La réhabilitation du maréchal Brune

Dominique Contant

 


(Avertissement : je me suis largement inspiré du livre Le Maréchal Brune, la toge et l'épée (Maurice Vergne -1996). Il faut savoir que quelques historiens ont mis en doute certaines informations contenues dans ce livre, principalement quant aux faits en Avignon )


Le scandale est dans le crime ; il n'est pas dans la plainte ; il n'est pas dans le cri du sang injustement versé

Ainsi commençait la requête adressé par Maître Dupin, célèbre avocat parisien, au roi Louis XVIII, ce 19 mars 1819.

Sire, …Un horrible attentat a été commis sous le règne de Votre Majesté. Un des grands officiers de la couronne, un maréchal de France, a été lâchement assassiné et depuis près de quatre ans, ce crime si public, si révoltant, n'a pas été puni…Pourquoi, à l'insu de Votre Majesté, dans son propre palais, la mort du Maréchal a-t-elle reçu une sorte de ratification ? 

(le tableau de ce Maréchal avait été enlevé de la galerie)

On a craint apparemment que son image resté dans le salon des Maréchaux ne vous rappelât le forfait, et qu'en traversant cette salle pour aller prier Dieu qui protège la France, il ne vous vint à l'esprit de faire punir les coupables….

Je demande justice, Sire

justice pour le meurtre de mon époux,
justice de l'outrage fait à son cadavre,
justice de l'insulte faite à sa mémoire par ceux qui ont osé l'accuser de suicide.

Cette justice, je la demande au Roi,
Je la demande à ses ministres,
Je la demande aux Chambres,
Je la demande à la nation toute entière….
 

Cette lettre, vous l'avez compris, était d'Angélique Nicole Pierre, veuve du maréchal Guillaume Marie-Anne Brune, qui demandait au roi le droit de déposer une plainte contre les assassins de son mari.

Brive et la Révolution

Il ne s'agit pas de faire ici une biographie du maréchal Brune, mais de nous limiter à quelques faits importants de sa vie et qui conduiront au tragique drame. Né à Brive, en Corrèze, le 13 mars 1763, Guillaume Brune se destine à des études de droit. A vingt ans il s'inscrit à l'école de droit et au Collège de France, à Paris. En 1789 il fait la connaissance de Marat, Fréron, Fabre d'Églantine. Il devient l'ami de Danton et de Camille Desmoulins. Il saura échapper à la tourmente révolutionnaire. On l'accusera de manque de courage lorsque Danton et ses amis furent guillotinés. Mais pouvait-il faire quelque chose pour sauver ses amis girondins ?

La princesse de Lamballe

L'assassinat de la princesse de Lamballe.C'est maintenant qu'il convient de rappeler l'un des épisodes les plus tristes de la Révolution Française. En 1792 l'armée autrichienne s'approche de Verdun. Le peuple de Paris s'agite et quelques uns seront pris d'une véritable folie sanguinaire. Ce seront les tristement célèbres massacres de septembre. Le 2 septembre 1792, la foule envahit la prison de la Force, enlève et lynche la princesse de Lamballe. On dit que sa tête, sur une pique, aurait été montrée à la fenêtre de son amie, Marie Antoinette, prisonnière au Temple.

Cette histoire n'a rien à voir avec celui qui nous intéresse, pourrait-on penser. Mais, curieusement, l'auteur anglais Goldsmith allait écrire plus tard: Quelques personnes (sans donner de noms ) ont cru reconnaître dans l'homme qui portait la tête, le général Brune déguisé ! 

Nous savons que ceci est faux : la duchesse d'Abrantès, dans ses Mémoires, se souvient d'avoir vu l'homme qui portait la tête. Elle donne même des noms : Charlat portait la tête, Grison le cœur de l'infortunée. Pour éviter les poursuites judiciaires Charlat s'engagea dans l'armée et fut massacré pas ses compagnons et Grison fut condamné à mort et exécuté à Troyes.

Ce qui est important est que, pour les royalistes, Brune est l'assassin de la princesse de Lamballe et a participé aux massacres de septembre. Mais nous savons aujourd'hui que Brune se trouvait alors à Rodenac, près de Thionville, au nord de la France.

La Suisse

Après s'être distingué lors de la première campagne d'Italie, Brune, maintenant général de division, se voit confier par le Directoire l'intervention en Suisse, en 1798. La Suisse est rapidement dominée ; le 17 mars 1798, Brune adresse au Directoire une lettre l'informant de la soumission de la Suisse. Il tente de maintenir la discipline et d'empêcher les pillages comme le prouve sa déclaration à l'armée du 9 mars 1798. Mais pour préparer sa campagne d'Italie, le Directoire impose à la Suisse de lourdes contributions. Brune s'irrite contre les commissaires français qui pillent la Suisse. L'un d'eux, Rapinat, beau frère du Directeur suisse Rewbell, se montre terriblement efficace; comme l'on disait à Paris : 

Le pauvre Suisse qu'on ruine
Voudrait bien qu'on décidât
Si Rapinat vient de rapine,
Ou rapine de Rapinat "

Avec soulagement Brune reçoit le commandement de l'armée d'Italie. Le 28 mars 1798 il quitte Berne, remplacé par le général Schawenbourg. Peu de temps après son départ l'armée française commet des exactions à Einsiedeln, le 4 mai 1798 - plus d'un mois après le départ de Brune - et à Sion, vers le 15 mai. Schawenbourg commit également des exactions et des pillages le 9 septembre 1798 à Stanz.

Brune, comme nous venons de le voir, n'était donc plus en Suisse lors des évènements de Einsiedeln, Sion et Stanz. Mais le nom de Brune se trouva injustement mêlé à ces pillages. De nombreux auteurs reprirent l'information, comme Taine, et Brune aura ainsi la réputation de pillard. On l'accusa plus tard de malversation avec le fameux Trésor de Berne. En 1819 un jugement de la cour des comptes innocentera, mais avec retard, le maréchal Brune, en vérifiant que l'intégralité des sommes avait été reçue par le Directoire.

Napoléon lui même dira à Saint Hélène : Brune fut injustement accusé d'avoir abusé de ses pouvoirs en Suisse ; mais l'histoire lui rendra justice.

Un jeu de mot

Si vous dites à quelqu’un aujourd’hui : Nous nous rencontrons à la brune, très peu vont vous comprendre. Cette expression était courante au XIX° siècle et voulait dire la nuit. Un chanson, qui reflète bien l'esprit de l'époque dans l'armée française en Suisse disait : (Pour voler) n'y vas jamais de jour, c'est trop bête, mais vas-y à la brune, tu ne manqueras jamais ton coup.

Rapidement ce mot d'humour fut connu dans toute l'armée et on disait que ses soldats honnêtes le jour, volaient à la Brune.

Ainsi se propage la calomnie sur Brune alors que Soult vole de magnifiques collections de tableaux en Espagne, Masséna, selon Napoléon lui-même a beaucoup volé dans le pays Vénitien.

La disgrâce

L'acte de capitulation suédoise, maladroitement rédigé par Brune le 7 septembre 1807, sera l'occasion de la longue disgrâce de Brune. Nous parlerons peut être un jour de cet épisode. A partir de cette date, le nom du maréchal Brune ne sera plus prononcé. Il se retirera à Saint Just. Profitons justement pour vérifier que, en 1808, la fortune de Brune s'élevait à 600 000 Francs or ( environ 1 900 000 Euros ) Si on sait que Brune avait son traitement de maréchal d'Empire et celui de Conseiller d'État, et avait reçu de nombreuses donation de Napoléon, sa fortune n'avait rien d'extraordinaire.

Les Cent-Jours jours

Retournant de l'île d'Elbe, Napoléon avait traversé le sud de la France. En Avignon il avait ressenti l'hostilité de la population. Il s'était alors souvenu de Brune. Celui qui avait, avec habilité et sans excès, pacifié le sud de la France en 1795 et la Vendée en 1800. Le 16 avril 1815, Davout, au nom de l'Empereur, ordonne à Brune de commander la 8e division militaire. Après 8 ans d'exil et de silence Brune redevient un soldat de l'Empereur.

Mais le 24 juin il reçoit la nouvelle de Waterloo. Le 4 juillet il écrit encore ' Vive l'Empereur Napoléon II, vive à jamais la liberté française ! 

20 jours plus tard il doit reconnaître, avec douleur, le nouveau gouvernement et accepter la soumission. Son dernier message sera aux soldats de la 8e division : La patrie a droit à tous nos sacrifices ; elle ordonne que nous renoncions à ces drapeaux qui nous rappellent tant de victoires ; qu'ils reçoivent mes douloureux adieux…

Avignon

Avignon - Porte de l'Oulle - photo : OuvrardLa situation de Brune est très difficile. Il doit aller à Paris, mais traverser une région où il est doublement détesté : pour avoir été un des premiers révolutionnaires et pour être un représentant de Napoléon. Ses amis lui conseillent d'abandonner Toulon en bateau. Il juge cette idée peu digne d'un maréchal d'Empire et décide de remonter le Rhône.

Sur la route de Paris, à Aix, il est déjà menacé et insulté par un groupe royaliste. A Cavaillon, étrangement, son escorte reçoit l'ordre de revenir vers Toulon. Il est aujourd'hui prouvé que l'ordre venait de la ville d'Avignon. Seul et sans escorte, le maréchal arrive en Avignon le 2 août 1815 à 8 heures du matin, pour changer les chevaux au relais de l'hôtel du Palais royal.

Un groupe se forme autour de la voiture. Un dénommé Soulier crie : C'est le maréchal Brune, celui qui a porté la tête de la princesse de Lamballe.'

La foule empêche la voiture de continuer sa route. Brune retourne à l'hôtel (1) . On lui donne la chambre n° 3, au premier étage. Les autorités de la ville d'Avignon sont étrangement passives. Maintenant 4000 personnes menacent de dévaster l'hôtel. Dans sa chambre le maréchal vient d'écrire et de déchirer 3 lettres. Fargès entre dans la chambre avec un pistolet, le maréchal lui prend la main, et le coup de feu se perd dans la fenêtre. Roquefort crie Stupide. Tu l'as manqué, moi je ne vais pas le manquer . Par derrière il tire avec sa carabine ; Brune meurt, la carotide sectionnée. Il est 3 heures de l'après midi.

Le maire de la ville dit alors à la foule : Retournez chez vous, le maréchal s'est suicidé !

Une heure plus tard on donne des ordres pour enterrer le maréchal.

La thèse du suicide

Si vivant le maréchal était déjà détesté par la foule royaliste, cette nouvelle calomnie allait le rendre odieux. Un suicidé ne se respecte pas, on ne respecte pas un suicidé. La foule s'empare du corps et le jette d'un pont dans le Rhône. Durant très longtemps on verra écrit sur le pont : Cimetière du maréchal Brune . Rapidement la presse locale reprendra la thèse mensongère du suicide.

Pourquoi tant de haine ? Peut être pour avoir défendu et empêché les anglais de prendre Toulon, malgré les ordres du roi d'ouvrir toutes les villes et d'accueillir les alliés , peut être pour avoir dit Que les drapeaux de l'Empires reçoivent nos douloureux adieux.

A ce sujet il y a dans les archives officielles ce rapport anonyme de juillet 1815 : Ordre de faire saisir le maréchal Brune qui persiste à faire maintenir la cocarde et le drapeau tricolore à Toulon '

Le retour du corps

Durant plusieurs jours le corps de Brune fut transporté par le Rhône. Un matin, un jardinier retrouva un corps méconnaissable et l'enterra sur les terres du baron de Chartrouse. Durant 2 ans, l'épouse du maréchal Brune multiplia les enquêtes et localisa la fosse. Le 5 décembre 1817, le baron de Chartrouse, avec l'aide du jardinier, retrouva le corps et l'envoya à la maréchale Brune. (2)

Le procès

Avec un courage admirable, malgré la terreur blanche qui sévissait alors, elle obtint du roi le droit de poursuivre les assassins et, à Riom, le 25 février 1821, il était reconnu que le maréchal n'avait pas porté la tête de la princesse de Lamballe, que le maréchal n'était pas coupable de malversations et que le maréchal ne s'était pas suicidé.

La réhabilitation

Brune n'avait pas le génie militaire de Davout, ni la bravoure de Ney, ni la protection de Marmont , mais il avait bien mérité de retourner dans la galerie des portraits des Maréchaux de l'Empire


(1) L'hôtel où fut assassiné Brune se trouvait au 21 de l'actuelle place Crillon, à la porte de l'Oulle à Agignon. Une plaque commémore ce tragique évènement.

(2) Le maréchal Brune repose, aux cotés de son épouse, dans le cimetière de Saint-Just-Sauvage (51).