de cinq armées envoyées successivement pour la défendre. Rassemblés à Castiglione, les soldats français, se rappellent les succès de l'armée d'Italie. Dans quelque partie de l'Europe que les conduise le génie qui les mena tant de fois à la victoire ils se promettent encore de plus brillants succès. L'Italie s'enorgueillit de recevoir des lois d'un nouveau Charlemagne, et croit voir renaître avec son antique gloire toute la prospérité que lui assurent son sol et son climat.

Un prince nourri de ses leçons, adopté d'avance par ses affections, comme il l'a été ensuite par ses décrets, continue son oeuvre en se formant sur ce modèle; l'Italie s'attache avec enthousiasme à ses pas. Déployant un nouveau caractère, elle espère prouver que sa longue faiblesse fut le vice de ses institutions et non le tort de ses habitants.

La France, qui recueille avec avidité le détail de ces grandes créations , suppose encore l'Empereur occupé à les accomplir, lorsque déjà il est à la porte de la capitale se faisant rendre compte de la situation intérieure de l'Empire; peu de jours après, l'Angleterre, étonnée, entend retentir la côte de Boulogne du canon qui annonce sa présence; c'est là, au milieu de l'élite de l'armée, dans le derniers soins de ces grands préparatifs, qu'il vient goûter le repos Ses longues combinaisons touchent à leur terme; l'armée impatiente croit atteindre le moment qui récompensera ses longs travaux ; mais l'Angleterre tremblante, non plus pour sa gloire ou son commerce, mais pour sa propre existence, a préparé sur le continent une puissante diversion; elle a lancé un cri de terreur. A ce cri le continent s'est ébranlé; ses guerriers ont pris les armes de toutes parts, ils s'avancent contre la France, déjà ils menacent sa frontière. A cette agression inattendue, l'Empereur change ses plan de campagne; 1'Angleterre triomphe d'avoir versé sur le continent tous les maux qu'elle avait redoutés; vain triomphe ! elle n'a pas tardé d'apprendre qu'elle n'avait fait que précipiter la ruine de ceux qu'elle regardait comme ses appuis et creusé l'abîme qui doit l'engloutir.

 Dans peu de jours l'Empereur avait transporté son armée des bords de la Manche aux rives du Rhin, il avait pris congé du Sénat de la nation, il avait passé le Rhin, il était à Ulm, à Vienne, à  Austerlitz.

Je n'entreprendrai point de vous dire des choses vraiment admirables qui ne peuvent être dignement racontées que par celui qui le a faites; ces choses que nous savons tous, que nous apprendrons à nos enfants au moment où ils commenceront à pouvoir nous entendre, que nos neveux se diront avec orgueil et qui fondent à jamais la gloire de la nation, presque aussi élevée que son incomparable chef. Ministre de l'Empereur, je trompe ses intentions en tenant ce langage; mais je suis Français, heureux de l'être, et je ne puis parler froidement de celui qui fait la gloire et la prospérité de mon pays.

J'ai commencé ce précis de tant d'événements à l'époque du couronnement; vous savez combien glorieuse est revenue, au bout d'un an, cette mémorable époque, et comment cette couronne, donnée par un grand peuple , a été raffermie par Dieu et par la victoire sur une tête si digne de la porter.

Ce que vous savez moins, et ce qu'il m'appartient davantage de vous dire , c'est qu'au milieu de ces immenses et pénibles travaux, lorsque l'Empereur, livré aux hasards et aux combinaisons de la guerre, en éprouvait toutes les fatigues comme le simple soldat, exposé à toute l'intempérie d'une saison rigoureuse, n'ayant souvent pour lit qu'une botte de paille, et pour toit que ce ciel d'où semble émaner tout le feu de son génie, alors même il tenait, à trois cents lieues de distance, tous les fils de l'administration de la France, eu soignait les plus petits détails, s'occupait des intérêts de son peuple comme de ceux de ses soldats , voyait tout, savait tout, semblable à cette âme invisible qui gouverne le monde et que l'on ne connaît que par sa puissance et ses bienfaits. Vous en avez pour preuve les décrets nombreux datés d'Ulm, de Munich, de Vienne, d'Austerlitz.

L'intérieur était dégarni de troupes; Paris n'avait pas un soldat, et jamais l'ordre public n'a été plus exactement maintenu, jamais les lois n'ont été mieux observées. La France obéissait au nom de son souverain, ou plutôt au sentiment d'amour et d'admiration qu'elle éprouve.

C'est ce sentiment qui hâte la marche de la conscription, triple ses résultats et devance l'époque où le contingent devait être fourni; par lui est formé ce long rempart de soldats volontaires qui garnissent nos frontières des bords de la Manche jusqu'aux montagnes des Alpes; armée nouvelle, presque spontanément formée, et qui annonce à l'Europe qu'à la voix de son chef la France entière peut devenir une grande armée.

C'est ce même sentiment de dévouement et d'ardeur guerrière qui animait ces jeunes gens empressés de servir de garde d'honneur à l'Empereur, et qui, seuls dans toute la France, pourraient regretter la rapidité de ces exploits auxquels ils n'ont pu prendre aucune part.

La paix avait été conclue lorsque, dans quelques parties de la France, on savait à peine que la guerre était commencée : guerre moins longue que ne l'est votre session annuelle, et dont les suites doivent embrasser et les siècles et l'Europe et les autres parties du monde.

Si le courage et le génie ont fait la guerre, la générosité et la modération ont fait la paix; un souverain malheureux par la guerre a recouvré par la paix une grande partie de ses États; ses pertes ne sont rien auprès du danger qu'a couru la monarchie dont il est le chef. Des princes, nos alliés, ont vu étendre leur puissance et ennoblir leurs titres. Les bienfaits de l'Empereur environnent la France de peuples amis de son gouvernement. L'Italie, cette noble fille de la France, et qui promet d'être digne d'elle, a recueilli les fruits de la guerre. Mais sa force fait la nôtre, sa richesse ajoute à notre prospérité nos ennemis sont repoussés de ses rivages, ils ne peuvent plus avoir avec elle de relations commerciales. Cette riche proie est enlevée à leur avidité. L'Italie est une conquête faite sur l'Angleterre. Elle s'unit à l'Allemagne par le double lien du voisinage et de l'amitié; et, par cette alliance que son prince vient de contracter avec la fille d'un des plus puissants souverains de l'empire germanique, c'est maintenant que la paix est assurée aux paisibles habitants des montagnes du Tyrol; le commerce viendra enrichir ses vallées désertes; sa conquête aura été un bienfait pour lui.

L'Empereur, généreux envers ses ennemis, grand pour ses alliés, n'a été ni moins grand ni moins généreux pour son peuple et pour son armée. Jamais une plus belle moisson de trophées n'avait été offerte aux regards des hommes; jamais nation ne reçut un plus magnifique présent. L'enceinte où siège le Sénat de l'Empire, la cathédrale de cette cité, l'Hôtel de ville, sont remplis et décorés des enseignes enlevées à l'ennemi, offertes par la noble et délicate libéralité du conquérant; récompense également honorable pour les compagnons de sa victoire et pour son peuple, qui l'avait suivi de ses vœux et se préparait à le seconder de tous ses efforts.

L'armée a fait plusieurs campagnes en trois mois; la France les a comptées par les succès, l'Empereur les compte pour les récompenses qu'il accorde; les braves qui reviennent avec lui reviennent avec de nouveaux honneurs; ceux qui se sont dévoués pour la patrie lui ont légué les intérêts de leurs familles et le soin de leur mémoire; il y a satisfait. Mais la plus digne récompense du soldat français, c'est le regard de son Empereur; c'est la gloire de l'Empire accrue par son courage; ce sont les transports de la France entière qui l'accueillent à son retour; l'Empereur veut qu'ils viennent les goûter sous ses yeux, qu'une fête triomphale soit donnée par la capitale à l'armée, spectacle digne des grands événements qu'il doit célébrer, où tout l'éclat des arts, où toute la pompe des cérémonies, où tous les signes de la gloire, où tous les accents de la joie publique viendront entourer la Grande Armée réunie auprès de son digne chef, et feront un brillant cortège à ces phalanges de héros.

Tels sont les principaux événements de l'année qui vient de s'écouler : je n'ai pu que les indiquer. Je vous dois de plus grands détails sur les dispositions législatives et sur les opérations administratives qui ont signalé cette brillante époque de notre histoire.

L'administration a eu beaucoup à se louer du patriotisme du clergé. Les traitements faits aux desservants des succursales ont été un objet de dépense notable, mais d'une importance majeure. Un grand nombre d'églises dégradées ont été réparées, et l'influence de la morale et de la religion se fait sentir. Dans ces circonstances, un attachement sincère de la part des évêques et archevêques a été manifesté à l'Empereur, non par de belles paroles, mais par un zèle efficace et actif que Sa Majesté a su apprécier.

Le tribunal de cassation a rempli sa tâche. Il maintient l'uniformité de la législation; sa surveillance réprime les abus qui s'introduisent dans les tribunaux. Les nouveaux règlements ont diminué d'un tiers les frais de justice, et l'Empereur a mis à profit cette économie pour augmenter le traitement des juges, qui lui a paru disproportionné à l'importance de leurs fonctions.

Le code judiciaire vous sera présenté. Différents corps qui ont adressé des réclamations ont été entendus. Ce ne sera pas un ouvrage parfait, mais meilleur que ce qui a existé jusqu'à présent.

Les crimes ont diminué. La sûreté est telle que, depuis bien des années, les tribunaux criminels n'ont eu si peu de crimes punir.

Du centre de l'Italie, l'Empereur avait veillé sur la sûreté intérieure de la France, et sur les moyens de rendre invariable l'ordre qu'il y avait établi. Il avait institué des compagnies de réserve. Cette force, entièrement départementale, augmente les ressorts de l'administration , en même temps qu'elle ajoute à sa dignité. Elle veille autour des établissements publics, et laisse à la gendarmerie la partie la plus active de son service, que ce corps estimable suit avec autant de succès que de zèle : la poursuite des brigands et des perturbateurs de l'ordre public; elle laisse disponibles les corps de l'armée, forme la jeunesse au service militaire, et lui apprend que c'est en servant à maintenir l'ordre , l'obéissance aux lois et le respect des propriétés, que l'on devient digne de défendre l'État contre l'ennemi du dehors.

L'administration a suivi la marche qui lui avait été imprimée pendant pendant la paix; les travaux publics commencés ont été continués avec ardeur; de nouvelles et grandes entreprises ont été conçues, pré-parées, exécutées , et, avec le fardeau d'une double guerre contre l'Europe presque entière, quarante millions ont encore été consacrés à cette branche importante du service public.

Les Alpes et les Apennins, ces deux grandes barrières posées par la nature, que le génie de la guerre avait seul franchies jusqu'à ce jour, s'ouvrent aux efforts de l'art et unissent l'Italie et la France, le Piémont et la Rivière de Gênes, par les liens du commerce, comme ils seront unis désormais par les intérêts politiques. Sur les pentes et sur les sommets du Simplon et du mont Cenis roulent facilement d'énormes voitures; prodiges des arts de la paix presque aussi étonnants que ces exploits de la guerre dont ces montagnes ont été le théâtre. Sur les rives du lac Léman, au travers des précipices de la Maurienne, des chemins escarpés sont aplanis; bientôt une seule pente, adroitement ménagée, conduira le voyageur tranquille de Pont-de-Beauvoisin au pied du mont Cenis. Le mont Genèvre offrira à l'Espagne une communication plus abrégée avec l'Italie. Les rochers qui bornent la Méditerranée, de Toulon à Gènes, témoins des héroïques exploits de nos armées, pour lesquelles seules ils ont paru accessibles, cessant d'être le théâtre de la guerre et aplanis par d'immenses travaux, leur offriront désormais un passage plus facile et plus sûr vers des contrées lointaines.

Le produit de la taxe d'entretien des routes, s'élevant à quinze millions, a été abandonné à chaque département et réparti sur le routes de le, 2e et 3e classe. Le trésor public y a joint de cinq à six millions. La totalité de ces fonds a été employée en réparations des routes des deux premières classes. Plusieurs communication nouvelles, désirées par les administrés, ont fixé l'attention du Gouvernement : celle de Valogne à la Hougue est achevée; celle de Caen à Honfleur se termine; celle d'Ajaccio à Bastia est à moitié; celle d'Alexandrie à Savone est tracée; celles de Paris à Mayence par Hombourg, Aix-la-Chapelle à Montjoie, sont ordonnées. Le zèle des départements a concouru , sur plusieurs points, avec les efforts de l'administration. Une louable émulation anime un grand nombre de communes pour la restauration des chemins vicinaux, et on doit espérer que cet exemple, ouvrant les yeux aux habitants des campagnes sur leurs premiers intérêts, se propagera chaque jour.

Des ponts se rétablissent; sur le Rhin, à Kehl et à Brisach; st la Meuse, à Givet; sur le Cher, à Tours; sur la Loire, à Nevers i à Roanne; sur la Saône, à Auxonne; sur le Rhône, à Avignon; celui de Nemours est achevé. Enfin ces deux indomptables torrents, la Durance, qui n'avait pas encore été mise sous le joug, l'Isère, qui avait brisé ceux qu'on lui avait imposés, seront asservis à passer sous des ponts déjà avancés, que la campagne prochaine verra finir : ouvrage énorme par ses difficultés, que l'on n'avait osé entreprendre ou qu'on avait entrepris sans succès.

Les rivages des mêmes fleuves, ceux de la Seine, de l'Aube, de la Moselle, de la Seille, du Tarn, ont été le théâtre d'un vaste système de travaux, qui les bordent de chemins de halage, rendent leurs cours plus libres, et protègent les champs qui les avoisinent.

Des savants distingués appelés sur les bords du Pô en ont parcouru toute l'étendue, visité, la sonde à la main, tous les passages. Délivré des nombreux obstacles qui entravaient son cours, soumis à une police plus sage, le Pô conduira, du pied des Alpes à Venise, nos marchandises et nos soldats. Une législation bienfaisante encourage ce commerce, qu'embarrassaient et les mesures fiscales des anciens princes et la rivalité des États. L'Empereur l'a prononcé : Le Pô est libre.

Six grands canaux sont en exécution. Celui de Saint-Quentin, auquel plus de cinq millions de francs ont déjà été employés, peut être fini dans le courant de l'année prochaine à l'aide des moyens que vous serez appelés à fournir; les souterrains se prolongent; il ne reste plus que deux écluses à fonder, sur vingt-quatre. 800,000 francs ont été consacrés au canal Napoléon, qui doit joindre le Rhin au Rhône. La portion du canal de Bourgogne qui s'étend de Dijon à Saint-Jean-de-Losne compte onze écluses sur vingt-deux. Les canaux du Blavet, de l'Ille-et-Rance, qui établissent au sein de la Bretagne des communications intérieures entre le golfe de Gascogne et la Manche, sont déjà conduits, le premier au tiers, le second au huitième de leurs travaux. Celui d'Arles , qui doit donner au Rhône une issue navigable vers la mer, est au quart. Les canaux d'embranchement, qui accroissent la fertilité naturelle de la Belgique, ont été réparés, continués, multipliés.

Quelques autres canaux, non moins importants, sont commencés, ou du moins tracés, et seront entrepris dès cette campagne; tels sont : celui de Saint-Valery, qui perfectionnera la navigation de la Somme à la mer; celui de Beaucaire à Aigues-Mortes, qui abrégera la communication de ce grand rendez-vous commercial avec la Méditerranée; celui de Sedan, qui unira la haute à la basse Meuse; mais surtout ceux de Niort à la Rochelle et de Nantes à Brest. Le premier a ranimé déjà toutes ces contrées, auxquelles il promet une nouvelle existence; le second, touchant à la Loire et à la Vilaine, débouchera par quatre points sur la mer, et portera de tous côtés, dans les départements de l'ouest, les productions du commerce et les approvisionnements de la marine.

Plusieurs autres, enfin, sont projetés, comme celui de la Censée, destiné à unir l'Escaut à la Scarpe; celui de Charleroi à Bruxelles, qui unira la Sambre à l'Escaut; celui d'Ypres, qui abrégera la communication de Lille à la mer; ceux qui se développeront le long d la Haisne, de la Vesle et de l'Aisne; et enfin le canal latéral de la Loire, allant de Digoin à Briare, et rendant facile et praticable ci tous temps la navigation de la plus belle et la plus capricieuse de nos rivières.

L'histoire a conservé les noms des princes qui, dans l'antiquité ont illustré leurs règnes par de semblables travaux; les États les plus florissants leur doivent leur prospérité intérieure. Quel avenir ne promet pas à l'activité de l'industrie française une sollicitude qui les étend et les multiplie ainsi, au milieu de tant d'autres soins, sur toutes les parties de l'Empire !

Si vous jetez les regards sur nos ports, vous verrez qu'on s'occupe sur les deux mers, à les rendre plus accessibles, plus commodes et plus sûrs. A Anvers, on creuse des bassins. A Dieppe, à Ostende, Dunkerque, le Havre, on construit des écluses de chasse et de canaux d'écoulement. A Honfleur, Bordeaux, Nice, Halinghen, Belle Île, Ajaccio, Bastia, des quais sont relevés, des jetées ou des môle prolongés ou reconstruits. La Rochelle réunit à la fois tous ces travaux. Le curage des ports de Cette et de Marseille se continue; on agrandit celui d'Oléron. Les ports de Dielette et Carteret sont préparés de manière à recevoir un grand nombre de bateaux et chaloupe canonnières qui inquiéteront les habitants des îles anglaises de Jersey et de Guernesey, comme celles de Boulogne menacent Douvres et Londres.

Les sondes faites à Bouc ont offert un résultat satisfaisant : le Rhône aura un port. Des hommes de l'art ont examiné les développements qu'il est possible de donner à celui de Gènes.

6,850,000 francs ont été dépensés dans les ports militaires. Leur emploi a eu pour objet principal, à Cherbourg, l'exhaussement des digues, l'enrochement des talus, les jetées du môle, la construction de l'avant-port et du bassin, et la fondation du nouveau port Bonaparte, qui, destiné à compléter cette belle création maritime, et digne de son nom, sera sur la Manche la terreur de l'Angleterre, à Boulogne, le bassin et son écluse, l'achèvement des ouvrages qui constituent l'ensemble du port, et la construction des établissements qui l'entourent; à Ambleteuse, les travaux nécessaires pour approfondir le port, l'élévation de la jetée qui le garantit des sables, poussés par les vents de l'ouest, les talus et les bâtiments; à Brest, la formation d'une île artificielle, les excavations dans le rocher, les hôpitaux, les magasins, l'arsenal, les casernes et l'achèvement des batteries; à Anvers, la continuation des rapides travaux qui doivent en faire l'arsenal de notre marine sur la mer du Nord , les cales de construction , l'élévation des quais, les hangars et les ateliers; dans la rade de Rochefort, les jetées qui doivent servir de base au fort Boyard, et les opérations de tous genres que nécessite cette difficile construction.

Onze autres points ont eu constamment des travaux en activité : Ostende, pour l'achèvement des batteries et la formation d'un hôpital de marine; Dunkerque, pour les évasements et les restaurations ; Étaples, pour l'établissement d'un magasin à poudre; le Havre, pour l'entretien de ses établissements ; Lorient, pour la construction d'une salle d'armes et la réparation de ses bâtiments; Rochefort, pour celle des quais, la clôture de l'arsenal, etc. ; Toulon, enfin , pour la construction du magasin général incendié, du hangar de la grande mâture, pour les soins employés à relever quatre des vaisseaux qui l'obstruaient. Ce port, un des plus beaux ouvrages de l'art et de la nature, consolé de ses désastres, n'en conservera bientôt plus aucun vestige; la même main qui l'arracha à l'ennemi lui aura rendu toute sa prospérité.

L'établissement de cent vingt-cinq ponts à bascules, dont cent déjà rendus à leur destination, lié à l'exécution des lois du 29 floréal an X et 25 ventôse an XII, garantira les routes des dégradations commises par l'imprudence des voituriers, en les forçant de proportionner la largeur des roues à la charge de leurs voitures.

Trois lignes télégraphiques se dirigent sur Brest, Bruxelles, Strasbourg; des embranchements, sur Boulogne, et le cap Gris-Nez; une quatrième s'étendra, d'ici à six mois, à Milan, par Lyon et Turin.

L'organisation des ponts et chaussées, établie sur un plan plus vaste et plus régulier, arrêtée en l'an XII et exécutée en l'an XIII, assure des retraites à la vieillesse, des récompenses aux services, de l'avancement au mérite et des encouragements à tous les ingénieurs, et met sur toute l'étendue de la France, ancienne et nouvelle, la composition de ce corps en proportion avec le système des travaux publics.

Deux nouvelles cités s'élèvent au sein d'une contrée désolée jadis par les guerres civiles, et trop longtemps étrangère à notre commerce, à nos arts comme à nos mœurs. Toute sa population se portait aux côtes; son intérieur va se ranimer. Dans le Morbihan, Napoléonville (Pontivy. C'est à Pontivy, dans un site verdoyant et champêtre que  Bonaparte aurait souhaité installer le cœur administratif de la Bretagne . Le début du XIXème siècle  vit donc s'édifier , au sud de la petite cité médiévale restée intacte, une ville moderne , tertiaire et militaire qui devait prendre comme nom Napoléonville . La chute de l'empire allait brouiller les cartes en réduisant le projet , mais il reste une grande place rectangulaire , de large avenues rectilignes se coupant à angle droit , d'immenses bâtiments , de belles casernes , et... le canal de Nantes à Brest) se développe sur les plans arrêtés cette année; elle est déjà avancée; des bâtiments militaires, des édifices civils s'y construisent; le local du lycée est prêt à recevoir cent cinquante élèves. Placée au centre des nouveaux canaux de la ci-devant Bretagne, Napoléonville sera, dans la paix, le centre d'un grand commerce; dans la guerre, un centre militaire imposant, un entrepôt pour l'approvisionnement de notre marine. La Vendée applaudit à la naissance de sa nouvelle capitale. La ville de Napoléon a vu poser les bases de tous les grands établissements qui conviennent à sa destinée et qui peuvent vivifier le département dont elle est le centre; sortant d'une forêt jadis déserte, elle appellera, par les routes qui viennent se croiser dans ses murs, le mouvement du commerce; elle verra son heureuse situation recherchée par une population fidèle et dévouée au prince qui lui a rendu son culte, la tranquillité et l'abondance. L'Empereur a permis que son nom fût imprimé à ces deux magnifiques ouvrages, comme sur deux médailles impérissables; elles rappelleront de grands malheurs complètement réparées.

Je n'ai fait, Messieurs, que retracer à chacun de vous ce qu'il a vu dans les départements qu'il vient de quitter.

Vos regards, à votre retour dans la capitale, ont été frappés de la trouver plus embellie dans le cours d'une année de guerre qu'elle ne le fut jadis en un demi-siècle de paix. De nouveaux quais se prolongent sur les rives de la Seine; deux ponts avaient été exécutés les années précédentes; le troisième, le plus important de tous par son étendue, sa construction et l'utilité de la communication qu'il établit, est sur le point de s'achever; il sert déjà au passage des hommes à pied et des chevaux. Dans son voisinage est tracé un nouveau quartier destiné à en compléter la décoration. Les rues de ce quartier portent les noms des guerriers qui ont trouvé une mort honorable( dans le cours de la campagne; digne récompense décernée par l'Empereur à leurs mânes, à leurs familles, à l'armée ! Le pont lui-même prend le nom d'Austerlitz. Ainsi la Seine, en entrant à Paris, rencontrera d'abord un monument de la gloire de nos guerriers, comme en sortant elle embellit la magnifique retraite destinée à leurs vieux jours, et les bosquets où ils viennent s'entretenir de leurs faits d'armes et de celui dont le génie prépara leur gloire. On projette de débarrasser le cours de cette rivière des entraves de tout genre qui en flétrissent l'aspect et en rendent, dans son passage à Paris, la navigation presque impraticable.

En s'éloignant de ses bords, un arc de triomphe, placé à rentrée des boulevards, deviendra un nouveau monument de ces événements dont le souvenir doit être plus durable que tout ce que nous pourrons faire pour le perpétuer. Qu'au moins ces ouvrages attestent à la postérité que nous avons été aussi justes qu'elle le sera et que notre reconnaissance a égalé notre admiration.

De l'autre côté de cet arc de triomphe, le boulevard sera prolongé jusqu'à la Seine, servant de quai à une vaste gare alimentée par les eaux de l'Ourcq, dernier service que rendra cette rivière destinée à la fois à donner à Paris une abondante provision d'eau excellente, à l'embellir par son cours et par ses fontaines, à entretenir dans ses rues une propreté inconnue, et à l'approvisionner par un canal qui, remontant jusqu'à l'Oise, apportera dans tous les temps les denrées que la Marne et l'Oise ne transportent que pendant quelques mois de l'année.

Les Capucines, la Madeleine vont changer de face; le Louvre s'achève avec rapidité, et les travaux de François Ier et de Louis XIV touchent à leur fin; ces rois n'avaient fait que la moitié de ce bel ouvrage. Le Panthéon, prêt à être terminé, rendu à une destination religieuse, s'ouvrant pour recevoir les mausolées que le malheur des temps déplaça, acquiert aussi un grand et nouveau caractère, et deviendra envers les premiers magistrats de l'Empire, envers ceux qui auront rendu des services éclatants à l'État, le témoin de la reconnaissance du souverain et des hommages de la postérité. Saint- Denis, déjà réparé et mis à l'abri des intempéries des saisons, va retrouver ses tombeaux et s'ouvrir de nouveau aux plus augustes funérailles.

Depuis son retour, l'Empereur à consacré tous ses jours, et je dirai presque toutes ses nuits, à revoir dans le plus grand détail toutes les branches de l'administration. Il n'y en a aucune qui n'ait été l'objet de plusieurs conseils extraordinaires, auxquels ont été appelés tous ceux qui la dirigent. Il a imprimé à toutes un mouvement plus rapide, en les ramenant de plus en plus vers le but qu'elles doivent atteindre. Ce qu'elles ont été, ce qu'elles sont, ce qu'elles peuvent devenir, a été examiné, conçu, exécuté. Vous serez, Messieurs, appelés à sanctionner le résultat de ces profondes délibérations. Les infatigables soins donnés à ces travaux de cabinet ne sont peut-être pas moins étonnants que ces prodigieux travaux de la guerre auxquels ils succèdent, et avec lesquels ils forment un si admirable contraste.

La comptabilité de la ville de Paris a été éclairée par un examen auquel l'Empereur a voulu présider lui-même, et qui promet à la capitale de nouvelles ressources, de précieuses économies, et avec elles les moyens de multiplier les entreprises utiles à sa prospérité et à sa splendeur.

Les hospices de cette capitale ont continué d'être régis par une administration qui économise les fonds en multipliant les secours et qui, en faisant le bien du moment, le prépare pour l'avenir par des réparations solides et d'utiles constructions; ils ont acquis une nouvelle ressource par le bénéfice résultant du privilège exclusif donné au Mont-de-Piété, dont tous les produits leur sont accordés. Le pauvre est garanti d'une usure dévorante, et la modique rétribution qui lui est demandée est tout entière consacrée au soulagement de ses maux ou de son indigence.

Des boîtes de médicaments envoyées dans toute la France pour l'usage des pauvres sont encore une institution de cette année, qui comme tout ce qui est utile, sera continuée les années suivantes.

La comptabilité de tous les hospices de l'Empire a été régularisée et soumise à une forme plus lumineuse et plus simple. Pendant qu'une sage économie préside à l'emploi de leurs revenus, la masse en a été de nouveau accrue par l'émulation de la bienfaisance privilège. Les legs et donations, qui s'étaient élevés pendant les quatre années du gouvernement consulaire à 3,300,000 francs, pendant le cours de l'an XII à 2,200,000 francs, ont atteint 4,500,000 francs pendant le courant de l'an XIII et les cent premiers jours de l'an XI, sans compter un grand nombre de valeurs qui ne sont point encore suffisamment appréciées; progression frappante qui atteste, avec le développement de la confiance publique, celui des nobles sentiments de l'humanité ! La mendicité a été affaiblie ou éteinte dans quelques départements; les dépôts placés dans quelques villes centrales offriront des remèdes plus efficaces encore pour la détruire.

L'état des prisons s'améliore. Encombrées un instant par les prisonniers de guerre, dont le nombre excédait les ressources, dont l'arrivée était presque inattendue, dont la situation était déplorable, elles ont vu naître, sur quelques points, des maladies qui en étaient la suite presque inévitable; mais de prompts secours ont été apporté, des médecins ont été envoyés par le Gouvernement, des mesures ont été prises, la bienfaisance individuelle les avait secondées. Quelques êtres généreux, victimes de leur zèle, ou succombant sous le poids de l'âge, qui rend toutes les maladies plus dangereuses, ont laissé d'honorables regrets, en donnant de sublimes exemples; mais la population de nos cités a été exempte de la contagion qui, dans ce moment, est à peu près dissipée, même à sa source. Le fléau qui a désolé l'Espagne pendant deux ans a excité toute l'attention du Gouvernement, quoiqu'il reste aux yeux des hommes éclairés beaucoup de doutes sur le caractère contagieux dont on le supposait accompagné. Avant le retour de l'époque à laquelle il a continué de se réveiller, une commission médicale était sur les lieux, pour examiner sa naissance, la manière dont il se propage, rechercher, soit les remèdes qui le combattent, soit les précautions qui peuvent le prévenir. Des dispositions seront faites, si nos voisins devaient encore en être affligés, pour le tenir, dans tous les cas, éloigné des frontières de cet empire.

Le calendrier a changé. L'inutile régularité de celui que la révolution avait vu naître, et dont le but n'avait pas été atteint, a été sacrifiée aux besoins des relations commerciales et politiques, qui appellent un langage commun; trop de variétés encore séparent les peuples de cette belle Europe, qui ne devraient faire qu'une grande famille.

Une autre institution de la révolution, dont l'utilité est évidemment sentie par ceux mêmes qui ont le plus de peine à l'adopter, celle des poids et mesures, cette production de la science dont elle annonce l'empire sur un peuple éclairé, cette institution, dis-je, sera maintenue avec constance, et le Gouvernement s'occupera de plus en plus de généraliser l'usage des nouvelles mesures; il opposera aux habitudes et aux préjugés cette invariable fermeté d'une volonté sage et éclairée, et non ces efforts violents, mais de courte durée, de l'esprit d innovation. Aidé du temps, il triomphera de tous les obstacles; il ne cessera d'agir que lorsqu'i1 aura vaincu.

Pendant que le Gouvernement prévenait ou réparait les maux en conservant les institutions utiles, relevait ou multipliait les monuments publics destinés à attester la prospérité de l'État, il ne négligeait pas de féconder les sources premières qui l'alimentent.

L'agriculture, la plus importante de toutes, a reçu de précieux encouragements. Les dessèchements des marais de Rochefort, du Cotentin, les travaux des polders de la Belgique, ont été ou commencés ou continués avec un redoublement d'efforts; des dispositions ont été faites, qui préparent les dessèchements des marais de Bourgoing et de Dol. Les plantations se multiplient; elles sont commencées dans les dunes du Pas-de-Calais; on exécute la loi que vous avez rendue l'année dernière sur la plantation des routes; des pépinières sont placées dans les départements; une instruction déjà préparée réglera la police et assurera la conservation des unes et des autres. Trois nouvelles bergeries nationales de brebis espagnoles ont été formées cette année au midi, à l'est et à l'ouest de l'empire, et féconderont la propagation d'une race précieuse et l'amélioration croissante de nos laines. Le vaste établissement de la Mandria, au pied des Alpes, a été consolidé par la munificence du Gouvernement. Les écoles vétérinaires ont été améliorées. Le code rural touche à son terme.

La restauration des haras de l'Empire datera de l'année qui vient de s'écouler, et avec elle la régénération des chevaux pour le service de l'agriculture, des transports et de nos armées. Le besoin d'une amélioration aussi essentielle et devenue si urgente ne pouvait échapper à la vigilance de l'Empereur; mais presque tous les établissements étaient languissants ou détruits, les ressources dissipées par une imprévoyance de dix années. Des hommes de l'art ont parcouru la surface de la France, l'Espagne et le nord de l'Europe; ils ont recueilli encore un nombre considérable d'étalons choisis dans les races étrangères, ou reste de nos plus belles races. Les haras et dépôts existants retrouveront, par la rétrocession de leurs biens, les ressources qui leur sont nécessaires; cinq nouveaux dépôts sont formés. 50,000 francs ont été distribués en primes, et ces primes ont déjà constaté quelques progrès; elles en promettent d'autre, des règlements se rédigent pour garantir un sage emploi, une reproduction avantageuse.

L'industrie française a été affranchie du plus fort des tributs qu'elle payait à l'industrie étrangère; le bénéfice de la consommation intérieure est réservé à nos filatures, à nos métiers, sans que l'appui donné à la fabrication des tissus de coton puisse nuire à celle des draps et soieries. Une école des arts et métiers a été promise à Saint- Maximin, celle de Beaupréau se prépare. Le conservatoire des arts et métiers, confié à des hommes qui l'ont eux-mêmes enrichi de leurs découvertes, offre à l'industrie un musée classé avec ordre, rempli des productions de tous les arts, et traçant l'histoire de leurs progrès. Une exposition des produits de l'industrie, liée aux solennités qui accompagneront le retour triomphant des armées, mettra sous les yeux de la capitale le dénombrement de tous les ateliers de l'Empire, déterminera une consommation abondante de leurs ouvrage et donnera une impulsion toute nouvelle à leurs efforts. Nos manufacturiers, certains de la protection du souverain, se rappelant que leur ruine fut le véritable but de la guerre, continueront de tromper cette cruelle espérance de l'ennemi, et se prépareront à obtenir, au retour de la paix, le triomphe que doit un jour remporter notre industrie.

Les belles-lettres et les beaux-arts se disposent à prendre l'essor qui convient à un siècle témoin de si grands événements. Leur règne approche. Il est dans la nature des choses que les grandes actions précèdent les tableaux destinés à les retracer, et les plus beaux ouvrages des arts d'imitation. Celui qui fait est suivi de celui qui peint et qui raconte. Ce sont les faits merveilleux qui ont partout donné naissance aux plus brillantes conceptions de l'imagination des hommes ..... Et ne sommes-nous pas dans le siècle des merveilles ?

Le feu sacré est entretenu par nos corps littéraires, dignes de leur réputation et de la réputation de ceux qui les composent; ils conservent la tradition du goût en épurant le langage, le rendant à sa dignité première; ils préparent le succès du génie. Le dictionnaire de l'Académie française, refait sur un plan plus vaste et mieux ordonné, deviendra un monument du siècle de Napoléon. Le Gouvernement protégé cette grande entreprise, et ce code littéraire sera, comme le Code civil, un de ses bienfaits; bienfait pour la France et pour l'Europe, dont la langue française devient de plus en plus le langage.

Nos corps scientifiques s'occupent plus que jamais de rendre utile la science qu'ils ont su rendre familière. La révolution, loin de suspendre leurs travaux, les a fait servir au bien de l'État, et l'État a payé, par de justes honneurs, les services qui lui ont été rendus et les talents dont il a recueilli les fruits.

L'école polytechnique, fille de la science et créée pour la propager, a rempli sa destination; elle vient d'acquérir un nouveau degré de perfection par le régime qui y a été introduit. Ses élèves, assujettis à une discipline presque militaire, y puisent l'habitude de l'ordre et consacrent tout leur temps aux objets de leurs études.

Turin a vu rouvrir, à la voix de Napoléon, son antique université; réglée par des lois plus libérales, entourée de tous les établissements qui secondent le génie de l'étude, elle promet à l'ancienne capitale du Piémont de la rendre le centre des lumières en Italie.

Gênes aussi a obtenu son université, mais accommodée aux besoins d'une cité commerçante et industrieuse; près d'elle un asile se prépare pour les enfants des marins, et, leur offrant tous les bienfaits de l'instruction, récompensera dans les fils le dévouement des pères.

Neuf écoles de droit, en grande partie organisées, forment une pépinière de jurisconsultes éclairés pour les tribunaux et pour le barreau français.

Le prytanée de Saint-Cyr, servant tout ensemble, et à acquitter la dette publique envers les services passés, et à préparer des services futurs, est lié à l'école militaire de Fontainebleau; déjà celle-ci s'honore des lauriers cueillis par ses élèves dans les champs de l'Allemagne et de la Moravie. Vingt-neuf lycées sont en pleine activité; plusieurs autres seront bientôt établis; une nouvelle distribution de pensions nationales, en multipliant et graduant ces récompenses achève d'assurer les ressources de ces établissements, accrues d'ailleurs par une comptabilité plus sévère. L'entretien de vingt-neuf lycées, les frais d'organisation et les dépenses générales n'ont coûté à l'État, pour un bienfait offert à tous, doublé par un grand nombre, que la somme de trois millions à peu près. Trois cent soixante et dix écoles secondaires sont érigées aux frais des communes et jouissent la plupart, dès leur naissance, de la plus haute prospérité. Un nombre au moins égal d'écoles secondaires établies par des particuliers, mais surveillées par l'administration publique, complète notre système actuel d'enseignement, système auquel il entre dans les pensées de l'Empereur de donner bientôt plus d'ensemble et de perfection, en fixant son but d'une manière plus déterminée, et en créant l'esprit qui doit animer tous ceux qui se livrent à cette honorable fonction.

Mais, en s'occupant ainsi de favoriser le progrès des lumières en France, de semer partout le germe des vertus publiques et privées, en veillant, avec une prévoyante sollicitude, aux besoins de la génération future, l'Empereur ne pouvait oublier d'étendre ses bienfaits au sexe qui exerce un si grand empire sur nos mœurs; il ne pouvait regarder son éducation comme étrangère aux destins de la patrie, aux intérêts de la morale, à l'attention du législateur. Trois maisons d'éducation reçoivent les filles de ceux qui auront bien servi l'État; un règlement général, sans rien détruire, mais tendant à perfectionner, donnera une utile direction aux établissements qui doivent former de bonnes épouses et de bonnes mères; déjà l'administration a secondé, protégé plusieurs d'entre eux, sans exiger, pour cet appui, d'autre retour que de servir, envers la classe peu fortunée, les vœux de la bienfaisance publique.

La Banque a rendu des services essentiels, mais n'a pas répondu à tout ce qu'on avait droit d'attendre d'elle. La loi qui l'institue est incomplète; plusieurs de ses dispositions les plus importantes ont été violées. L'escompte, qui ne devait servir qu'à réaliser le crédit de la place, et qui, par la loi, ne devait avoir lieu qu'en faveur des négociants et selon leur crédit, a donné naissance à des opérations qui ont violé, dans la lettre et dans l'esprit, cette institution si importante au crédit et à la vie de notre commerce. Cet escompte a été souvent trop abondant pour des individus qui ne l'appliquaient qu'à des payements de circulation, non à des effets de commerce ou du Gouvernement, lesquels, ayant derrière eux des recettes ou des marchandises, ne sont jamais illusoires.

Cet objet est un des premiers qui aient fixé les regards de l'Empereur. Il a reconnu avec plaisir la solidité et l'état satisfaisant de cet établissement, malgré ces violations, malgré ces imperfections, qui doivent être corrigées par des lois dans le cours de votre session. Parmi celles que le Conseil d'État est chargé de vous présenter, vous en verrez une qui ordonne l'achèvement de l'édifice de la Madeleine, où devront être réunis tous les établissements du commerce : Sa Majesté a pensé que c'était une juste indemnité pour les pertes que son peuple avait éprouvées par l'interruption du payement des billets de banque à bureau ouvert.

En vous parlant de la Banque, Sa Majesté a voulu qu'il fût bien clairement exprimé que jamais, sous son règne, aucun papier monnaie, aucune altération dans les monnaies n'aurait lieu. Comment en effet l'un ou l'autre pourrait-il se renouveler sous son gouvernement, lorsque l'histoire de tous les siècles nous confirme que ces expériences désastreuses ne sont faites que sous des gouvernements énervés ? Les billets de la Banque ne seront toujours, aux yeux de l'État, que des billets de confiance, et jamais il ne les reconnaîtra comme obligatoires.

Les ministres des finances et du trésor public ont présenté leurs comptes à l'Empereur. Vous y verrez la situation prospère de nos finances. L'ordre et la clarté qui règnent dans ces comptes sont tels, qu'il n'y a point d'exemple qu'une aussi grande nation ait eu une connaissance aussi entière de toutes ses affaires; et c'est là un des principaux avantages des principes de notre monarchie, qui séparent entièrement le trésor du prince de celui de la nation, dont il est l'administrateur suprême sous la responsabilité des ministres. Tout ce que la nation paye est directement employé pour soutenir ses nombreuses armées, pour améliorer son territoire et pour subvenir à toutes les dépenses nationales. 

Un changement assez notable aura lieu dans les lois du budget. Au moment où ces lois vous seront présentées, vous y verrez l'intention de l'Empereur d'établir un système permanent de finances : c'est un des plus grands bienfaits que son peuple puisse attendre de lui. Il faut un prince éclairé et fort pour pouvoir se décider entre les différents partis qui, dans ces derniers siècles, ont partagé les administrateurs et ceux qui se sont occupés d'économie politique.

L'expérience a fait justice du principe d'une imposition unique, tant vantée; et, d'un autre côté, les abus du passé ont signalé tous les inconvénients attachés aux impositions indirectes , vexatoires et fatigantes; et c'est en vain que leurs partisans appellent en témoignage l'Angleterre. Dans les propositions qui vous seront faites sur cet objet, comme sur tous les autres, vous reconnaîtrez modération dans les taxes personnelles, exclusion de tout système absolu, etc.

Mais ici, il faut le dire avec courage à la nation, sa sûreté veut qu'une armée nombreuse soit maintenue, que des flottes soient construites et équipées pour protéger notre commerce, nos colonies et nos droits. Ces circonstances exigent des finances productives; l'Empereur estime que huit cents millions sont nécessaires en temps de guerre, et plus de six cents millions en temps de paix; car jamais le sort de son peuple ne doit être à la merci de quelque complot obscur, ni de quelque intrigue de cabinet; et dans tous les instants il doit être prêt à faire face à l'orage, ou à faire taire les jalouses clameurs de ses ennemis.

La nouvelle législation propose des diminutions dans les impositions directes. Dans les temps ordinaires, la charge n'en est que très pesante pour les propriétaires, mais tout ce qui vous sera proposé a été profondément médité, et aucun abus dont on ait eu à se plaindre avec raison ne sera renouvelé.

Vous verrez dans la loi sur les douanes le soin qu'on a mis à protéger notre commerce, nos manufactures, et à mettre, autant qu'il dépend de nous, des bornes à la prospérité des manufactures de nos ennemis.

L'année dernière, la solde a été augmentée par la fourniture, qui a été faite au soldat, du pain blanc pour sa soupe, qu'il payait auparavant sur sa solde. Cette année, l'Empereur a pensé que les soldats, qui ne sont autres que nos enfants, doivent, en guerre ou en paix, avoir le même genre de nourriture, et que son peuple n'approuverait aucune économie sur cet objet de dépense.

L'augmentation d'une demi-ration de viande, accordée également en temps de paix au soldat, fera aussi une augmentation notable dans la dépense, mais qui ne sera pas plus regrettée que la précédente

Les domaines nationaux, par une combinaison ingénieuse et sage, passeront dans les mains de la caisse d'amortissement. Le Sénat, la Légion d'honneur, le Prytanée, par des contrats où leurs intérêts sont ménagés, ont cédé des domaines à la caisse d'amortissement, qui leur a donné en échange des rescriptions sur le grand livre. Tout le fonds d'amortissement décrété par la loi du 30 ventôse an IX a été, depuis l'an XII, également soldé en domaines. Les cinquante-deux millions que le trésor devait à cette caisse sont soldés de la même manière, et, par là, la dette publique a cessé d'être flottante et a été fixée dans des mains qui la possèdent comme immeuble. On a trouvé aussi dans ces différentes combinaisons de quoi faire cesser le service des années IX, X, XI, XII et XIII, et de rattacher au service courant tout ce que le trésor percevra sur ces exercices antérieurs.

Il est dans la volonté de l'Empereur, comme dans les intentions de la nation, d'accroître notre marine, et, si nous avons perdu quelques vaisseaux dans les derniers combats de mer, c'est un nouveau motif pour redoubler d'énergie. Un grand nombre de nos escadres parcourent les mers et ont attaqué le commerce de nos ennemis jusque dans ses routes les plus éloignées. Notre flottille tout entière va être ranimée par le retour à son bord des vainqueurs d'Ulm et d'Austerlitz ....... .Mais tous ces moyens de guerre ne seront jamais que des moyens de paix, d'une paix égale, où nous puissions trouver la garantie que nous ne serons point soudainement attaqués et envahis sous les prétextes les plus frivoles et les plus mensongers; mieux vaut supporter encore les calamités de la guerre que de faire une paix qui nous donnerait la certitude de nouvelles pertes et offrirait un nouvel aliment à la mauvaise foi et à la cupidité de nos ennemis.

La réunion du Piémont à la France, exécutée depuis deux ans, rendait indispensable la réunion de Gênes, qui en est le port. Celle de la place de Gènes, occupée depuis longtemps par les Français, défendue par eux dans la seconde coalition, a été la suite de la volonté et de l'indépendance de cette république. Cette réunion n'augmentait pas notre puissance continentale; l'Angleterre seule avait le droit de s'en plaindre; elle n'a pas été la cause de la guerre que nous venons de terminer. La réunion n'a eu lieu qu'au mois de juin, et, dès le mois d'avril, les intrigues de l'Angleterre avaient séduit le cabinet de Pétersbourg. L'humiliation de la France et le démembrement de ses provinces étaient résolus. Ce n'est pas simplement le royaume d'Italie qu'on voulait nous enlever : le Piémont, la Savoie, le comté de Nice, Lyon même, les départements réunis, la Hollande, la Belgique, les places de la Meuse, tel était le démembrement qui était dicté par l'Angleterre aux coalisés , et sans doute ils ne s'y seraient point arrêtés s'ils avaient triomphé de la constance du peuple francais.

L'Angleterre prend peu d'intérêt à l'Italie : la Belgique, voilà le véritable motif de la haine qu'elle nous porte.

Mais la Hollande, les cent dix départements de la France, le royaume d'Italie, Venise, la Dalmatie, l'Istrie, Naples, sont désormais sous la protection de l'aigle impériale, et la réunion de ces États ne nous donne que les moyens nécessaires pour être redoutables sur nos frontières et sur nos côtes.

La Bavière, le Wurtemberg, Bade et plusieurs des principal puissances d'Allemagne sont nos alliés.

L'Espagne, constante dans sa marche, a montré une activité, une bravoure, une fidélité dont nous n'avons qu'à nous louer.

Dans les guerres précédentes, l'Angleterre et la Russie avaient toujours présenté à l'empereur d'Autriche l'appât d'un agrandissement en Italie , pour le déterminer à y prendre part; mais ce souverain maintenant mieux instruit de l'état des choses, a reconnu le danger de l'alliance d'Angleterre, et laisse à la France seule le soin de mêler des affaires d'Italie; n'ayant recouvré ses États que par modération et la générosité de l'Empereur, il sait que ce n'est que dans l'amitié de la France qu'il pourra trouver la tranquillité et bonheur dont ses sujets ont besoin plus qu'aucun autre peuple l'Europe.

L'empereur de Russie, impuissant pour nous faire du mal, sent que la véritable politique de son pays est aussi dans l'amitié de France , tout comme sa véritable gloire est dans l'affranchissement des mers et dans le refus de reconnaître des principes qui soulèvent même les plus petits États, et qui les ont mis dans le cas de braver les bombardements et les blocus plutôt que de s'y soumettre.

L'Empereur offrait la paix à l'Autriche après chaque victoire. Il l'avait accordée à Naples avant la guerre : paix violée aussitôt que jurée, et qui a entraîné la ruine de cette Maison. Il offre également la paix à l'Angleterre. Il ne prétend pas faire revenir cette puissance sur les immenses changements faits aux Indes, pas plus qu'il prétend faire revenir l'Autriche et la Russie sur le partage de Pologne : mais il a le droit de se refuser à revenir sur les alliances et sur les réunions qui composent les nouveaux éléments fédératifs de l'empire français.

La Turquie a été constamment sous l'oppression de la Russie, l'Empereur, en acquérant la Dalmatie, a eu principalement pour but de se trouver à portée de protéger le plus ancien de nos alliés, de le mettre en état de se maintenir dans son indépendance, à laquelle la France est intéressée plus que toute autre puissance.

La première coalition, terminée par le traité de Campo-Formio, a eu pour résultat favorable à la France l'acquisition de la Belgique, la limite du Rhin, la Hollande mise sous l'influence fédérative de France, et la conquête des États qui, aujourd'hui, forment le royaume d'Italie.

La seconde coalition lui a donné le Piémont.

Et la troisième met dans son système fédératif Venise et Naples. Que l'Angleterre soit donc enfin convaincue de son impuissance, qu'elle n'essaye pas une quatrième coalition, quand même il serait dans l'ordre des choses possibles qu'elle pût la renouveler !

Voilà ce que le Gouvernement a fait pour la gloire et la prospérité de la France; l'Empereur n'envisage que ce qui reste à faire, et il le trouve bien au-dessus de ce qu'il a fait; mais ce ne sont pas des conquêtes qu'il projette ; il a épuisé la gloire militaire ; il n'ambitionne pas ces lauriers sanglants qu'on l'a forcé de cueillir : perfectionner l'administration, en faire pour son peuple la source d'un bonheur durable, d'une prospérité toujours croissante , et, de ses actes, l'exemple et la leçon d'une morale pure et élevée; mériter les bénédictions de la génération présente et celles des générations futures, dont sa pensée embrasse aussi les intérêts, telle est la gloire qu'il ambitionne; telle est la récompense qu'il se promet d'une vie vouée tout entière aux plus nobles, mais aux plus pénibles fonctions.