1 - 1er décembre 1808


Quartier général de Chamartin, près Madrid, 2 décembre 1808

BULLETIN DE L'ARMÉE D'ESPAGNE

Le 29, le quartier général de l'Empereur a été porté au village Boceguillas. Le 30, à la pointe du jour, le duc de Bellune s'est présenté au pied du Somo-Sierra. Une division de 13,000 hommes de l'armée de réserve espagnole défendait le passage de cette montagne. L'ennemi se croyait inexpugnable dans cette position ; il avait retranché le col, que les Espagnols appellent Puerto, et y avait placé soixante pièces de canon. Le 9e d'infanterie légère couronna la droite, le 96e marcha sur la chaussée, et le 24e suivit à mi-côte les hauteurs de gauche. Le général Senarmont, avec six pièces d'artillerie, avanca par la chaussée. La fusillade et la canonnade s'engagèrent. Une charge que fit le général Montbrun, à la tête des chevau-légers polonais de la Garde, décida l'affaire, charge brillante s'il en fut, où ce régiment s'est couvert de gloire et a montré qu'il était digne de faire partie de la Garde impériale. Canons, drapeaux, soldats, fusils, tout fut enlevé, coupé ou pris. Huit chevau-légers polonais ont été tués sur les pièces et seize ont été blessés. Parmi ces derniers, le capitaine I)ziewanovski a été si grièvement blessé qu'il est presque sans espérance. Le major Ségur, maréchal des logis de la Maison de l'Empereur, chargeant parmi les Polonais , a reçu plusieurs blessures dont une assez grave. Les seize pièces de canon, dix drapeaux, une trentaine de caissons, deux cents chariots de toute espèce de bagages, les caisses des régiments, sont les fruits de cette brillante affaire. Parmi les prisonniers, qui sont très-nombreux, se trouvent tous les colonels et lieutenants-colonels des corps de la division espagnole. Tous les soldats auraient été pris s'ils n'avaient pas jeté leurs armes et ne s'étaient pas éparpillés dans les montagnes. Le ler décembre, le quartier général de l'Empereur était à Saint-Augustin; et le 9, le duc d'Istrie, avec la cavalerie, est venu couronner les hauteurs de Madrid. L'infanterie ne pourra arriver que le 3. Les renseignements que l'on a jusqu'à cette heure portent à penser que la ville est livrée à toute espèce de désordres, et que les portes sont barricadées. Le temps est très-beau.

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L'officier parlementaire que vous m'avez envoyé a été voir sa famille; je le renverrai demain.


Camp impérial de Madrid, 4 décembre 1808

Au maréchal Bessières, duc d'Istrie, commandant la réserve de la cavalerie de l'armée d'Espagne

Mon Cousin, je vous ai fait connaître que Madrid s'est rendu et que nous en avons pris possession à midi ; que nous sommes entrés à l'Escurial, que le général Dorsenne, avec les fusiliers, a pris position au pont de Rojas, entre Al'eala et Madrid; que le maréchal Victor se rend à ce pont avec une division; que mes dragons, mes grenadiers et chasseurs sont en route pour se rendre à ce pont; qu'une deuxième division du maréchal Victor est disponible, et qu'il faut manoeuvrer de manière à pouvoir promptement attaquer le général la Pefia et à en avoir une aile.


Camp impérial de Madrid, 4 décembre 1808

DÉCRET.

Article 1. - A dater de la publication du présent décret, les droits féodaux sont abolis en Espagne.

ART. 2. - Toute redevance personnelle , tous droits exclusifs de pêche, de madrague, ou autres droits de même nature sur les côtes, fleuves et rivières, toutes banalités de four, moulin, hôtellerie, sont supprimés. Il sera permis à chacun, en se conformant aux lois, de donner un libre essor à son industrie.

ART. 3 - Le présent décret sera publié et enregistré dans tous les conseils, cours et tribunaux, pour être exécuté comme loi de l'État.

NAPOLÉON


Camp impérial de Madrid, 4décembre 1808

DÉCRET

ARTICLE 1er. - Le tribunal de l'inquisition est aboli, comme attentatoire à la souveraineté et à l'autorité civile.

ART. 2. - Les biens appartenant à l'inquisition seront mis sous le séquestre et réunis au domaine d'Espagne pour servir de garantie aux vales et à tous autres effets de la dette publique.

ART. 3. - Le présent décret sera publié et enregistré dans tous les conseils, cours et tribunaux, pour être exécuté comnie loi de l'État.

NAPOLÉON.


Camp impérial de Madrid, 4 décembre 1808

DÉCRET.

Considérant que les religieux des divers ordres monastiques en Espagne sont trop multipliés ; Que, si un certain nombre est utile pour aider les ministres des autels dans l'administration des sacrements, l'existence d'un nombre trop considérable est nuisible à la prospérité de l'état ; Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

ARTICLE ler. - Le nombre des couvents existant actuellement en Espagne sera réduit au tiers. Cette réduction s'opérera en réunissant les religieux de plusieurs couvents du même ordre dans une seule maison.

ART. 2. - A dater de la publication du présent décret, aucune admission au noviciat, aucune profession religieuse ne seront permises jusqu'à ce que le nombre des religieux de l'un et de l'autre sexe ait été réduit au tiers du nombre desdits religieux existants. En conséquence, et dans un délai de quinze jours, tous les novices sortiront des couvents dans lesquels ils avaient été admis.

ART. 3. - Tous les ecclésiastiques réguliers qui voudront renoncer à la vie commune et vivre en ecclésiastiques séculiers seront libres de sortir de leurs maisons.

ART. 4. - Les religieux qui renonceront à la vie commune conformément à l'article précédent seront admis à jouir d'une pension dont la quotité sera fixée à raison de leur âge, et qui ne pourra être moindre de 3,000 réaux, ni excéder le maximum de 4,000 réaux.

ART. 5. - Sur le montant des biens des couvents qui se trouveront supprimés en exécution de l'article ler du présent décret, sera d'abord prélevée la somme nécessaire pour augmenter la portion congrue des cures, de manière que le minimum du traitement des curés soit élevé à 900 réaux.

ART. 6. - Les biens des couvents supprimés, qui se trouveront disponibles après le prélèvement ordonné par l'article ci-dessus, seront réunis au domaine de l'Espagne et employés, savoir - 1° la moitié desdits biens à garantir les vales et autres effets de la dette publique; 2° l'autre moitié à rembourser aux provinces et aux villes les dépenses occasionnées par la nourriture des armées françaises et des armées insurrectionnelles, et à indemniser les villes et les campagnes des dégâts, des pertes de maisons, et toutes autres pertes occasionnées par la guerre.

ART. 7. - Le présent décret sera publié et enregistré dans tous les conseils, cours et tribunaux, pour être exécuté comme loi de l'État.


Camp impérial de Madrid, 4 décembre 1808

DÉCRET.

Considérant qu'un des établissements qui s'opposent le plus à la prospérité intérieure de l'Espagne est celui des barrières existant entre les provinces, nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

ARTICLE 1er. - A dater du 1er janvier prochain, les barrières existant de province à province seront supprimées - Les douanes seront transportées et établies aux frontières.

ART. 2. - Le présent décret sera publié et enregistré dans tous les conseils, cours et tribunaux, pour être exécuté comnie loi de l'état.


 Quartier général devant Madrid, 4 décembre 1808

BULLETIN DE L'ARMÉE D'ESPAGNE.

Le 2, à midi, Sa Majesté arriva de sa personne sur les hauteurs qui couronnent Madrid et où étaient placées les divisions de dragons des généraux Latour-Mlaubourg et Lahoussaye et la Garde impériale à cheval. L'anniversaire du couronnement, cette époque qui a signalé tant de jours à jamais heureux pour la France, réveilla dans tous les eoeurs les plus doux souvenirs et inspira à toutes les troupes un enthousiasme qui se manifesta par mille acclamations. Le temps était superbe et semblable à celui dont on jouit en France dans les plus belles journées du mois de mai.

Le maréchal duc d'Istrie envoya sommer la ville, où s'était formée une junte militaire sous la présidence du général Castellar, qui avait sous ses ordres le général Moria, capitaine qénéral de l'Andalousie et inspecteur général de l'artillerie. La ville renfermait un grand nombre de paysans armés qui s'y étaient rendus de tous côtés, 6,000 hommes de troupes de ligne et cent pièces de canon. Depuis huit jours, on barricadait les rues et les portes de la ville; 60,000 hommes étaient en armes; des cris se faisaient entendre de toutes parts, les cloches de deux cents églises sonnaient à la fois, et tout présentait l'image du désordre et du délire.

Un général de troupes de ligne parut aux avant-postes pour répondre à la sommation du duc d'Istrie; il était accompagné et surveillé par trente hommes du peuple dont le costume, les regards et le farouche langage rappelaient les assassins de septembre. Lorsqu'on demandait au général espagnol s'il voulait exposer des femmes, des enfants, des vieillards aux horreurs d'un assaut, il manifestait à la dérobée la douleur dont il était pénétré; il faisait connaître par des signes qu'il gémissait sous l'oppression ainsi que tous les honnêtes gens de Madrid, et, lorsqu'il élevait la voix, ses paroles étaient dictées par les misérables qui le surveillaient. On ne put avoir aucun doute de l'excès auquel était portée la tyrannie de la multitude, lorsqu'on le vit dresser procès-verbal de ses propres discours et les faire attester par la signature des spadassins qui l'environnaient.

L'aide de camp du duc d'Istrie qui avait été envoyé dans la ville, saisi par des hommes de la dernière classe du peuple, allait être massacré, lorsque les troupes de ligne, indignées, le prirent sous leur sauvegarde et le firent remettre à son général.

Un garcon boucher de l'Estrémadure, qui commandait une des portes, osa demander que le duc d'Istrie vînt lui-même dans la ville les yeux bandés. Le général Montbrun repoussa cette audace avec indignation ; il fut aussitôt entouré, et il ne s'échappa qu'en tirant son sabre. Il faillit être victime de l'imprudence avec laquelle il avait oublié qu'il n'avait point affaire à des ennemis civilisés.

Peu de temps après, des déserteurs, des gardes wallones se rendirent au camp. Leurs dépositions donnèrent la conviction que les propriétaires, les hommes honnêtes, étaient sans influence, et l'on dut croire que toute conciliation était impossible.

La veille, le marquis de Perales, homme respectable, qui avait paru jouir jusqu'alors de la confiance du peuple, fut accusé d'avoir fait mettre du sable dans les cartouches. Il fut aussitôt étranglé, et ses membres déchirés furent envoyés comme des trophées dans tous les quartiers de la ville. On arrêta que toutes les cartouches seraient refaites et trois ou quatre mille moines furent conduits au Retiro et employés à ce travail. Il avait été ordonné que tous les palais, toutes les maisons seraient constamment ouvertes aux paysans des environs, qui devaient y trouver de la soupe et des aliments à discrétion.

L'infanterie française était encore à trois lieues de Madrid. L'Empereur employa la soirée à reconnaître la ville et à arrêter un plan d'attaque qui se conciliàt avec les ménagements que mérite le grand nombre d'hommes honnêtes qui se trouvent toujours dans une grande capitale.

Prendre Madrid d'assaut pouvait être une opération militaire de peu de difficulté ; mais amener cette grande ville à se soumettre, en employant tour à tour la force et lapersuasion, et en arrachant les propriétaires et les véritables hommes de bien à l'oppression sous laquelle ils gémissaient, c'est là ce qui était difficile. Tous les efforts de l'Empereur, dans ces deux journées, n'eurent pas d'autre but : ils ont été couronnés du plus grand succès.

A sept heures, la division Lapisse, du corps du maréchal duc de Bellune, arriva. La lune donnait une clarté qui semblait prolonger celle du jour. L'Empereur ordonna au général de brigade iNI@tison de s'emparer des faubourgs , et chargea le général de division Lauriston de protéger cette occupation par le feu de quatre pièces d'artillerie de la Garde. Les voltigeurs du 1 61 régiment s'emparèrent des maisons et notamment d'un grand cimetière. Au premier feu, l'ennemi montra autant de lâcheté qu'il avait montré d'arrogance pendant toute la journée.

Le duc de Bellune employa toute la nuit à placer son artillerie dans les lieux désignés pour l'attaque.

A minuit, le prince de Neuchâtel envoya à Madrid un lieutenant-colonel d'artillerie espagnol, qui avait été pris à Somo-Sierra et qui voyait avec effroi la folle obstination de ses concitoyens. Il se chargea de la lettre ci-jointe, no 1 1.

Le 3, à neuf heures du matin, le même parlementaire revint au quartier général avec la lettre ci-jointe, no 2.

Mais déjà le général de brigade d'artillerie Senarmont, officier d'un grand mérite, avait placé ses trente pièces d'artillerie et avait commencé un feu très-vif qui avait fait brèche au mur du Retiro. Des voltigeurs de la division Villatte ayant passé la brèche, leur bataillon les suivit, et en moins d'une heure les hommes qui défendaient le Retiro furent culbutés. Le palais du Retiro, les postes importants de l'observatoire, de la manufacture de porcelaine, de la grande caserne et de l'hôtel de Medina Celi, et tous les débouchés qui avaient été mis en défense, furent emportés par nos troupes.

D'un autre côté, vingt pièces de canon de la Garde jetaient des obus et attiraient l'attention de l'ennemi sur une fausse attaque.

On se serait peint difficilement le désordre qui régnait dans Madrid, si un grand nombre de prisonniers arrivant successivement n'avaient rendu compte des scènes épouvantables et de tout genre dont cette capitale offrait le spectacle. On avait coupé les rues , crénelé les maisons des barricades de balles de coton et de laine avaient été formées les fenêtres étaient matelassées. Ceux des habitants qui désespéraient du succès d'une aveugle résistance fuyaient dans les campagnes. D'autres, qui avaient conservé quelque raison, et qui aimaient mieux se montrer au sein de leurs propriétés devant un ennemi généreux que de les abandonner au pillage de leurs propres concitoyens, demandaient qu'on ne s'exposa point à un assaut. Ceux qui étaient étrangers à la ville ou qui n'avaient rien à perdre voulaient qu'on se défendît à toute outrance, accusaient les troupes de ligne de trahison et les obligeaient à continuer le feu.

L'ennemi avait plus de cent pièces de canon en batterie ; un nombre plus considérable de pièces de 2 et de 3 avaient été déterrées, tirées des caves et ficelées sur des charrettes, équipage grotesque qui seul aurait prouvé le délire d'un peuple abandonné à lui-même. Mais tous moyens de défense étaient devenus inutiles. Étant maître du Retiro , on l'est de Madrid. L'Empereur mit tous ses soins à empêcher qu'on entrât de maison en maison. C'en était fait de la ville si beaucoup de troupes avaient été employées. On ne laissa avancer que quelques compagnies de voltigeurs, que l'Empereur se refusa toujours à faire soutenir.

A onze heures, le prince de Neuchâtel écrivit la lettre ci-jointe; Sa Majesté ordonna aussitôt que le feu cessât sur tous les points.

A cinq heures, le général Moria, l'un des membres de la junte militaire, et don Bernardo Yriarte, envoyé de la ville, se rendirent dans la tente de Son Altesse Sérénissime le major général. Ils firent connaître que tous les hommes bien pensants ne doutaient pas que la ville ne fût sans ressources, et que la continuation de la défense était un véritable délire, mais que les dernières classes du peuple et que la foule des hommes étrangers à Madrid voulaient se défendre et croyaient le pouvoir. Ils demandaient la journée du 4 pour faire entendre raison au peuple. Le prince major général les présenta à Sa Majesté l'Empereur et Roi, qui leur dit :

"Vous employez en vain le nom du peuple. Si vous ne pouvez parvenir à le calmer, c'est parce que vous-mêmes vous l'avez excité, vous l'avez égaré par des mensonges. Rassemblez les curés, les chefs des couvents, les alcades, les principaux propriétaires, et que, d'ici à six heures du matin, la ville se rende, ou elle aura cessé d'exister. Je ne veux ni ne dois retirer mes troupes. Vous avez massacré les malheureux prisonniers francais qui étaient tombés entre vos mains. Vous avez, il y a peu de jours, laissé trainer et mettre à mort , dans les rues , deux domestiques de l'ambassadeur de Russie, parce qu'ils étaient nés Francais. L'inhabileté et la lâcheté d'un général avaient mis en vos mains des troupes qui avaient capitulé sur le champ de bataille, et la capitulation a été violée. Vous, Monsieur Moria, quelle lettre avez-vous écrite à ce général ? Il vous convenait bien de parler de pillage, vous qui, étant entré en Roussillon, avez enlevé toutes les femmes et les avez partagées comme un butin entre vos soldats ! Quel droit aviez-vous d'ailleurs de tenir un pareil langage ? La capitulation vous l'interdisait. Voyez quelle a été la conduite des Anglais, qui sont bien loin de se piquer d'être rigides observateurs du droit des nations ; ils se sont plaints de la convention du Portugal, mais ils l'ont exécutée. Violer les traités militaires, c'est renoncer à toute civilisation , c'est se mettre sur la même ligne que les Bédouins du désert. Comment donc osez-vous demander une capitulation, vous qui avez violé celle de Bailen ? Voilà comme l'injustice et la mauvaise foi tournent toujours au préjudice de ceux qui s'en sont rendus coupables. J'avais une flotte à Cadix ; elle était l'alliée de l'Espagne, et vous avez dirigé contre elle les mortiers de la ville où vous commandiez. J'avais une armée espagnole dans mes rangs ; j'ai mieux aimé la voir passer sur les vaisseaux anglais et être obligé de la précipiter du haut des rochers d'Espinosa, que de la désarmer. J'ai préféré avoir 1,000 ennemis de plus à combattre que de manquer à la bonne foi et à l'honneur. Retournez à Madrid. Je vous donne jusqu'à demain six heures du matin. Revenez alors si vous n'avez à me parler du peuple que pour m'apprendre qu'il s'est soumis. Sinon, vous et vos troupes, vous serez tous passés par les armes."

Le 4, à six heures du matin, le général Moria et le général don Fernando de la Verki, gouverneur de la ville, se présentèrent à la tente du prince major général. Les discours de l'Empereur, répétés au milieu des notables, la certitude qu'il commandait en personne, les pertes éprouvées pendant la journée précédente, avaient porté le repentir et la terreur dans tous les esprits. Pendant la nuit, les plus mutins s'étaient soustraits au danger par la fuite, et une partie des troupes s'étaient débandées.

A dix heures, le général Belliard prit le commandement de Madrid; tous les postes furent remis aux Francais, et un pardon général fut proclamé.

A dater de ce moment, les hommes, les femmes, les enfants se répandirent dans les rues avec sécurité. Jusqu'à onze heures du soir les boutiques furent ouvertes. Tous les citoyens se prirent à détruire les barricades et à repaver les rues; les moines rentrèrent dans leurs couvents, et, en peu d'heures, Madrid présenta le contraste le plus extraordinaire, contraste inexplicable pour qui ne connaît pas les moeurs des grandes villes. Tant d'hommes qui ne pouvaient se dissimuler à eux-mêmes ce qu'ils auraient fait en pareille circonstance s'étonnent de la générosité des Francais. 50,000 armes ont été rendues, et cent pièces de canon sont réunies au Retiro. Au reste, les angoisses dans lesquelles les habitants de cette malheureuse ville ont vécu depuis quatre mois ne peuvent se dépeindre ; la junte était sans puissance ; les hommes les plus ignorants et les plus forcenés exerçaient le pouvoir, et le peuple, à chaque instant, massacrait on menaçait de la potence ses militaires et ses généraux.

Le général de brigade Maison a été blessé. Le général la Bruyère, qui s'était avancé imprudemment dans le moment où l'on avait cessé le feu, a été tué; douze soldats ont été tués ; cinquante ont été blessés. Cette perte, si faible pour un évènement aussi mémorable, est due, au peu de troupes qu'on a engagées ; on la doit aussi , il faut le dire, à l'extrême lâcheté de tout ce qui avait les armes à la main. L'artillerie a, comme à son ordinaire, rendu les plus grands services.

10,000 fuyards, échappés de Burgos et de Somo-Sierra, et la division de l'armée de réserve, se trouvaient, le 3, à trois lieues de Madrid; mais, chargés par un piquet de dragons , ils se sont sauvés en abandonnant quarante pièces de canon et soixante caissons.

Un trait mérite d'être cité. Un vieux général, retiré du service et âgé de quatre-vingts ans, était dans sa maison, à Madrid, près de la rue d'Alcala ; un officier francais y entre et s'y loge avec sa troupe. Ce respectable vieillard parait devant cet officier, tenant une jeune fille par la main, et dit : "Je suis un vieux soldat, je connais les droits et la licence de la guerre; voilà ma Fille, je lui donne 900,000 livres de dot; sauvez-lui l'honneur, et soyez son époux."

Le jeune officier prend le vieillard, sa famille et sa maison sous sa protection. Qu'ils sont coupables ceux qui exposent tant de citoyens paisibles, tant d'infortunés habitants d'une grande capitale à tant de malheurs !

Le duc de Danzig est arrivé le 3 à Ségovie. Le duc d'Istrie, avec 4,000 hommes de cavalerie , s'est mis à la poursuite de la division la Pena, qui, s'étant échappée de la bataille de Tudela, s'était dirigée sur Guadalajara.

Florida Blanca et la junte s'étaient enfuis d'Aranjuez et s'étaient sauvés à Tolède; ils ne se sont pas crus en sûreté dans cette ville et se sont réfugiés auprès des Anglais.

La conduite des Anglais est honteuse ! Dès le 20, ils étaient à l'Escurial au nombre de 6,000 ; ils y ont passé quelques jours. Ils ne prétendaient pas moins que franchir les Pyrénées et venir sur la Garonne. Leurs troupes sont superbes et bien disciplinées. La confiance qu'elles avaient inspirée aux Espagnols était inconcevable. Les uns espéraient que cette division irait à Somo-Sierra, les autres qu'elle viendrait défendre la capitale d'un allié si cher. Mais tous connaissaient mal les Anglais. A peine eut-on avis que l'Empereur était à Somo-Sierra, que les troupes anglaises battirent en retraite sur l'Escurial. De là, combinant leur marche avec la division de Salamanque, elles se dirigèrent sur la mer. Des armes, de la poudre, des habits, ils nous en ont donné, disait un Espagnol; mais leurs soldats ne sont venus que pour nous exciter; nous égarer et nous abandonner au milieu de la crise. Mais, répondit un officier francais, ignorez-vous donc les faits les plus récents de notre histoire ? Qu'ont-ils fait pour le Stathouder, pour la Sardaigne, pour l'Autriche ? Qu'ont-ils fait récemment pour la Russie ? Qu'ont- ils fait plus récemment encore pour la Suède ? Ils fomentent partout la guerre; ils distribuent des armes comme du poison; mais ils ne versent leur sang que pour leurs intérêts directs et personnels. N'attendez pas autre chose de leur égoïsme. "Cependant, répliqua l'Espagnol, leur cause était la nôtre. 40,000 Anglais ajoutés à nos forces à Tudela et à Espinosa pouvaient balancer les destins et sauver le Portugal. Mais à présent que notre armée de Blake à la gauche, que celle du centre, que celle d'Aragon à la droite , sont détruites, que les Espagnes sont presque conquises, et que la raison va achever de les soumettre, que deviendra le Portugal ? " Ce n'est pas à Lisbonne que les Anglais devaient le défendre, c'est à Espinosa, à Burgos, à Tudela , à Somo-Sierra et devant Madrid.


Chamartin, 5 décembre 1808

A Joseph Napoléon, roi d'Espagne, au Prado

Mon Frère, il est nécessaire que vous preniez, dans la nuit, un décret pour organiser un régiment étranger, sous le titre de Royal- Étranger d'Espagne. Dans ce régiment seront compris tous les Autrichiens, Prussiens, Italiens, servant depuis dix ans en Espagne. Commencez par en former un bataillon. Nommez pour colonel un des principaux étrangers de votre garde , le général Saitigny, ou un de vos aides de camp. Nommez-y un chef de bataillon et six capitaines tirés de votre garde, ainsi que les sergents nécessaires. Le cadre pourra contenir 1,200 hommes; il y a dans Madrid assez de monde pour cela. Le bataillon pourra se former demain, à midi , dans la cour du palais; on l'armera avec les armes provenant du désarmement; on lui donnera des cartouches et on l'enverra à l'Escurial pour achever de l'organiser. Après que le premier bataillon sera formé, on en formera un second, puis un troisième, puis le quatrième. Ce régiment de Royal-étranger d'Espagne sera ainsi composé de quatre bataillons, de six compagnies chacun. Chaque compagnie sera de 200 hommes et chaque bataillon de 1,200 hommes, le tout formant 4,800 hommes. Cela aura l'avantage de débarrasser Madrid de ce tas d'étrangers, qui seront très-utiles lorsqu'ils auront des officiers et sous-officiers français de votre garde.

Donnez sur-le-champ une nouvelle organisation à votre garde. Composez chaque régiment de quatre bataillons , chaque bataillon de quatre compagnies, chaque compagnie de 200 hommes; les cadres en existent déjà ; cela ferait 3,200 hommes pour votre garde. N'y recevez que des conscrits français, de ceux que j'ai donné l'ordre de faire venir de Paris et de Bayonne, et des Français faits prisonniers avec Dupont, ayant pris le service d'Espagne depuis moins d'un an. On peut être sûr de ceux-là; il y en a déjà plusieurs centaines ici. Cherchez aux environs de Madrid une caserne pour les réunir. Qu'ils ne viennent à Madrid que lorsqu'ils seront habillés. On ignorera ainsi comment votre garde se forme; autrement les Espagnols pourraient en concevoir une mauvaise opinion. Je pense que vous pourrez réunir 2,000 de ces déserteurs français du corps de Dupont.

Donnez refuge à tous les Suisses, mais n'accueillez que de véritables Suisses. Les cinq régiments suisses au service d'Espagne n'en contenaient guère chacun que 400, ce qui ne ferait que 2,000; le reste est autrichien, allemand , etc. Formez-en un régiment que vous appellerez Régiment de Reding le jeune, puisque cet officier s'est bien comporté. Nommez un officier supérieur de votre garde pour colonel provisoire de ce régiment, jusqu'à ce que Reding soit arrivé. Vous enverrez le ler bataillon sur l'Escurial. Que votre ministre de la guerre prenne des mesures pour habiller, équiper et armer tout cela. Avant un mois vous pouvez avoir 12,000 hommes, qui feront la police de Madrid et du royaume.

Quant aux Espagnols, vous avez des militaires qui se sont bien comportés. Il y en a du corps de la Romana à l'armée du Nord, auxquels on doit de la reconnaissance, entre autres un général et plusieurs colonels. Faites venir ce général, qui est en France, et mettez-le à la tête d'un régiment espagnol. Je crois qu'il faudrait appeler ce régiment Royal-Napoléon d'Espagne, afin que ce titre leur fasse sentir leurs obligations. Supprimez le nom de gardes wallones, qui est un nom déshonoré et qui est ridicule aujourd'hui.

Votre armée doit donc se composer, 1° d'un régiment de votre garde composé de 3,200 hommes, 2° d'un régiment Royal-Étranger d'Espagne composé de 4,800 hommes, 3° d'un régiment suisse de Reding composé de 4,800 hommes, 4° d'un régiment Royal-Napoléon d'Espagne composé de 4,800 hommes.

Quant à la cavalerie, j'ignore quelle est sa composition. Je pense que le régirnent de cavalerie de votre garde doit être de 800 hommes. Complétez les escadrons à 200 hommes; incorporez-y tous les prisonniers faits avec Dupont. Je connais une trentaine de cavaliers de ce corps qui ont déjà déserté. Vous formerez ce régiment à l'Escurial ou à Aranjuez.

Formez ensuite un régiment de cavalerie des déserteurs des régiments. Nommez-lui un colonel espagnol, parmi les officiers espagnols dont vous êtes sûr, en y mettant un adjudant-major et des officiers français.


Chamartin, 5 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général, à Chamartin

Mon Cousin, la tête de la division polonaise doit être arrivée le ler au soir à Burgos. Je dois avoir donné des ordres pour la faire continuer sa route; si je ne l'avais pas fait, donnez-lui des ordres en conséquence. Le ler régiment de cette division devrait être aujourd'hui à Somo-Sierra. Donnez l'ordre au général Valence de laisser en passant à Somo-Sierra un bataillon, qui y sera retranché avec une compagnie de sapeurs qu'ont les Polonais. Ce bataillon relèvera celui du 54e, qui, moyennant cela, rejoindra son régiment à Madrid Envoyez l'ordre que tout le reste de la division, infanterie et cavalerie, continue sa route sur Madrid.

La tête du 5e corps doit être déjà à Vitoria. Donnez-lui l'ordre de continuer à filer jusqu'à Burgos, où elle attendra de nouveaux ordres.

Donnez l'ordre à la division Delaborde, qui est à Saint-Sébastien de se diriger sur Vitoria, où elle attendra de nouveaux ordres, et à la division Loison de la remplacer à Saint-Sébastien. Donnez l'ordre au duc d'Abrantès de porter son quartier général à Vitoria


Chamartin, 5 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général, à Chamartin

Mon Cousin, le plateau de Somo-Sierra sera retranché de manière que 300 hommes puissent s'y défendre contre les paysans des montagnes ; on y mettra en batterie les pièces de canon qui ont été prises. Le bâtiment de la Porcelaine sera fortifié; le plan m'en sera soumis aujourd'hui, et on commencera à y travailler demain. L'Observatoire devra y être compris. Le bâtiment de la Porcelaine sera divisé en quatre : une face pour l'hôpital, une face pour l'artillerie, une face pour les vivres et une face pour le magasin d'habillemeint. A dater d'après-demain, tous les malades seront établis dans la Porcelaine. Donnez des ordres là-dessus à l'entendant et aux commandants de l'artillerie et du génie.


Chamartin, 5 décembre 1808

Au général Belliard, gouverneur de Madrid

Monsieur le Général Belliard, rien ne s'est encore fait à Madrid. Ce n'est pas avec de la mollesse et des cajoleries que l'on peut remettre l'ordre dans les premiers moments, mais avec de la fermeté, et de la vigueur.

1° - Donnez l'ordre à tous les officiers et soldats de naissance espagnole de se réunir en un lieu, et, lorsqu'il y en aura 500, faites-les conduire au quartier général.

2° Donnez ordre aux étrangers au service d'Espagne, Français, Suisses, etc., de se réunir dans un lieu que vous leur désignerez , où le Roi enverra quelqu'un pour les organiser.

3° Donnez l'ordre que tous les généraux espagnols qui se trouvent dans Madrid viennent donner leur adresse, âge et qualités. Ils sont tous prisonniers de guerre et doivent répondre des prisonniers qui sont en Andalousie. Quand j'en aurai la liste, je statuerai sur ce qu'ils deviendront. Ils doivent jurer sur leur parole d'honneur de se regarder comme prisonniers de guerre et de se représenter quand je l'exigerai.

Donnez l'ordre de mettre les scellés sur les biens de l'infantado d'Ossuna, de Medina-Celi, Santa-Cruz, Hijar, Cevallos, et sur ceux des autres éinigrés.

Donnez l'ordre à la junte militaire de ne plus se réunir; il ne doit y avoir que les corrégidors et les alcades qui soient chargés de la police. Que chaque alcade ait, demain avant midi, fait enlever les barricades, repaver les rues et enlever les cadavres, soit d'hommes, soit de chevaux. Donnez ordre que les fusils soient demain transportés dans un seul lieu, au Retiro, et faites après-demain matin une proclamation pour donner encore quarante-huit heures, passé lequel délai, tout habitant qui sera trouvé avoir des armes sera condamné à mort. Donnez l'ordre aux alcades de dénoncer les mulets et chevaux, effets d'équipement et de harnachement, etc., appartenant à l'armée espagnole ou au train , et donnez-les au train de la Garde et à celui du ler corps.

Il faut que demain les trois régiments destinés à former la garnison soient casernés et aient des effets de casernement. Les officiers seront logés, dans les maisons des émigrés, comme pavillons, en ayant soin de réserver le plus bel appartement pour un officier général. La division Ruffin sera également casernée demain , mais dans des couvents où elle sera nourrie et bien traitée par les moines. Elle sera répartie de manière qu'il y ait un demi-bataillon dans chaque couvent et que le bataillon soit à portée de se réunir. Il faut donc qu'il y ait à Madrid des logements dans les casernes pour 6,000 hommes de garnison, et dans les couvents pour 12 à 18,000 hommes ; par ce moyen, hormis les cas extraordinaires, les habitants ne logeront pas.

Donnez l'ordre au général Senarmont de réunir toute son artillerie au Retiro, de retirer toutes ses pièces et d'éviter cet appareil de guerre; seulement les six pièces du roi seront placées près de son palais , où elles se trouveront sous la surveillance de sa garde. Faites également préparer des écuries dans les couvents et maisons d'émigrés pour 1,000 chevaux de cavalerie et 1,000 chevaux du train. Il faut absolument que demain personne ne bivouaque plus.

Faites ôter de partout la capitulation qui, n'ayant pas été tenue par les habitants, est nulle. Je vous avais fait dire de ne pas la faire imprimer , et cependant aujourd'hui on l'affiche partout dans Madrid.


Chamartin, 5 décembre 1808.

Au général Lacuée, directeur des revues et de la conscription militaire, à Paris

Mon intention est de renvoyer les compagnies de grenadiers et de voltigeurs des 4e bataillons des régiments qui font partie de l'armée du Rhin à leurs régiments, pour former le cadre des 4e bataillons, et d'augmenter insensiblement ces 4e bataillons des quatre autres compagnies, de manière que l'armée du Rhin, qui est composée de vingt et un régiments, le soit de quatre-vingt-quatre bataillons; ce qui, avec les huit bataillons qui forment le corps des villes hanséatiques, fera quatre-vingt-douze bataillons, ou un effectif de près de 78,000 hommes , et, avec la cavalerie et l'artillerie, près de 110,000 hommes. Le corps d'Oudinot ne serait plus alors composé que des compagnies de grenadiers et voltigeurs des régiments ci- après, savoir : 6e, 9e, 16e, 25e, 27e, 17e, 21e, 24e, 26e, 28e d'infanterie légère; 8e, 95e, 96e, 4e, 18e, 40e, 64e, 88e, 27e, 39e, 45e, 69e, 76e, 24e, 54e, 63e, 94e d'infanterie de ligne. Mon intention serait que les compagnies restant des 4e bataillons de ces corps y fussent réunies ; ce qui compléterait vingt-huit bataillons. J'y joindrais les 4e bataillons des 46e, 28e, 50e, 75e, 100e et 103e; ce qui porterait ce corps à trente-quatre bataillons, qui, à 840 hommes chacun, feraient près de 30,000 hommes. Pour compléter le nombre de 30,000 hommes, j'y réunrais les bataillons des tirailleurs du Pô et des tirailleurs corses; j'en formerais trois divisions de douze bataillons chacune; ce qui ferait un beau corps qui pourrait, si cela était nécessaire, renforcer l'armée du Rhin et la porter à 140,000 hommes, laissant les 4e, 46e, 18e de ligne, 24e et 26e légers , ce qui fait cinq régiments, pour la défense du port de Boulogne et de la Bretagne, et me laissant ainsi la faculté de diriger sur l'Allemagne les 4e bataillons des 48e, 13e, 108e.

Enfin mon intention serait de réunir au corps d'Oudinot les 1er bataillons des régiments qui ne font partie ni de l'armée du Rhin , ni de l'armée d'Italie, ces bataillons ne pouvant se compléter que par la conscription de 1810 ; et, dans ce cas, je pense qu'il serait nécessaire de former les 5e bataillons de tous les régiments qui n'en ont plus, afin de pouvoir, quelque temps après, disposer des six régiments laissés dans l'intérieur, en les remplacent par des extraits des 5e bataillons.


Madrid, 5 décembre 1808

Au général Caulaincourt, ambassadeur à Saint-Pétersbourg

Nous sommes à Madrid depuis hier. Les bulletins vous feront connaître les événements qui se sont passés depuis le combat de Burgos, la bataille d'Espinosa et de Tudela, et les combats de Soma-Sierra et du Retiro. Les Anglais ont eu la lâcheté de venir jusqu'à l'Escurial, d'y rester plusieurs jours, et, à la première nouvelle que j'approchais du (sic) Somo-Sierra, de se retirer, abandonnant la réserve espagnole. On me dit que l'ambassadeur de Russie est parti, il y a trois semaines, pour Carthagène, où il a dû s'embarquer pour Trieste et pour la France. Le temps ici est superbe; c'est absolument le mois de mai. Nos colonnes se dirigent sur Lisbonne.

(Lecestre)


Chamartin, 6 décembre 1808

A M. de la Valette, directeur général des Postes

Votre service va mal. Vous n'envoyez autour de moi que des imbéciles, et mon estafette de Bayonne vient d'être prise parce que le directeur des postes de Bayonne a donné au courier deux porte-manteaux au lieu d'un, et de plus l'a chargé de deux bouteilles de vin. Le courrier a sauvé le porte-manteau où était le vin, et a laissé prendre celui qui renfermait la correspondance de M. de Champagny. Je viens de destituer ce directeur. Faites connaître sa destitution à tous les directeurs des postes. Il y a longtemps que j'ai ordonné qque les estafettes ne devaient pas porter plus de 25 livres. L'estafette d'Espagne ne doit pas porter d'autres lettres que les miennes, et ls paquets ne doivent être faits que par M. Meneval. Cela avait été ainsi constamment exécuté. M. Meneval a la clef, et les lettres ne doivent être remises que quand je le juge à propos, au lieu qu'il arrive souvent que, contre mon intention, on reçoit les nouvelles de Paris avant que je les aie.

(Lecestre)


Chamartin, 7 décembre 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Il n'y a pas de difficultés à relâcher l'adjudant commandant Martial Thomas; je croyais vous en avoir donné l'ordre. Je pense que vous continuez les interrogatoires de Vedel, Chabert, Dupont, etc.

Les détails que nous apprenons ici des prisonniers qui appartiennent au coprs de Dupont le rendent plus coupable encore, et même il est à concevoir comment un pareil événement a pu arriver. Dupont a laissé 19,000 prisonniers. Vedel avait pris deux régiments avec leur artillerie, et les Espagnols se croyaient perdus. Si Dupont eûl donné f ordre à Vedel de poursuivre ses avantages, et que, de son côté , il eût fait la rnême attaque, les Espagnols étaient en pleine déroute.


Chamartin, 7 décembre 1808

Au général comte Dejean, ministre directeur de l'administration de la guerre, à Paris

Monsieur Dejean, au 1er décembre il n'y avait à Bayonne ni capotes, ni souliers. Vous m'envoyez tous les jours des états qui sont des choses ridicules.

(Brotonne)


Chamartin, 7 décembre 1808.

A Joachim Napoléon, roi des Deux-Siciles, à Naples.

Je reçois votre lettre. Je ne conçois rien à ces intrigailleries italinnes ni à ces menaces d'expéditions d'Anglais en Italie. Cela est par trop bête. Mais ce qui m'étonne, c'est que vous vous croyez autorisé par ces bruits ridicules à ne pas exécuter mes ordres. Que le 72e et le 102e se rendent sans délai à Rome et ne retardez pas plus longtemps l'exécution des ordres que j'ai donnés à mon armée.

(Brotonne)


Madrid, 7 décembre 1808

A M. Fouché, ministre de la police générale

J'ai reçu vos lettres des 28 et 29. Vous avez tord de craindre pour moi. Les Espagnols ne sont pas plus méchants qu'une autre nation. Nous avons ici un temps aussi beau que les plus beaux temps de mai en France. Nous en avons bien profité, puisque nous avons battu tous les ennemis et que nous sommes bien établis à Madrid.

Envoyez-moi un bon chef pour la police pour Madrid et Lisbonne. Il ne me faut pas de bavards, mais des hommes impartiaux et probes, qui ne profitent pas des circonstances pour voler et se déshonorer.

(Lecestre)


Camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808

PROCLAMATION AUX ESPAGNOLS

Espagnols !

Vous avez été égarés par des hommes perfides. lls vous ont engagés dans une lutte insensée et vous ont fait courir aux armes. Est-il quelqu'un parmi vous qui, réfléchissant un moment sur tout ce qui s'est passé, ne soit aussitôt convaincu que vous avez été le jouet des perpétuels ennemis du continent, qui se réjouissaient en voyant répandre le sang espagnol et le sang français b? Quel pouvait être le résultat du succès même de quelques campagnes ? Une guerre de terre sans fin et une longue incertitude sur le sort de vos propriétés et de votre existence. Dans peu de mois vous avez été livrés à toutes les angoisses des factions populaires. La défaite de vos armées a fait l'affaire de quelques marches. Je suis entré dans Madrid. Les droits de la guerre m'autorisaient à donner un grand exemple et à laver dans le sang les outrages faits à moi et à ma nation : je n'ai écouté que la clémence. Quelques hommes, auteurs de tous vos maux, sont seuls frappés. Je chasserai bientôt de la Péninsule cette armée anglaise qui a été envoyée en Espagne, non pour vous secourir, mais pour vous inspirer une fausse confiance et vous égarer.

Je vous avais dit, dans ma proclamation du 2 juin, que je voulais être votre régénérateur. Aux droits qui m'ont été cédés par les princes de la dernière dynastie, vous avez voulu que j'ajoutasse le droit de conquête. Cela ne changera rien à mes dispositions. Je veux même loi ce qu'il peut y avoir de généreux dans vos efforts; je veux reconnaître que l'on vous a caché vos vrais intérêts, qu'on vous a dissimulé le véritable état des choses. Espagnols, votre destinée est entre vos mains. Rejetez les poisons que les Anglais ont répandus parmi voi que votre Roi soit certain de votre amour et de votre confiance, et vous serez plus puissants, plus heureux que vous n'avez jamais été. Tout ce qui s'opposait à votre prospérité et à votre grandeur, je l'ai détruit; les entraves qui pesaient sur le peuple, je les ai brisées; une constitution libérale vous donne, au lieu d'une monarchie absolue, une monarchie tempérée et constitutionnelle. Il dépend de vous que cette constitution soit encore votre loi. Mais si tous mes efforts sont inutiles , et si vous ne répondez pas à ma confiance, il ne me restera plus qu'à vous traiter en provinces conquises et à placer mon frère sur un autre trône. Je nietirai alors la couronne d'Espagne sur ma tête, et je saurai la faire respecter des méchants, car Dieu m'a donné la force et la volonté nécessaires pour surmonter tous les obstacles.


Camp impérial de Madrid, 7 décembre 1808

A l'Impératrice, à Paris

Je reçois ta lettre du 28. Je vois avec plaisir que tu te portes bien.

Tu as vu que le jeune Tascher se comporte bien; cela m'a fait plaisir. Ma santé est bonne.

Il fait ici le temps de la dernière quinzaine de mai, à Paris; nous avons chaud, et point de feu, si ce n'est la nuit qui est assez fraîche.

Madrid est tranquille. Toutes mes affaires vont bien.

Adieu, mon amie.

Tout à toi.

Napoléon

(Lettres à Joséphine)


Chamartin, 8 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel

Mon Cousin, donnez ordre que le 5e de chasseurs se rende à la division Lasalle, de sorte que ce général aura trois régiments : le 10e de chasseurs, le 5e de chasseurs et le 9e de dragons. Le général Milliaud aura également trois régiments de dragons. Ces deux divisions se porteront sur Talavera de la freina.

Envoyez un général de brigade et un commissaire des guerres pour commander à Talavera, mettre de l'ordre et faire sur-le-champ du pain, car c'est sur cette direction que se rendra l'armée.


Chamartin, 8 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, à Chamartin

Mon Cousin , en donnant l'ordre au maréchal Mortier de se diriger sur Saragosse, j'entends qu'il ne mène que les divisions Gazan et Suchet et la brigade de cavalerie légère. Mais la brigade que commande le général Lorge doit se diriger sur Burgos, où elle attendra de nouveaux ordres. Faites-moi connaître quand elle y arrivera.


Chamartin, 8 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, à Chamartin

Écrivez ce qui suit au général Ruffin à Aranjuez :

« J'ai mis vos lettres du 7 décembre sous les yeux de l'Empereur.

Dans la position où vous vous trouvez , il faut attendre des nouvelles du maréchal Victor. Jusqu'à ce moment, il faut battre la campagne et éclairer la route de Tolède. D'après ce que vous dites, je crois que l'ennemi pourrait s'être retiré par Mondejar sur Huetc, ou par Tarancon sur San-Clemente; s'il s'est retiré sur ce dernier point, vous devez en avoir des nouvelles. En attendant, faites reposer vos troupes, occupez-vous de leur faire distribuer des vivres, et maintenez une exacte discipline. Le Roi a envoyé un détachement à Aranjuez ; donnez-lui main-forte s'il est nécessaire. Voyez ce que l'ennemi fait sur Tolède.


Madrid, 9 décembre 1808.

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Monsieur le Général Clarke , vous témoignerez mon mécontentement au roi de Naples de ce qu'il donne des distinctions à mes soldats sans ma participation; qu'il n'a pas ce droit, et qu'en conséquence aucun de ceux auxquels il en a donné ne les auront; que tout Français qui porte une décoration ne doit la tenir que de moi; que je maintiendrai rigoureusement ce principe , et que cela ne se renouvelle plus désormais.


Madrid, 9 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, à Chamartin

Mon Cousin, mon intention est que l'on profite du moment où le 4e corps est à Madrid pour l'organiser convenablement. Ce corps est composé de trois divisions, la division Sebastiani , la division Levai et la division Valence. Il n'y a rien à faire pour l'infanterie de la divi- sion Sebastiani. Donnez ordre que le bataillon du prinet- Primat, la brigade hollandaise qui est à Bilbao, les détachements de Hesse- Darnastadt qui sont restés dans la Biscaye, rejoignent à NIadrid par Aranda. Par ce moyen , la division Levai sera composée ainsi qu'il suit - deux généraux de brigade, le prince d'Isembourg et un généi-al hollandais; un régiment d'infanterie hollandais de 1,600 hommes, un régiment de Bade, un régiment de Nassau, un régiment de Hesse-Darmstadt, un bataillon du prince Primat et un bataillon de Paris, ce qui fera plus de 6,000 hommes. La division Valence est composée de trois régiments polonais qui arrivent ces jours-ci à Madrid.

ADMINISTRATION. Il faut au 4e corps un ordonnateur, un payeur (ce dernier existe) et un chef de chaque service d'administration , trois commissaires des guerres et trois adjoints pour être attachés à chaque division. Je crois qu'il n'y a que deux commissaires des guerres. La division Valence n'a probablement point de commissaires des guerres.

ARTILLERIE. Il faut un général ou au moins un colonel d'artillerie, un chef de bataillon d'artillerie pour chaque division , et au moins trente pièces de canon avec au moins quinze caissons d'infanterie. Il n'existe aujourd'hui que six pièces hollandaises, quatre pièces badoises, huit françaises de la division Sebastiani et trois qui sont à Ségovie , de l'ancienne armée, ce qui fait vingt et une pièces. Il manque donc neuf pièces; mais elles existent, puisqu'il y en a six de Darmstadt et quatre de Bade détachées avec la division Lagrange. Il faut écrire au maréchal Ney que, si ces pièces sont encore à la division Lagrange , il les dirige sur Madrid; si elles n'y sont pas , elles seront restées devant Saragosse. Il faut alors les faire venir; mais comme cela tardera, donnez ordre au général la Riboisière de fournir le matériel et les équipages pour les pièces qui manquent. Quant au personnel, les Polonais ont deux compagnies. Chaque division doit avoir huit pièces de canon et l'avant-garde six pièces d'artillerie légère. Il serait même convenable qu'on pût porter le nombre de pièces à trente-six. Il est à observer que les pièces n'ont qu'un caisson pour deux. Il faut que le général la Riboisière pourvoie à ces détails , car, avec deux obusiers par caisson, il n'y a pas de quoi faire feu une heure. Il est aussi convenable que le général la Riboisière dispose le matériel de manière qu'il n'y ait pas de calibre différent dans le corps d'armée; que les obusiers soient du même calibre et les pièces de 12 , de 8 et de 6. Le génie doit donner un chef de bataillon du génie, trois officiers , une compagnie de sapeurs et un caisson d'outils. Chaque division doit avoir un adjudant commandant et deux adjoints. La division Sebastiani manque d'un général de brigade; si le général Pouzet arrive, on pourra le désigner. Réitérez l'ordre que tous les détachements de hussards hollandais, partout où ils se trouvent, rejoignent à Madrid.

AMBULANCE. Chaque division doit avoir quatre caissons d'ambulance, et le corps d'armée, deux compagnies de transports militaires , savoir : douze voitures pour les ambulances et soixante pour les vivres; ce qui fait soixante et douze, y compris les prolonges et les forges. On donnera deux compagnies entières du 1er bataillon.


Chamartin, 8 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel

Mon Cousin, donnez ordre que le àe de chasseurs se rende à la division Lasalle, de sorte que ce général aura trois régiments : le 1er de chasseurs, le 5e de chasseurs et le 9e de dragons. Le général Milliaud aura également trois régiments de dragons. Ces deux divisions se porteront sur Talavera de la freina.

Envoyez un général de brigade et un commissaire des guerres pour commander à Talavera, mettre de l'ordre et faire sur-le-champ du pain, car c'est sur cette direction que se rendra l'armée.


Madrid, 9 décembre 1808.

ALLOCUTIOLN DE L'EMPEREUR
EN RÉPONSE AUX FÉLICITATIONS DU CORRÉGIDOR DE MADRID.

J'agrée les sentiments de la ville de Madrid. Je regrette le mal qu'elle a essuyé, et je tiens à bonheur particulier d'avoir pu, dans ces circonstances, la sauver et lui épargner de plus grands maux.

Je me suis empressé de prendre des mesures qui tranquillisent toutes les classes des citoyens, sachant combien l'incertitude est pénible pour tous les peuples et pour tous les hommes.

J'ai conservé les ordres religieux, en restreignant le nombre des moines. Il n'est pas un homme sensé qui ne jugeât qu'ils étaient trop nombreux. Ceux qui sont appelés par une vocation qui vient de Dieu resteront dans leurs couvents. Quant à ceux dont la vocation était peu solide et déterminée par des considérations mondaines, j'ai assuré leur existence dans l'ordre des ecclésiastiques séculiers. Du surplus des biens des couvents, j'ai pourvu aux besoins des curés, de cette classe la plus intéressante et la plus utile parmi le clergé.

J'ai aboli ce tribunal contre lequel le siècle et l'Europe réclamaient. Les prêtres doivent guider les consciences, mais ne doivent exercer aucune juridiction extérieure et corporelle sur les citoyens.

J'ai satisfait à ce que je devais à moi et à ma nation. La part de la vengeance est faite; elle est tombée sur dix des principaux coupables. Le pardon est entier et absolu pour tous les autres.

J'ai supprimé des droits usurpés par les seigneurs dans le temps des guerres civiles, où les rois ont trop souvent été obligés d'abandonner leurs droits pour acheter leur tranquillité et le repos des peuples. J'ai supprimé les droits féodaux, et chacun pourra établir des hôtelleries, des fours, des moulins, des madragues, des pêcheries, et donner un libre cours à son industrie en observant les lois et les règlements de la police. L'égoïsme, la richesse et la prospérité d'un petit nombre d'hommes nuisaient plus à votre agriculture que les chaleurs de la canicule.

Comme il n'y a qu'un Dieu , il ne doit y avoir dans un état qu'une justice. Toutes les justices particulières avaient été usurpées et étaient contraires aux droits de la nation : je les ai détruites.

J'ai aussi fait connaître à chacun ce qu'il pouvait avoir à craindre, ce qu'il avait à espérer.

Les armées anglaises, je les chasserai de la Péninsule. Saragosse, Valence, Séville seront soumises, ou par la persuasion, on par la force de mes armes. Il n'est aucun obstacle capable de retarder longtemps l'exécution de mes volontés.

Mais ce qui est au-dessus de mon pouvoir, c'est de constituer les Espagnols en nation sous les ordres du Roi, s'ils continuent à être imbus des principes de scission et de haine envers la France que les partisans des Anglais et les ennemis du continent ont répandus au sein de l'Espagne. Je ne puis établir une nation, un roi et l'indépendance des Espagnols, si ce roi n'est pas sûr de leur affection et de leur fidélité.

Les Bourbons ne peuvent plus régner en Europe. Les divisions dans la famille royale avaient été tramées par les Anglais. Ce n'était pas le roi Charles et son favori que le duc de l'Infantado, instrument de l'Angleterre, comme le prouvent les papiers récemment trouvés dans sa maison, voulait renverser du trône : c'était la prépondérance de l'Angleterre qu'on voulait établir en Espagne, projet insensé dont le résultat aurait été une guerre de terre sans fin et qui aurait fait couler des flots de sang. Aucune puissance ne peut exister sur le continent influencée par l'Angleterre; s'il en est qui le désirent, leur désir est insensé et produira tôt ou tard leur haine.

Il me serait facile, et je serais obligé de gouverner l'Espagne en y établissant autant de vice-rois qu'il y a de provinces. Cependant je ne refuse point à céder mes droits de conquête au Roi et à l'établir dans Madrid, lorsque les 30,000 citoyens que renferme cette capitale, ecclésiastiques, nobles, négociants, hommes de loi, auront manifesté leurs sentiments et leur fidélité, donné l'exemple aux provinces, éclairé le peuple et fait connaître à la nation que son existence et son bonheur dépendent d'un roi et d'une constitution libérale, favorable aux peuples et contraire seulement à l'égoïsme et aux passions orgueilleuses des grands.

Si tels sont les sentiments des habitants de la ville de Madrid, que ses concitoyens se rassemblent dans les églises, qu'ils prêtent devant le saint sacrement un serment qui sorte, non-seulement de la bouche, mais du coeur, et qui soit sans restriction jésuitique; qu'ils jurent appui, amour et fidélité au Roi; que les prêtres au confessionnal et dans la chaire, les négociants dans leurs correspondances, les hommes de loi dans leurs écrits et leurs discours, inculquent ces sentiments au peuple : alors je me dessaisirai du droit de conquête, je placerai le Roi sur le trône, et je me ferai une douce tâche de me conduire envers les Espagnols en ami fidèle. La génération présente pourra varier dans ses opinions, trop de passions ont été mises en jeu; mais vos neveux me béniront comme votre régénérateur. Ils placeront au nombre des jours mémorables ceux où j'ai paru parmi vous, et de ces jours datera la prospérité de l'Espagne.

Voilà, Monsieur le corrégidor, ma pensée tout entière. Consultez vos concitoyens et voyez le parti que vous avez à prendre ; mais, quel qu'il soit, prenez-le franchement et ne me montrez que des dispositions vraies.


Madrid, 10 décembre 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur de Champagny, je vous renvoie vos portefeuilles. Répondez à la lettre de l'empereur d'Autriche. J'approuve que vous fassiez une convention pour régler les limites entre les États de Nassau et le grand-duché de Berg ; mais , dans cette fixation de limites , il serait bon que vous cherchassiez à m'agrandir du côté de Mayence, car je désirerais pouvoir aller de Mayence à Francfort sur mes propres terres. Vous cacherez que l'intention réelle de cet échange est de réunir ce territoire à la France pour en faire un cercle de Mayence. Mais, quant à présent, il suffirait d'avoir ces pays à ma disposition.

Faites connaître au grand-duc de Hesse-Darmstadt que je suis très- mécontent des troupes qu'il m'a données; que celles qu'il avait fait marcher dans les dernières campagnes étaient très-bonnes , mais que celles-ci sont détestables ; tandis que celles de Bade et de Nassau sont généralement estimées.


Madrid, 10 décembre 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Paris

Vous recevrez un décret qui déclare dix personnages espagnols ennemis de la france et de l'Espagne et traîtres aux deux couronnes. Vous ferez connaître ce décret à la Hollande et à Naples. Tous les biens de ces individus m'appartiennent pour répondre des frais de la guerre. Ils doivent être confisqués et séquestrés partout. Dans le royaume d'Italie, cela ne fera aucune difficulté; mais cela pourrait en faire à naples. Parlez-en au duc de Monteleone; faîtes-lui entendre que rien ne doit empêcher mes intentions d'être remplies.

(Lecestre)


Madrid , 10 décembre 1808.

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Les fortifications de Kehl, Kastel , de Juliers et de Weset m'importent moins que celles d'Alexandrie ; la France est moins attaquable sur ces points que sur la frontière d'Italie. Portez vos soins à ce qu'Alexandrie ne manque point de fonds et que les travaux soient poussés avec activité.


Madrid , 10 décembre 1808.

A l'Impératrice, à Paris

Mon Amie, je reçois ta lettre; tu me dis qu'il fait mauvais à Paris; il fait ici le plus beau temps du monde.

Dis-moi, je te prie, ce que veulent dire les réformes que fait Hortense; l'on dit qu'elle renvoie ses domestiques ? Est-ce qu'on lui refuserait ce qui leui est nécessaire ? Dis-moi un mot là-dessus : les réformes ne sont pas convenables.

Adieu, mon amie; il fait ici le plus beau temps du monde. Tout va fort bien, et je te prie de te bien parler.

Napoléon

(Lettres à Joséphine)


Chamartin, 11 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, à Chamartin

Mon Cousin, envoyez un de vos aides de camp à Talavera de la Reina, afin qu'il apporte sur-le-champ des nouvelles de ce qui se passe et de ce qu'on sait des Anglais, ainsi que les lettres de Talavera. Donnez ordre qu'aussitôt que le général Milhaud sera arrivé à Talavera, le général Lasalle pousse en avant et se place à l'embranchement des routes de Talavera à Badajoz et de Talavera à Alcantara. Donnez ordre au général Milhaud de désarmer la ville de Talavera et de faire une grande quantité de pain. Mandez également au général Victor que, dès qu'il sera maître de Tolède, il fasse désarmer cette ville. Envoyez des exemplaires des pièces imprimées à Madrid, savoir : au maréchal Victor, 500 pour Talavera et 500 pour Tolède; au maréchal Soult, 500; à Burgos, 100; à Vitoria, 100; à Perpignan, 100, pour quelles soient sur-le-champ répandues partout.


Chamartin, 11 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, à Chamartin

Mon Cousin, j'ai été aujourd'hui au Retiro. Les dépôts que j'ai ordonnés pour recevoir les hommes des quatre corps ne sont pas encore formés. Prenez des mesures et assurez-vous de leur exécution pour que j'aie là quatre compagnies de marche de 200 hommes chacune; ce qui fera 800 hommes. On prendra les appartements, hormis les pièces dorées. Vous ferez mettre 1,9@00 fournitures dans ce local, et les hommes isolés ou sortant des hôpitaux s'y rendront. On les armera et équipera, et même on pourra les y laisser comme dans un hôpital de convalescents. Qu'il y ait toujours là un commissaire des guerres qui ne s'absente pas. Rendez-vous-y vous-même tous les jours. Je vous rends responsable de l'entière exécution de ces dispositions. Sans dépôts il n'y a pas d'armée. Vous ordonnerez qu'un cinquième dépôt, composé de 400 hommes, commandé par un officier, ce qui fera 1,200 hommes, soit chargé de recevoir les hommes qui ont été faits prisonniers avec le corps de Dupont, mais seulement les Francais, et qui s'échapperaient ou ne voudraient point entrer dans la garde du Roi. Ils seront mis là en subsistance; la plupart sont malades et ont besoin d'être soignés. Il m'en sera rendu compte. On les habillera, on les armera et on les placera dans des corps. J'ai vu un grand nombre de ces malheureux, qui ne veulent point entrer dans la garde du Roi, qui sortent des hôpitaux de San-Fernando, et qui ne savent à quel saint se vouer. Veillez à ce que le dépôt de cavalerie établi dans la caserne à une lieue de Madrid soit organisé.


Madrid, 11 décembre 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur de Champagny, répondez à mon consul à Trieste qu'il faudrait être bien simple pour donner la moindre importance à la nouvelle que les Anglais voudraient tenter un coup de main sur Venise; que les Anglais répandent ces bruits justement pour qu'on les répète, et pour se donner un air de force et un crédit qu'ils n'ont pas.


Chamartin , 12 décembre 1808

Au général Clarke, minstre de la guerre, à Paris

Je reçois votre rapport du 30 novembre. Je ne puis croire que, malgré mes ordres, la marine ait fait construire une caserne en pierre, l'ayant plusieurs fois défendu. Si cela est, j'ordonne au ministre de la marine de suspendre M ....... de ses fonctions, et de le faire venir à Paris pour rendre compte de sa conduite devant une commission du Conseil d'État. Je désire que vous me fassiez un nouveau rapport, et que vous me proposiez des mesures pour que la marine ne commette plus de ces abus.


Chamartin , 12 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général, à Chamartin

Instruisez le maréchal Victor, qui doit être aujourd'hui à Tolède, que le général Lasalle est arrivé le 11 à Talavera de la Reina; qu'il a déjà pris huit Hanovriens; qu'il est question d'Anglais; qu'il est donc important que sur-le-champ il se mette en communication par sa cavalerie avec Talavera. Envoyez un officier intelligent au général Lasalle, afin d'avoir des nouvelles de ce qui se passe. Puisqu'il a pris des Hanovriens, cela sent la proximité des Anglais. Recommandez au général Lasalle de faire faire beaucoup de pain, et instruisez-le que le duc de Danzig fait demain une marche avec son infanterie sur Talavera.

Donnez ordre cette nuit au maréchal Ney de partir avec ses deux premières divisions pour se rendre en deux jours à Madrid. Il laissera la division Dessolle à Guadalajara, tant pour faire l'expédition de Siguenza que pour tranquilliser le pays. Cette division restera jusqu'à nouvel ordre.


Chamartin, 12 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général, à Chamartin

Mon Cousin, expédiez l'officier du génie qui est venu en parlementaire. Il se rendra à Salamanque et Zamora, et de là à l'armée qui est du côté de Léon. S'il le préfère, il passera chez le maréchal Soult. Il portera à Blake, la Romana et autres, les imprimée de Madrid, et les engagera à ne pas se compromettre et à ne pas nourrir davantage les malheurs de l'Espagne. Ayez soin de vous procurer tous les jours un millier d'exemplaires de la Gazette de Madrid, pour les répandre partout.


Chamartiin, 12 décembre 1808

ORDRE DE L'ARMÉE.

L'Empereur est mécontent des désordres qui se commettent. Le pillage anéantit tout, même l'armée qui l'exerce. Les paysans désertent; cela a le double inconvénient d'en faire des ennemis irréconciliables qui se vengent sur le soldat isolé, et qui vont grossir les rangs ennemis à mesure que nous les détruisons; cela prive de tous renseignements, si nécessaires pour faire la guerre, et de tout moyen de subsistance. Les paysans qui venaient au marché en sont éloignés par les troupes, qui les arrêtent, qui pillent leurs denrées, et qui les battent.

L'Empereur ordonne à tous les maréchaux, généraux et officiers, de prendre les mesures les plus fermes, pour mettre enfin un terme à ces abus et à ces excès, qui compromettent la sûreté de l'armée. En conséquence, il est ordonné :

1. Que tout individu qui arrêtera ou maltraitera un habitant ou paysan portant des denrées pour la ville de Madrid sera sur-le-champ conduit à une commission militaire et condamné à la peine de mort;

II. Que tout individu qui se livrera au pillage et empêchera le rétablissement de l'ordre sera traduit devant une commission militaire et puni de mort.

L'Empereur ordonne à MM. les maréchaux, généraux et autres officiers, de donner une protection spéciale aux établissements des postes, soit des postes aux lettres, soit des postes aux chevaux ; il y sera mis des sauvegardes.

En conséquence, il est expressément défendn :

De loger aucun individu dans les maisons des postes aux lettres ou postes aux chevaux ;

D'enlever les fourrages ni aucunes subsistances des maisons des postes aux chevaux ; de prendre les chevaux, soit dans les écuries des postes, soit sur les routes ; de maltraiter les postillons et de leur occasionner du retard.

Tout soldat qui se rendra coupable du délit ci-dessus sera arrêté et traduit à une commission militaire pour être jugé, comme s'étant livré au pillage et ayant compromis la sûreté de l'armée.


Chamartin, 12 décembre 1808

Au maréchal Bessières, duc d'Istrie, commandant la cavalerie de l'armée d'Espagne

Mon Cousin, les généraux Lasalle et Milhaud sont arrivés à Talavera de la Reina le 11 au matin. Il paraît convenable que les lanciers polonais ne perdent pas de temps à s'y rendre. Expédiez un de vos officiers pour faire connaître au général Lasalle que j'attends les lettres de la poste et des nouvelles des Anglais. Il paraît qu'il a déjà pris huit Hanovriens, ce qui nous rapprocherait des Anglais. Si vous avez des chevaux ici, commencez par les faire filer sur Talavera, ainsi que vos bagages.


Camp impérial de Madrid, 12 décembre 1808

DÉCRET

Considérant qu'un des plus grands abus qui se soient introduits dans les finances d'Espagne provient de l'aliénation des différentes branches des impositions, et que cependant l'imposition, de sa nature, est inaliénable,

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

A dater de la publication du présent décret, les individus qui seraient en possession, soit par donation du roi, soit par vente ou par toute autre cause, d'une quotité quelconque des impositions civiles ou ecclésiastiques, cesseront d'en jouir, et les contribuables seront tenus de justifier du payement de leurs impositions aux agents du roi et du trésor. Le présent décret sera publié et enregistré dans tous les conseils, cours et tribunaux, pour être exécuté comme loi de l'État.


Camp impérial de Madrid, 12 décembre 1808

DÉCRET

ARTICLE ler. - Toute justice seigneuriale est abolie en Espagne.

ART. 2. -Il n'existe d'autre juridiction que la juridiction royale.

ART. 3. - Le présent décret sera publié et enregistré dans tous les conseils, cours et tribunaux, pour être exécuté comme loi de l'État.

NAPOLÉON.


Madrid, 12 décembre 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Monsieur le vice-amiral Decrès, je vous envoie un rapport du ministre de la guerre; je ne puis y ajouter foi. Si ce qu'il contient est vrai, suspendez le sieur Malouet de ses fonctions, et donnez-lui ordre de venir á Paris pour rendre dompte de sa conduite, car je regarde dela comme une désobéissance formelle à mes ordres. J'attendrai votre rapport pour statuer définitivement

(Picard)


Chamartin , 12 décembre 1808

AM. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Tartarola et Guittera qui sont à Florence sont deux agents des Anglais. Il faut les faire arrêter, saisir leurs papiers et les traiter sévèrement; ce sont deux misérables.

(Brotonne)


Chamartin , 12 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major-général, à Chamartin

Mon Cousin, doneez ordre que le baron de Mortagne, Pierre Ignace Correa, François Fernandez, don Goule Dupre, don Carlos de Gregorio, muletier de Catalogne, et les 39 invidus compris dans la liste ci-jointe n°1 soient arrêtés dans la journée de demain et soient conduits prisonniers en France. Vous excepterez seulement l'ancien gouverneur de Madrid. Donnez l'ordre que les deux ou trois cents individus portés dans la liste n°2 soient également arrêtés dans la journée de demain et constitués prisonniers. Ayez soin de prescrire des mesures pour que ces arrestations soient faites simultanément. Les personnes âgées de plus de 62 ans pourront obtenir la permission de rester chez eux sur parole.

(Brotonne)


Madrid, 13 décembre 1808

Au maréchal Kellermann, duc de Valmy, commandant en chef l'armée de réserve

Mon Cousin, vous commandez à Bordeaux. Je désire que vous vous y arrêtiez deux jours pour prendre connaissance des confections que j'ai ordonnées dans cette place. Je devrais avoir 40 ou 50,000 capotes, autant d'habits, vestes et culottes, et je n'ai rien. J'ai à Bayonne 15,000 conscrits qui ne peuvent pas entrer en Espagne, parce qu'ils sont tout nus, et mon armée a de grands besoins. Veuillez prendre des mesures pour faire marcher tout cela.

Faites-vous rendre compte des dépôts de bataillons d'équipages militaires qui restent à Bordeaux; levez tous les obstacles. Les 4e, 7e, 10e, 1er et 3e bataillons, ce qui forme six bataillons, devraient me donner près de 900 caissons, et cependant je n'en ai pas 300.

Arrivé à Bayonne, prenez des mesures pour que le dépôt de Pau et le dépôt d'infanterie de Bayonne me fournissent, le premier en cavalerie, et le second en infanterie, le plus de monde possible, mais tous bien équipés, habillés et armés.


Camp impérial de Madrid, 13 décembre 1808

DÉCRET

ARTICLE 1er. - L'escadron de chasseurs ioniens qui a été provisoirement organisé à Corfou, le 25 novembre 1807, sera réduit à une compagnie, qui prendra la dénomination de Compagnie des chasseurs ioniens.

ART. Cette compagnie aura la même composition que celle des régiments de chassseurs à cheval français, et sera, en conséquence, organisée ainsi qu'il suit : 1 capitaine, 1 lieutenant, 2 sous-lieutenants, 1 maréchal des logis chef, 4 maréchaux des logis, 1 brigadier-fourrier, 8 brigadiers, 108 chasseurs, dont un maréchal ferrant, 9 trompettes; total 128.

ART. 3. - Les officiers et sous-officiers seront choisis parmi ceux qui existent actuellement dans l'escadron de chasseurs ioniens, d'après la désignation qui en sera faite par le gouverneur des Sept Iles. Ceux de ces officiers qui ne seront pas compris dans la nouvelle organisation rentreront dans la position où ils se trouvaient avant la formation provisoire de l'escadron, à moins qu'ils n'acceptent les grades inférieurs qui pourraient être vacants dans la compagnie lors de son organisation.

ART. 4. - La compagnie de chasseurs ioniens se recrutera par la voie d'enrôlements volontaires parmi les naturels des Sept Iles.

ART. 5. - Il sera établi dans cette compagnie un conseil d'administration de trois membres, composé du capitaine commandant, du lieutenant ou d'un sous-lieutenant et d'un sous-officier. Le maréchal des logis chef remplira les fonctions de quartier-maître.

ART. 6. - La solde et les masses de cette compagnie seront les mêmes que celles affectées aux régiments de chasseurs à cheval.

ART. Cette compagnie conservera l'uniforme du 25e régiment de chasseurs, en substituant au numéro partout où il se trouve, ces mots : chasseurs ioniens.

Nos ministres de la guerre, de l'administration de la guerre, et du trésor public, sont chargés de l'exécution du présent décret.

NAPOLÉON.


Madrid, 13 décembre 1808

BULLETIN DE L'ARMÉE D'ESPAGNE.

La place de Rosas s'est rendue le 6 ; 2,000 hommes ont été faits prisonniers; on a trouvé dans la place une artillerie considérable. Six vaisseaux de ligne anglais, qui étaient mouillés devant la rade, n'ont pu recevoir la garnison à leur bord. Le général Gouvion Saint-Cyr se loue beaucoup du général de division Beille et du général de division Pino. Les troupes du royaume d'Italie se sont distinguées pendant le siège.

L'Empereur a passé aujourd'hui en revue, au delà du pont de Ségovie, toutes les troupes réunies du corps du maréchal duc de Danzig.

La division du général Sebastiani s'est mise en marche pour Talavera de la Reina.

La division polonaise du général Valence est fort belle.

La dissolution des troupes espagnoles continue de tous côtés ; les nouvelles levées qu'on était occupé à faire se dispersent de toutes parts et retournent dans leurs foyers.

Les détails que l'on recueille de la bouche des Espagnols sur la junte centrale tendent tous à la couvrir de ridicule. Cette assemblée était devenue l'objet du mépris de toute l'Espagne. Ses membres, au -nombre de trente-six, s'étaient attribué eux-mêmes des titres, des cordons de toute espèce, et 60,000 livres de traitement. Florida Blanca était un véritable mannequin. Il rougit à présent du déshonneur qu'il a répandu sur sa vieillesse. Ainsi que cela arrive toujours
dans de pareilles assemblées, deux ou trois hommes dominaient tous les autres, et ces deux ou trois misérables étaient aux gages de l'Angleterre. L'opinion de la ville de Madrid est très-prononcée à l'égard de cette junte, qui est vouée au ridicule et au mépris, ainsi qu'à la haine de tous les habitants de la capitale.

La bourgeoisie, le clergé et la noblesse, convoqués par le corrégidor, se sont rassemblés deux fois; ils ont arrêté la délibération ci-jointe.

L'esprit de la capitale est fort différent de ce qu'il était avant le départ des Francais. Pendant le temps qui s'est écoulé depuis cette époque, cette ville a éprouvé tous les maux qui résultent de l'absence du gouvernement. Sa propre expérience lui a inspiré le dégoût des révolutions; elle a resserré les liens qui l'attachaient au Roi; pendant les scènes de désordre qui ont agité l'Espagne, les voeux et les regards des hommes sages se tournaient vers leur souverain.

Jamais on n'a vu, dans ce pays, un aussi beau mois de décembre; on se croirait au commencement du printemps.

L'Empereur profite de ce beau temps pour rester à la campagne, à une lieue de Madrid.


Madrid, 14 décembre 1808

A M. de Chapagny, ministre des relations extérieures, à Paris

Monsieur de Champagny, vous trouverez ci-joint un rapport du ministre des finances du royaume de Naples sur une réduction de la dette publique. Vous ferez connaître à mon ministre que je n'entends point que la dette publique subisse aucune diminution; que tout ce qui était inscrit sur le grand-livre de Naples à l'époque de la signature de la constitution doit être maintenu intégralement; que je blâme le principe mis en avant par le ministre des finances, et que je m'oppose formellement à la diminution qu'il propose de 5 à 3 sur l'intérêt de la dette ; que je n'ai accordé au roi le royaume de Naples qu'à trois conditions : l'inviolabilité de la constitution , la garantie de la dette publique et l'entretien de mon armée; qu'il faut que ces trois conditions soient strictement remplies.

Vous prescrirez à mon ministre de faire connaître , par une autre note, mon mécontentement de ce que le séquestre mis sur les biens des individus qui trament en Sicile des complots contre mon armée a été levé; que, si au 20 janvier prochain ces décrets ne sont pas rapportés, je prendrai un décret pour m'emparer de tous ces biens, comme indemnité de ce que m'a coûté le royaume de Naples; que je vois dans la mesure que prend ce gouvernement une preuve de la versatilité et de l'inconséquence qui dirigent les affaires de Naples.

Mon ministre demandera, par une troisième note, qu'avant de faire des chemins et des établissements d'éducation mes troupes soient payées, et leur solde au courant.

Dans une quatrième note, il demanderai que la constitution soit mise en activité dans le royaume, ainsi que le code Napoléon, sans aucune restriction, notamment en ce qui est relatif au divorce.

Vous donnerez pour instruction à mon ministre de suivre avec la plus grande activité ces démarches, et de bien faire songer à la cour de Naples que je n'ai donné ce royaume qu'à ces conditions et que j'entends qu'elles soient exécutées.


Chamartin, 14 décembre 1808

Au comte Régnier, Grand-Juge, ministre de la justice, à Paris

Mon intention est que les généraux Dupont, Marescol, Chabert et Vedel soient traduits à la haute cour. Je vous prie, en conséquence, de saisir de cette affaire mon procureur général près la haute cour, de conférer avec l'archichancelier sur cet objet, et de me présenter les papiers que je devrai signer. Ces généraux étant arrivés, c'est le moment de s'occuper sans délai de cette affaire.


Chamartin, 14 décembre 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général, à Chamartin

L'on envoie pour conduire les prisonniers des détachements de différents corps mal organisés ; on prend dans les bataillons de marche. Mon intention est que les prisonniers soient escortés jusqu'à Buitrago et Somo-Sierra par les troupes du prince Primat, et de là à Aranda par le bataillon polonais qui est à Somo-Sierra; d'Aranda à Burgos par les troupes qui sont à Aranda, et ainsi de suite de poste en poste. Donnez l'ordre au duc de Danzig de partir demain pour porter son quartier général à Talavera de la Reina. Il pourra amener avec lui les chevau-légers de Westphalie. Il dirigera sur Talavera la division Sebastiani et tout ce qui est parti hier.

La division polonaise commandés par le général Valence partira demain à midi, pour aller coucher au village de Mostoles. Vous veillerez à ce qu'il lui soit fourni ses ambulances et dix pièces d'artillerie, savoir : trois de celles qui sont au parc, trois de celles qui étaient à Ségovie, deux de Hesse-Darmstadt et deux que le général la Riboisière lui procurera, avec au moins six caissons de cartouches d'infanterie. Huit de ces pièces seront servies par la compagnie d'artillerie polonaise. Il y aura un chef de bataillon d'artillerie francais pour commander l'artillerie de cette division. Vous aurez soin que cette division ait du pain pour trois jours et qu'il lui soit donné ses souliers. Elle complétera le corps du duc de Danzig à Talavera à 10,000 hommes d'infanterie, 700 hommes de cavalerie, vingt-deux pièces de canon, une compagnie de sapeurs avec 500 outils, et indépendamment des divisions Lasalle, Milhaud et Lahoussaye qui se trouvent en avant de cette position.

Donnez l'ordre à la compagnie de sapeurs qui est à Somo-Sierra avec le bataillon polonais de se rendre à Madrid. La division Leval contribuera au service de la place de Madrid pour la moitié , et la division Lapisse pour l'autre moitié. Le corps du maréchal Ney ne fera aucun service. Ce corps sera caserné où étaient la division Sebastiani et les Polonais.

Écrivez au général Dessolle qu'il est nécessaire qu'il laisse des postes à Siguenza, de manière qu'il puisse communiquer avec ceux du maréchal Mortier, qui, arrivant le 17 à Saragosse, aura une division à Calatayud ; de manière que l'on pourra communiquer de Madrid à Saragosse par Alcala, Guadalajara, Sîguenza, Calatayud.

Comme le corps de Castanos s'est retiré du côté de Valence, il faut que l'on s'occupe à surveiller de ce côté les mouvements de l'ennemi.


Chamartin, 14 décembre 1803

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général, à Charmatin

Mon Cousin, présentez-moi les décrets pour accorder les récompenses demandées pour l'affaire de Bubierca. Écrivez à l'Escurial pour connaître à quoi se monte le trésor de l'Escurial en argenterie, en or et en pierreries. Demandez qu'il soit formé là un magasin ; qu'il soit envoyé tous les jours trois mille rations de pain au Pardo pour la maison du Roi, et deux cents quintaux de farine également tous les jours à Madrid. Recommandez au général Lahoussaye de tenir sa cavalerie reposée, mais d'envoyer des postes sur Villala, pour savoir s'il y a des troupes à Salamanque et à Zamora.


Chamartin, 14 décembre 1808

DÉCISION

Sire, les ordres de Votre Majesté relatifs au tribunal de l'Inquisition ont été mis à exécution.

Le tribunal est composé des membres suivants : don Ramon José de Arec , archevêque de Saragosse , inquisiteur général, Juan Tartinez Nubla, Francisco de la Cuerda, Gabriel de Hevia y Norriega, Fernando Garcia de la Prada, Antonio Gonzalez Yebra, Pedro de Orbe et Larretagui, Raymondo Ettenhard y Salinas, José Amarillas y Huertos Arias, Antonio Mon y Villarda, Ignacio Jimenez Iblusquiera, le comte de la Cimera, secrétaire du tribunal , Nicolas de los Heros, secrétaire secret, Mariano Gomez Ibar Navarro, fiscal, José Ramon de Arec, alguazil du tribunal de Corte. Il contient trois membres qui sont : don Antonio Maria de Galaza, Candido Toribio de Allarilla , Cayetano Rubin; ces membres sont arrêtés, les scellés posés sur leurs papiers.

Huit de ces membres seulement ont été arrêtés : don Gabriel de Hevia y Norriega, Juan Martinez Nubla, Antonio Gonzalez Yebra, Fernando Garcia de la Prada, Nicolas de los Heros , Candido Toribia de Allarilla, Raymundo Ettenhard y Salinas, Mariano Gomez Ibar Navarro ; ces membres sont arrêtés , gardés à vue, et les scellés posés sur tous leurs papiers. Ceux de don Fernando Garcia paraissent très-importants.

Les autres membres n'étant pas chez eux, les scellés ont été apposés, et deux soldats sont restés dans chacune des maisons.

Les membres suivants ne sont plus ici depuis fort longtemps, deux ne sont pas connus et n'ont pas d'habitation : don Ramon José Arec, inquisiteur général , archevêque de Saragosse (point de maison), lgnacio Jimenez (parti il y a six mois), José Ramon de Arec, alguazil, Pedro de Orbe et Lerretagui; ces deux derniers n'ont point de demeure.

L'on a apposé les scellés sur les deux chambres du tribunal; une garde de cinq hommes y est restée.

D'après les rapports des personnes arrêtées, les papiers se trouvent au tribunal.

Un seul membre, don Garcia de la Prada, a déclaré qu'il existait des papiers au bureau de la secrétairerie de Castille et d'Aragon.

Les scellés ont été apposés sur tous les papiers, dans toutes les maisons occupées par les membres ci-dessus désignnés; on y a laissé des gardes.

Les scellés ont été apposés sur tous les papiers de l'inquisition de Corte, rue de l'Inquisition , maison où siège le tribunal, no 8. Il paraît que beaucoup de papiers y ont été transportés , ainsi que tous les livres prohibés et défendus.

Trois membres du conseil et deux trésoriers du conseil de l'Inquisition , qui n'avaient pu être arrêtés hier, l'ont été aujourd'hui. Tous les papiers et registres des trésoriers ont été scellés , inventoriés et transportés chez le général commandant la place, en présence desdits trésoriers et des deux officiers d'état-major.

Le montant des sommes saisies est de deux millions quatre cent cinquante-trois mille neuf cent soixante-douze réaux vinqt-cinq vellions, donnant en argent de France une valeur de six cent treize mille quatre cent quatre-vingt-treize francs.

On est à la recherche d'autres sommes qui paraissent encore appartenir au tribunal de l'Inquisition ; on examine les différents registres de la trésorerie, qui donneront sûrement des renseignements sur tout ce qui peut appartenir au conseil.

J'ai l'honneur de demander à Sa Majesté ses ordres, 1° pour les membres du conseil qui sont en état d'arrestation, 2° pour les papiers et registres qui ont été saisis et mis sous le séquestre; 3° pour les fonds qui se trouvent déposés chez le commandant de la place, tant en argent qu'en effets.

L'ide-major général, gouverneur de Madrid

Auguste Belliard

Renvoyé au major général pour donner l'ordre que les fonds qui sont déposés chez le commandant de la place soient déposés sans délai chez le payeur, et qu'il soit fait recherche de tous les autres fonds qui appartiennent à l'Inquisition ; que les inquisiteurs resteront en prison jusqu'à ce que le scellé soit levé sur leurs papiers et qu'ils aient donné l'état de tous les biens et effets appartenant à l'Inquisition.

Madrid, 14 décembre 1808

Au général comte Dejean, ministre directeur de l'administration de la guerre, à Paris

Monsieur Dejean, je suis fort surpris que tandis que je suis ici dans la plus grande pénurie de souliers, vous vouliez donner en france ceux destinés à l'armée d'Espagne. Il y a à cela de la folie. Il n'arrive ici pas une capote, pas une paire de souliers, enfin rien. Tout ce qui est chargé sur les bataillons du train qui arrivent de Prusse doit être dirigé sur madrid sans qu'on en retire une paire de souliers.

(Brotonne)


15 - 31 décembre 1808