1 - 9  mai 1808


Commencement de mai 1808

Au général Caulaincourt, ambassadeur à Saint-Pétersbourg

Je reçois votre lettre du 12 avril. Faites mon compliment à l'empereur sur la prise de Sveborg.

Vous avez reçu des explications sur les affaires de Copenhague. Le fait est qu'il faut pouvoir passer, et passer avec au moins 30,000 hommes à la fois. Car il n'est pas certain que le second convoi passe, et, si le premier convoi se trouvait séparé, il serait exposé à recevoir des échecs- Le prince de Ponte-Corvo avait marché à marches for5ées, espérant que les Belts gèleraient. Il s'est rendu de sa personne à Copenhague pour s'assurer des moyens de passage, et, voyant qu'il n'y avait de moyens que pour passer 15,000 hommes à la fois, il suspendit sa marche. Mais le mouvement continue, et plusieurs milliers d'hommes sont passés en Seeland. Mais enfin ces opérations ne peuvent se faire qu'avec prudence. Voilà la Finlande russe.

Les affaires de Turquie demandent de grandes discussions. Il est fâcheux que l'empereur ait ajourné l'entrevue - au lieu de venir en Espagne, j'aurais été à Erfurt. J'espère sous dix ou douze jours avoir terminé mes opérations ici. J'ai ici le roi Charles et la reine, le prince des Asturies, l'infant don Carlos, enfin toute la famille d'Espagne. Ils sont très animés les uns contre les autres; la division entre eux est poussée au dernier point. Tout cela pourrait bien se terminer par un changement de dynastie.

Pour votre gouverne, je vous dirai que, depuis l'arrivée de M. d'Alopéus, je n'ai pas entendu parler de l'Angleterre, et, au moindre mot que j'en aurais, la Russie en serait instruite; on doit compter là-dessus.

Je n'ai pas non plus entendu parler de l'Autriche, et je ne connais rien aux armements qu'elle fait. On me rend compte de tous côtés qu'une grande quantité de canons, de vivres, de troupes se rend en Hongrie. Il faut que la Russie sache bien cela, et que, même vis-à-vis de moi, les Autrichiens nient ces armements, ou du moins disent qu'ils ne sont pas considérables.

(Lecestre)


Bayonne, ler mai 1808

A M. de Talleyrand, prince de Bénévent, vice Grand-Électeur

J'ai reçu votre lettre du 27 avril. Le ministre d'Espagne a écrit une lettre assez ridicule à Champagny pour se plaindre que les journaux disaient que le roi Charles a été forcé d'abdiquer. Il faut que vous lui disiez qu'il doit avoir lu le Moniteur; que j'ai vu le roi Charles et la reine, qui ont fort mai reçu leurs fils; qu'ils ont été sous les poignards pendant plusieurs heures, et qu'ils auraient péri si le Roi n'avait signé son abdication. Vous direz cela au corps diplomatique, et vous ajouterez que le Roi a été très-surpris que les ministres étrangers, à Madrid, eussent reconnu le nouveau roi; que le ministre de la France, qui représentait la seule puissance qui pouvait influer sur ses affaires, ne l'avait pas reconnu; que, ce ministre lui ayant demandé si son abdication avait été volontaire, il lui avait répondu "Je me réserve d'en écrire à monsieur mon frère l'empereur des Français"; que ce seul indice avait suffi à M. de Beauharnais, qui avait eu le bon esprit de ne pas reconnaître Ferdinand VII; que sa vie et celle de la Reine n'avaient été rachetées qu'au prix de son abdication; que, le lendemain, il fit écrire par sa fille, la reine d'Étrurie, au grand-duc de Berg, ce qui donna lieu aux pièces qu'on a lues dans le Moniteur.

Le prince des Asturies est très-bête, très-méchant, très-ennemi de le France. Vous sentez bien qu'avec mon habitude de manier les hommes, son expérience de vingt-quatre ans n'a pu m'en imposer; et cela est si évident pour moi, qu'il faudrait une longue guerre pour m'amener à le reconnaître pour roi d'Espagne. Je lui ai de plus fait notifier que, le roi Charles étant sur mes frontières, je ne devais plus avoir de rapports avec lui. J'ai fait arrêter, en conséquence, ses courriers , sur lesquels on a trouvé des lettres pleines de fiel et de haine contre les Français, qu'il appelle à plusieurs reprises : ces maudits Français.

Le prince de la Paix est ici. Le roi Charles est un brave homme. Je ne sais si c'est sa position ou les circonstances, il a l'air d'un patriarche franc et bon. La reine a son coeur et son histoire sur sa physionomie; c'est vous en dire assez. Cela passe tout ce qu'il est permis de s'imaginer. L'un et l'autre dînent aujourd'hui avec moi. Le prince de la Paix a l'air d'un taureau; il a quelque chose de Daru. Il commence à reprendre ses sens; il a été traité avec une barbarie sans exemple. Il est bon qu'on le décharge de toute imputation mensongère, mais il faut le laisser couvert d'une légère teinte de mépris.


Bayonne, 1er mai 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne

Monsieur de Champagny, donnez ordre au sieur Lefebvre, mon chargé d'affaires à Rome, de rentrer, à Paris.


Bayonne, 1er mai 1808.

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Je reçois, votre lettre du 28 avril. Vous aurez vu dans le Moniteur, la direction à donner aux journaux, d'après les pièces que j'y ai fait imprimer. Il ne faut cependant pas aller jusqu'à louer et dire du bien du prince de la Paix, dont l'administration a réellement révolté toute l'Espagne. Il faut repousser toutes les imputations calomnieuses qu'on répand sur son compte, et se récrier sur l'arbitraire et l'inhumanité des procédés à son égard; mais il faut désapprouver son administration honteuse et corrompue.


Bayonne, ler mai 1808

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l'Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 27 à minuit. Je vous ai envoyé hier la lettre que le prince des Asturies écrivait à don Antonio. Vous aurez reçu la note que M. Champagny a remise avant-hier pour déclarer que je ne peux reconnaître Ferdinand VII. J'ai fait arrêter le courrier de la junte qui, après l'engagement qu'elle a pris de gouverner au nom du roi, sans le nommer, continuait à correspondre avec Ferdinand VII. Dans des lettres interceptées, du 25, on dit que l'opinion a changé en faveur des Français, et que cela est une nouvelle preuve de l'instabilité de 1'opinion.

Aujourd'hui je vous expédie votre aide de camp; il vous fera connaître comment le roi Charles a été reçu ici. Je l'ai vu, et il m'a confirmé de vive voix tout ce qu'il m'a écrit. Tout ce qui est ici, même l'Infantado et Escoïquiz, ont été baiser la main au Roi et à la Reine, le genou en terre. Cette scène a indigné le Roi et la Reine, qui, pendant tout ce temps, les regardaient avec mépris. Ils entraient dans leurs appartements que le maréchal Duroc leur montrait; les deux princes voulaient les suivre; mais le Roi, se retournant vers eux, leur dit : "Princes, c'est trop fort ! vous avez couvert de honte et d'amertume mes cheveux blancs; vous venez d'y ajouter la dérision; sortez ! que je ne vous revoie jamais !" Ils furent confondus et sortirent avec tout leur monde. Une demi-heure après je rue rendis chez le Roi pour m'enfermer deux heures avec Leurs Majestés, qui dînent aujourd'hui chez moi. Depuis ce temps, les princes paraissent fort étourdis et étonnés. Je ne sais pas encore à quoi ils se sont résolus.

Immédiatement après que d'Hanneucourt sera arrivé, je vous expédierai Exelmans. Je ne puis que vous répéter ce que je vous ai dit : Emparez-vous des journaux et du gouvernement. Envoyez ici Antonio et les autres princes de la Maison. Je pense que trois régiments de Solano se rendront à Cadix pour renforcer le camp de Saint-Roch. Vous pouvez, du reste, laisser les ministres qui existent.

J'ai donné ordre à Bessières de retenir à Burgos toutes les personnes que vous m'envoyez, jusqu'à ce que mon plan soit entièrement conçu ici.

J'attends avec impatience de connaître l'effet qu'aura produit la connaissance de la protestation du Roi et les autres pièces.


Bayonne, 2 mai 1808, onze heures du soir

A Joachim, Grand-Duc de Berg, , lieutenant de l'Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 30 avril à une heure du matin. Je vous réponds sur-le-champ, en vous envoyant la réponse du roi d'Espagne, en espagnol et en français, à la lettre du prince des Asturies que je vous ai envoyée ce matin. Cette réponse a atterré le prince des Asturies.

Il est probable que demain je vous enverrai par Exelmans mon acte de médiation. Mais il est nécessaire que la reine d'Étrurie, l'infant don Francisco et surtout don Antonio , partent sans délai pour Bayonne; que les bijoux et diamants de la couronne ne soient pas détournés, et que quelqu'un soit chargé d'y veiller, soit qu'ils passent au nouveau roi, soit qu'ils restent au roi Charles; mais il est essentiel qu'ils ne tombent pas entre les mains de gens pour lesquels ils deviendront des moyens de guerre.

Tout ceci ne peut avoir lieu qu'en agitant les esprits et en les faisant passer par différentes situations. C'est pour cela que j'aurais voulu imprimer les pièces que je vous ai envoyées; je suis fâché que vous ne l'ayez pas fait. C'est lorsque l'Espagne se trouve dans une situation critique qu'elle se regardera comme heureuse d'un arrangement qui y mettra fin. Le but de l'estafette que je vous expédie est donc, 1° de vous envoyer la réponse du roi Charles que je vous laisse le maître de faire imprimer; 2° de vous assurer de don Antonio et de tous les princes de la famille ; 3° de veiller à ce qu'aucun bien de la couronne, diamants, joyaux, ne soient aliénés.

Je suis content du roi Charles et de la Reine. Ils sont ici fort heureux. Je leur destine Compiègne. 

Je destine le roi de Naples à régner à Madrid. Je veux vous donner le royaume de Naples ou celui de Portugal. Répondez-moi sur-le-champ ce que vous en pensez, car il faut que cela soit fait dans un jour. Vous resteriez, en attendant, comme lieutenant général du royaume. Vous me direz que vous préférez rester près de moi : cela est impossible. Vous avez de nombreux enfants, et, d'ailleurs, avec
une femme comme la vôtre, vous pouvez vous absenter, si la guerre vous rappelait près de moi ; elle est très-capable d'être à la tête d'une régence. Je vous dirai, bien plus, que le royaume de Naples est plus beau que le Portugal, puisque la Sicile y sera jointe; vous aurez alors six millions d'habitants.

Si vous pouvez porter les habitants de Madrid à demander le roi de Naples, vous me ferez plaisir, et ce serait ménager l'amour-propre de ces gens-ci. Peut-être la junte pourrait-elle intervenir, et se fera-t-elle un mérite de se prononcer pour le nouveau roi. Il faut vous attacher O'Farrill. Si vous ne faites pas imprimer la lettre du roi Charles, montrez-la-lui, ainsi que la sotte lettre du prince des
Asturies.

Il arrive tous les jours des troupes à Bayonne. Je n'ai déjà pas mal d'infanterie et de cavalerie..

Si vous ne pouvez pas gagner les gardes du corps, il faut les licencier.


LETTRE DU ROI CHARLES A FERDINAND, PRINCE DES ASTURIES.


Mon Fils, les conseils perfides des hommes qui vous environnent ont placé l'Espagne dans une situation critique; elle ne peut plus être sauvée que par l'Empereur. Depuis la Paix de Bâle, j'ai senti que le premier intérêt de mes peuples était de vivre en bonne intelligence avec la France : il n'y a pas de sacrifices que je n'aie jugé devoir faire pour arriver à ce but important. Même quand la France était en proie à des gouvernements éphémères, j'ai fait taire mes inclinations particulières pour n'écouter que la politique et le bien de mes sujets. Lorsque l'Empereur des Français eut rétabli l'ordre en France, de grandes craintes se dissipèrent, et j'eus de nouvelles raisons de rester fidèle à mon système d'alliance. Lorsque l'Angleterre déclara la guerre à la France, j'eus le bonheur de rester neutre et de conserver à mes peuples les bienfaits de la paix. L'Angleterre, depuis, saisit quatre de mes frégates et me fit la guerre avant même de me l'avoir déclarée; il me fallut repousser la force par la force. Les malheurs de la guerre atteignirent mes sujets. L'Espagne environnée de côtes, devait une grande partie de sa prospérité à ses possessions d'outre-mer, et souffrit de la guerre plus qu'aucun autre Etat. La cessation du commerce et les calamités attachées à cet état de choses se firent sentir à mes sujets. Plusieurs furent assez injustes pour les attribuer à moi et à mes ministres. J'eus la consolation, du moins, d'être assuré du côté de la terre et de n'avoir aucune inquiétude sur l'intégrité de mes provinces, que, seul de tous les rois de l'Europe, j'avais maintenue au milieu des orages de ces derniers temps.

Cette tranquillité, j'en jouirais encore sans les conseils qui vous ont éloigné du droit chemin. Vous vous êtes laissé aller trop facilement à la haine que votre première femme portait à la France, et bientôt vous avez partagé ses injustes ressentiments contre mes ministres, contre votre mère, contre moi-même. J'ai dû me ressouvenir de mes droits de père et de roi; je vous fis arrêter. Je trouvai dans vos papiers la conviction de votre culpabilité; mais, sur la fin de ma carrière, en proie à la douleur de voir mon fils périr sur l'échafaud, je fus sensible aux larmes de votre mère, et je vous pardonnai. Cependant mes sujets étaient agités par les rapports mensongers de la faction à la tête de laquelle vous vous étiez placé. Dès ce moment je perdis la tranquillité de ma vie, et aux maux de mes sujets je dus joindre ceux que me causaient les dissensions de ma propre famille. On calomnia même mes ministres auprès de I'Empereur des Français, qui, croyant voir les Espagnes échapper à son alliance, et voyant les esprits agités même dans ma famille, couvrit, sous différents prétextes, mes Etats de ses troupes. Tant qu'elles restèrent sur la rive droite de I'Èbre et parurent destinées à maintenir la communication avec le Portugal, je dus espérer qu'il reviendrait aux sentiments d'estime et d'amitié qu'il m'avait toujours montrés. Quand j'appris que ses troupes s'avançaient sur ma capitale, je sentis la nécessité de réunir mon armée autour de moi, pour me présenter à mon auguste allié dans l'attitude qui convenait au roi des Espagnes. J'aurais éclairci ses doutes et concilié mes intérêts. J'ordonnai à mes troupes de quitter le Portugal et Madrid, et je les réunis de différents points de la monarchie, non pour quitter mes sujets, mais pour soutenir dignement la gloire du trône. Ma longue expérience me faisait comprendre d'ailleurs que l'Empereur des Français pouvait nourrir des désirs conformes à ses intérêts, à la politique du vaste système du continent, mais qui pouvaient blesser les intérêts de ma Maison. Quelle a été votre conduite ? Vous avez mis en rumeur tout mon palais; vous avez soulevé mes gardes du corps contre moi; votre père lui-même a été votre prisonnier. Mon premier ministre, que j'avais élevé et adopté dans ma famille, fat traîné sanglant de cachot en cachot. Vous avez flétri mes cheveux blancs; vous les avez dépouillés d'une couronne portée avec gloire par mes pères, et que j'avais conservée sans tache. Vous vous êtes assis sur mon trône. Vous avez été vous mettre à la disposition du peuple de Madrid, que vos partisans avaient ameuté, et de troupes étrangères qui, au même moment, faisaient leur entrée. La conspiration de l'Escurial était consommée, les actes de mon administration livrés au mépris public. Vieux et chargé d'infirmités, je n'ai pu supporter ce nouveau malheur. J'ai eu recours à l'Empereur des Français, non plus comme un roi à la tête de ses troupes et environné de l'éclat du trône, mais comme un roi malheureux et abandonné. J'ai trouvé protection et refuge au milieu de ses camps. Je lui dois la vie, celle de la Reine et de mon premier ministre.

Je vous ai suivi sur vos traces à Bayonne. Vous avez conduit les affaires de manière que tout dépend désormais de la médiation et de la protection de ce grand prince. Vouloir recourir à des agitations populaires, arborer l'étendard des factions, c'est ruiner les Espagnes et entraîner dans les plus horribles catastrophes vous, mon royaume, mes sujets et ma famille. Mon coeur s'est ouvert tout entier à l'Empereur; il connaît tous les outrages que j'ai reçus et les violences qu'on m'a faites. Il m'a déclaré qu'il ne vous reconnaîtrait jamais pour roi, et que l'ennemi de son père ne pouvait inspirer de la confiance aux étrangers. D'ailleurs, il m'a montré des lettres de vous qui font foi de votre haine pour la France. Dans cette situation, mes droits sont clairs, mes devoirs davantage encore : épargner le sang de mes sujets; ne rien faire, sur la fin de ma carrière, qui puisse porter le ravage et l'incendie dans les Espagnes et les réduire à la plus horrible misère. Ah certes ! si, fidèle à vos devoirs et aux sentiments de la nature, vous aviez repoussé des conseils perfides. Si, constamment assis à mes côtés pour ma défense, vous aviez attendu le cours ordinaire de la nature qui devait marquer votre place dans peu d'années, j'aurais pu concilier la politique et l'intérêt de l'Espagne avec l'intérêt de tous. Sans doute, depuis six mois les circonstances ont été critiques; mais, quelque critiques qu'elles fussent, j'aurais obtenu, de la contenance de mes sujets, des faibles moyens qui me restaient encore et surtout de cette force morale que j'aurais eue en me présentant dignement à la rencontre de mon allié, auquel je n'avais jamais donné de sujets de plainte, un arrangement qui eût concilié les intérêts de mes sujets et ceux de ma famille. En m'arrachant la couronne, c'est la vôtre que vous avez brisée; vous lui avez ôté ce qu'elle avait d'auguste, ce qui la rendait sacrée à tous les hommes. Votre conduite envers moi, vos lettres interceptées ont mis une barrière d'airain entre vous et le trône d'Espagne. Il n'est de votre intérêt ni de celui des Espagnes que vous y prétendiez. Gardez-vous d'allumer un feu dont votre raine totale et le malheur de l'Espagne seraient le seul et inévitable effet. Je suis roi du droit de mes pères; mon abdication est le résultat de la force et de la violence : je n'ai donc rien à recevoir de vous. Je ne puis adhérer à aucune réunion d'assemblée; c'est encore une faute des hommes sans expérience qui vous entourent. J'ai régné pour le bonheur de mes sujets; je ne veux point leur léguer la guerre civile, les émeutes, les assemblées populaires et la révolution. Tout doit être fait pour le peuple et rien par lui. Oublier cette maxime, c'est se rendre coupable de tous les crimes qui dérivent de cet oubli. Toute ma vie je me suis sacrifié pour mes peuples, et ce n'est pas à l'âge où je suis arrivé que je ferai rien de contraire à leur religion, à leur tranquillité et à leur bonheur. J'ai régné pour eux, j'agirai constamment pour eux. Tous mes sacrifices seront oubliés, et lorsque je serai assuré que la religion de l'Espagne, l'intégrité de mes provinces, leur indépendance et leurs privilèges sont maintenus, je descendrai dans le tombeau en vous pardonnant l'amertume de mes dernières années.

Donné à Bayonne , au palais impérial appelé le Gouvernement, le 2 de mai 1808.

CHARLES.

Extrait du Moniteur du 11 mai 1808


Bayonne, 2 mai 1808 onze heures du soir

Au maréchal Bessières, commandant la Garde Impériale, etc.

Mon Cousin, je vois avec plaisir que vous faites passer de la cavalerie à Madrid afin de détruire les régiments de marche, qui mettent de la confusion, et de renforcer les régiments provisoires. Je verrais avec plaisir que vous fissiez partir les bataillons de marche qui sont à Aranda et à Burgos. Envoyez l'ordre au 22e régiment de chasseurs de se rendre à Burgos; il est à Tolosa. Je donne ordre au ler escadron du 10e de chasseurs de se rendre à Tolosa, ainsi qu'au 2e escadron qui est ici; l'un et l'autre sont de 2200 hommes chacun. La division Verdier est très-belle; elle a seize pièces de canon et 7,000 hommes d'infanterie, avec un escadron de cavalerie composé de détachements qui appartiennent aux régiments de cuirassiers qui étaient en Italie et qui sont à présent à Barcelone ; ce sont les 4e, 6e, 7e et 8e de cuirassiers.

Je suis fort content du roi Charles. Nous approchons du dénouement. Envoyez un officier d'état-major auprès de l'officier qui commande le corps espagnol de Galice pour lui faire sentir la nécessité de marcher d'intelligence; que mon intention est de maintenir l'intégrité de l'Espagne; que je n'en veux pas un village.

Remuez-vous de toutes les manières. Influez sur l'opinion. Le moindre inconvénient de s'éloigner de moi est de s'attirer des malheurs de toute espèce, la guerre civile et la perte de l'Amérique. Mon acte de médiation va bientôt paraître. Dirigez l'opinion sur le roi de Naples. Voulant ménager la fierté de la nation, je voudrais qu'elle me le demandât pour roi. Vous recevrez demain une lettre du prince des Asturies à son père et la réponse de celui-ci. Envoyez auprès des autorités qui peuvent influer sur l'opinion. Faites imprimer à Burgos des ordres du jour, des notes et tout ce qui est nécessaire pour diriger l'opinion.


Bayonne, 3 mai 1808

DÉCISION

M. de Tournon, Chambellan, a fait connaître l'objet de sa mission et a reçu un refus formel. Ce refus est motivé sur ce qu'on ne croit pas pouvoir sortir  du royaume sans une permission du gouvernement, tant qu'il existera une ombre de ce dernier.

Si V. A. S. me dit que je puis me mêler de cette affaire, je tâcherai de renouer la proposition.

'Tout est toujours parfaitement tranquille. Les esprits semblent attendre cependant avec inquiétude des changements dans le gouvernement. Une très grande partie des habitants restera tranquille, quoi qu'il arrive. Je ne saurais en dire de même de la canaille et des prêtres. Ces derniers surtout s'agitent en tous sens et se tiennent le plus éloignés possible de toute autorité française.

Gal J. A. VERDIER.
Au Prince de Neuchâtel.

Répondre au général Verdier que le principal est de faire circuler ces idées dans le pays, que j'attache peu d'importance à la députation, mais que j'en attache beaucoup à ce qu'on s'accoutume à l'idée d'un changement de dynastie.

(Brotonne)


Bayonne, 3 mai 1808

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Je reçois votre lettre du 29 avril. Je vois, dans le bulletin du 27 avril, des bulletins de Rome qui n'ont pas le sens commun et qui ne mériteraient pas en vérité de m'être mis sous les yeux. Celui qui les a écrits n'a ni sens ni bon esprit. Vous devriez tâcher de mieux choisir vos agents.


Bayonne, 3 mai 1808, dix heures du soir.

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l'Empereur en Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 1er mai à trois heures du matin. Vous ne pouvez avoir le droit de commuer une peine imposée par un jugement d'un tribunal on d'une commission spéciale, comme mou lieutenant, puisque moi-même je n'ai pas ce droit, ou du moins que je ne l'ai qu'après avoir entendu le conseil privé, dont est membre M. le grand-duc de Berg. Vous autres militaires, vous ne voulez vous assujettir à aucunes formes. Vous avez donc tort de croire que j'aie fait une chose mauvaise pour vous en envoyant votre décision au grand juge; j'ai fait une chose de règle et qui doit être ainsi; vous êtes un enfant de vous en affliger. M. le grand-duc de Berg voudra bien me permettre de lui dire ma façon de penser. Quand il fera bien, je ne lui dirai rien; quand il fera quelque chose qui me déplaira, je le lui ferai connaître. C'est mon habitude.

Je crains que le général ...... ne soit point capable de commander une division; j'aimerais mieux le général Frère; le général . . . . . . est un Suisse qui pourra commander une brigade de régiments suisses-espagnols.

Nos voeux sont remplis.

J'ai arrêté la correspondance avec ici. Les douanes ont ordre d'intercepter toute correspondance par les montagnes.

Vous avez dû voir, par la lettre du prince des Asturies et la réponse du Roi, qu'il n'y avait rien à faire avec le premier. Demain mon traité avec le roi Charles sera signé, et après-demain le prince des Asturies ne sera plus à Bayonne.

Je vous expédierai demain Exelmans.


Bayonne, 3 mai 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d'Italie, à Milan

Mon Fils, retardez, s'il en est temps, de dix jours la publication de mon décret sur Ancône. Vous pouvez aller de l'avant, mais ne rien imprimer encore d'ici au 20 mai.

Le roi Charles, la Reine, les infants d'Espagne sont ici.


Bayonne, 3 mai 1808

A Louis Napoléon, roi de Hollande, à La Haye

Je vous fait mon compliment sur la naissance de votre fils. Je désire que ce prince appelle Charles Napoléon.


Bayonne, 4 mai 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, Major Général de la Grande Armée, à Bayonne

Mon Cousin, mon intention n'est pas que le corps du maréchal Victor campe, ses trois divisions réunies. La raison qu'il n'y a pas de manutentions est une raison ridicule. Il ne manque pas de manutentions à Spandau, et, presque dans toutes les villes, il y en a assez pour nourrir une division. Je désire également que le corps du maréchal Soult campe par division, une à Dirschau, et les autres dans d'autres endroits. Il est important que le cordon de Marienburg et de l'île de Nogat soit gardé.


Bayonne, 4 mai 1808, midi.

Au comte (dixit) Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Vous trouverez ci-joint l'extrait d'une lettre adressée à la légation russe. Faites épier cet individu et ceux qui favorisent la dite émigration.

(Brotonne)


Bayonne, 4 mai 1808, midi.

Au maréchal Bessières, commandant la Garde Impériale, etc., à Burgos

Mon Cousin, je trouve dans le paquet du grand-duc de Berg la lettre ci-jointe d'un officier de ma Garde. Je suis surpris que cet officier ose s'adresser à d'autre qu'à moi pour demander à recruter pour ma Garde. Je ne veux dans ma Garde aucun homme sortant des gardes wallones ou autres troupes espagnoles; s'il y en avait, qu'on les ôte sur-le-champ. Le corps de Mameluks est à 86 hommes; qu'il reste à ce nombre. J'ai créé ce corps pour récompenser des hommes qui m'ont servi en Egypte, et non pour en faire un ramas d'aventuriers. Je suis étonné que Daumesnil aille s'aviser d'une pareille idée.


Bayonne, 4 mai 1808, dix heures du soir

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l'Empereur en Espagne, à Madrid.

Je vous expédie Exelmans. Il vous porte la proclamation du roi Charles, que vous ferez imprimer, l'ordre à don Antonio de se rendre à Bayonne, et l'ordre aux trois conseils de vous considérer comme lieutenant général du royaume.

Vous donnerez le commandement de la brigade de Suisses-Espagnols au général Rouyer, et vous la réunirez au corps du général Dupont. Vous pourriez y joindre quelques escadrons de gardes wallones et de cavalerie dont vous seriez sûr.

Il faut que le conseil de Castille, le conseil de la guerre, s'ils ne l'ont déjà fait, fassent une proclamation, ainsi que la junte, et que vous preniez tous les moyens d'influence pour qu'on écrive dans toutes les provinces de rester tranquille.

Envoyez toutes les brochures qui paraissent à Madrid à Junot. Recommandez-lui d'agir selon les circonstances et d'influer sur les troupes espagnoles qui sont sous ses ordres.

Il y a à Tarragone un régiment suisse de 1,800 hommes. Envoyez un officier à ce régiment pour lui faire connaître que je pense que, dans toutes les circonstances, il se comportera bien. Le général Duhesme me mande que ce régiment est très bien disposé.

Il est nécessaire que la protestation du roi Charles soit imprimée à Madrid et envoyée partout par le gouvernement provisoire.


Proclamation du roi Charles aux Espagnols.

Espagnols, mes a1imés sujets,

Des hommes perfides cherchent à vous égarer. On voudrait vous mettre les armes à la main contre les troupes françaises, et réciproquement on cherche à animer les Français contre vous et vous contre les Français. Le saccage de toutes les Espagnes, des malheurs de toutes les espèces en seraient le résultat. L'esprit de faction, dont j'ai déjà ressenti les si fâcheux effets, s'agite encore. Dans des circonstances aussi importantes que critiques, je suis occupé de m'entendre avec mon allié l'Empereur des Français pour tout ce qui concerne votre bonheur; mais gardez-vous d'en écouter les ennemis.

Tous ceux qui vous parlent contre la France ont soif de votre sang; ce seul ou des ennemis de votre nation ou des agents de l'Angleterre, qui s'agitent dans ces circonstances, et dont les manoeuvres entraîneraient la perte de vos colonies, la division de vos provinces, ou une suite d'années de troubles et de malheurs pour votre patrie.

Espagnols, croyez-en mon expérience, et obéissez à cette autorité que je tiens de Dieu et de mes pères; suivez mon exemple, et songez bien que, dans la position où vous vous trouvez , il n'y a prospérité et salut pour les Espagnols que dans l'amitié du grand Empereur, notre allié.

Donné à Bayonne, au palais impérial dit du Gouvernement, le 4 mai 1808. 

MOI, le Roi.

Extrait du Moniteur du 16 mai 1808.

LE ROI CHARLES A LA JUNTE SUPRÊME DU GOUVERNEMENT.

Ayant jugé convenable de donner une même direction à toutes les forces de notre royaume, afin de maintenir la sûreté des propriétés et la tranquillité publique contre les ennemis soit de l'intérieur, soit de l'extérieur, nous avons cru à propos de nommer lieutenant général du royaume notre cousin le grand-duc de Berg, qui commande en même temps les troupes de notre allié l'Empereur des Français.

Nous ordonnons au conseil de Castille, aux capitaines généraux et gouverneurs dans nos provinces d'obéir à ses ordres. En ladite qualité il présidera la junte du gouvernement.

Donné à Bayonne, au palais impérial dit du Gouvernement, le 4 mai 1808.

MOI, le ROI.


Bayonne, 5 mai 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne.

Monsieur de Champagny, je vous envoie une note (sur dix navires américains venant de Londres et demandant à être admis, comme neutres, dans les ports de Hollande, et prétendant être partis d'Amérique avant d'avoir pu connaître le décret du 17 décembre 1807), que vous communiquerez au sieur de La Rochefoucauld (Alexandre-François, comte de La Rochefoucauld, 1767-1841. Ministre de France en Hollande. En fait, il y a été envoyé pour surveiller Louis, d'avril 1808 à mai 1810), en lui prescrivant d'insister fortement pour que ces bâtiments ne soient pas reçus dans ces ports; de déclarer même, si les moyens ordinaires ne suffisaient pas, qu'il sera mis en embargo sur tous les bâtiments hollandais, et de menacer de se retirer.

PS. Je vous renvoie votre portefeuille. Il faut envoyer l'état des biens du Grand-Duc de Berg au ministre des finances.


Bayonne, 5 mai 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Monsieur le Général Clarke, vous recevrez un décret qui appelle 3 à 4000 conscrits de la réserve 1809 à Bayonne, pour en former le dépôt des régiments provisoires qui sont en Espagne. Il faut que, dans les vingt-quatre heures, à 1a réception de ce décret, Lacuée fasse l'aspect de ces conscrits. J'ai choisi les départements qui composent les sept divisions militaires les plus rapprochées de Bayonne. Ce dépôt servira à maintenir les régiments provisoires à leur force actuelle; et, comme ces hommes sont les plus acclimatés, ils seront moins fatigués, ayant peu de chemin à faire. Cette mesure présente beaucoup d'économie et d'avantages; sans quoi, j'aurais été obligé d'avoir recours aux dépôts qui sont sur les frontières, pour recruter les corps qui sont en Espagne. L'adjudant commandant Lomet me parait pouvoir être chargé de cette besogne. Choisissez un bon commissaire des guerres pour administrer ce corps , et faites-lui comprendre que sa réputation dépendra de sa bonne ou mauvaise administration. Le ministre Dejean versera des fonds dans la caisse de ce corps, qui, par ce moyen, pourra pourvoir à tout. Les conscrits de ce corps seront fournis sur ce qui reste de rappel de la réserve des départements qui composent les sept divisions militaires. Faites-moi rédiger un état général qui me fasse connaître ce que chaque régiment de ligne a aux régiments provisoires, ce qu'ils avaient fourni au ler mai, c'est-à-dire, la conscription de 1808 étant épuisée, ce qui leur reste encore à fournir, ce qui ne pourra l'être probablement que sur la conscription de 1809. Mon intention est qu'aucun conscrit de
1809 ne bouge de son dépôt sans mon ordre. Dans les états de situation, il faut confondre les conscrits de 1808 avec les autres, mais il faut porter à part les conscrits de 1809. Je désirerais que ces conscrits passassent tout l'été aux dépôts pour se former et s'accoutumer au service.

Je suppose que vous avez donné l'ordre qu'ils arrivent à leurs nouveaux dépôts, et qu'ils y trouveront leur habillement et tout c qui leur est nécessaire. Ce serait un grand malheur que ces mesures u'eussent pas été prises, et il en résulterait bien du mal.

 Écrivez souvent aux majors et aux commandants de ces dépôts. 


Bayonne, 5 mai 1808, midi.

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l'Empereur en Espagne, à Madrid

Vous trouverez ci-joint une lettre, que vous écrit le roi Charles. Vous avez dû recevoir par le courrier d'hier l'ordre à la junte, au conseil de Castille et au conseil de la guerre, ainsi que la proclamation du Roi.

Il faut absolument faire partir l'infant don Antonio et tous le princes, de la famille. Le prince des Asturies ne s'intitule plus que prince des Asturies, même de son aveu. Il m'avait fait demander, il y a plusieurs jours, une entrevue comme Majesté, je l'ai refusée; hier il m'en a fait demander une comme Altesse Royale je la lui ai accordée. Le chanoine a parlé fort longtemps. Ce qu'il m'a paru, c'est que ce prince ne sait trop que faire. Au reste, il n'est plus question de lui. Il m'a assuré qu'il n'influerait point pour ameuter le peuple, et qu'il ne conseillerait jamais aux Espagnols de faire la guerre à la France. Vous avez vu par la lettre de son père combien il est indisposé contre lui. Il est nécessaire actuellement que, de gré ou de force, vous fassiez reconnaître votre autorité. La junte avait reconnu Charles IV; ce prince vous a nommé son lieutenant, il faut qu'elle vous obéisse. Faites bien sentir qu'au défaut de cela les plus grands malheurs vont arriver.

Songez actuellement qu'il est possible qu'on ne doive s'attendre à rien du prince des Asturies, et qu'avec l'ordre du roi Charles vous devez vous faire reconnaître lieutenant général du royaume à Madrid et partout. La première chose est de faire partir don Antonio. S'il arrive quelques accidents , on en accusera ceux qui mettent le feu en Espagne et ne prennent aucun soin pour l'éteindre. Ayez soin que les diamants et les biens de la couronne ne soient point dilapidés.


Bayonne, 5 mai 1808

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant de l'Empereur en Espagne, à Madrid

Je vous ai expédié hier les actes qui vous nomment lieutenant général du royaume. Je vous ai mandé qu'il fallait envoyer à Bayonne l'infant don Antonio et le reste de la famille; qu'il fallait, d'une manière ou d'autre, vous faire reconnaître par la junte. Si elle s'y refuse, il faut l'exiler et vous arranger de manière à vous emparer de toutes les branches de revenus. Si, comme je n'en doute pas, après quelques difficultés, la junte se soumet, vous la conserverez et vous ferez confirmer par elle tout le monde dans ses emplois.

Le prince des Asturies est toujours ici. Il ne se résout à rien; tantôt il veut reconnaître son père, tantôt il ne le veut plus. Il est tiraillé en différents sens. En attendant, il faut aller de l'avant. La protestation du roi Charles rend nul l'acte d'abdication , et, dès ce moment, le prince des Asturies n'a aucun pouvoir.

Le maréchal Bessières me mande que l'idée d'un changement de dynastie a été répandue dans toute la Biscaye, dans la Vieille-Castille. Partout on promet de rester tranquille et on a commencé à discuter.

Six heures du soir.

Je reprends ma lettre à six heures du soir. D'Hanneucourt est arrivé à quatre heures avec votre lettre du 2, qui me donne la nouvelle de l'insurrection de Madrid. Je suis fort aise de la vigueur que vous avez mise. J'espère que vous procéderez au désarmement avec la plus ,grande activité. Immédiatement après avoir reçu votre lettre, je me suis rendu chez le roi Charles ; j'y ai fait venir les deux princes. Le Roi et la Reine leur ont parlé avec la plus grande indignation. Quant à moi, je leur ai dit : "Si d'ici à minuit vous n'avez pas reconnu votre père pour votre roi légitime et ne le mandez à Madrid, vous serez traités comme rebelles. " Demain le prince des Asturies et son père seront loin de Bayonne. Ainsi tout sera fini. J'ai des preuves que c'est don Antonio et la junte qui ont tramé cette insurrection; je les ai trouvées sur des courriers interceptés.

Je suppose que l'infant don Antonio est en route pour Bayonne, sous une bonne et sûre garde. Faites-le marcher jour et nuit, et prenez des mesures pour qu'il ne puisse s'échapper. Otez de la junte les membres auxquels vous ne pouvez pas vous fier, et mettez la plus grande vigueur dans l'administration.

Je vous recommande de bien vous garder, et je vous défends expressément d'aller dans les rues.

S'il y avait des Anglais à Madrid, vous les aurez fait arrêter.

J'ai envoyé dans la Biscaye. Personne ne remuera. La Catalogne est bien gardée. Vous avez tout le corps du général Dupont et les régiments suisses au service d'Espagne pour courir le pays dans les points où ils seront nécessaires. Il faut désarmer les gardes du corps. Le corps espagnol qui est près de Tolosa a promis de se bien comporter. Le régiment suisse qui est à Tarragone l'a promis de même; mais il est nécessaire que vous envoyiez des officiers sûrs partout où il y a des régiments suisses, pour leur parler. Vous commandez les troupes espagnoles : avancez quelques bons sergents et faites-les sous-lieutenants ; faites-les fraterniser avec les troupes françaises. Faire des repas de corps. Que les Suisses au service de France invitent les Suisses au service d'Espagne à manger et à boire. Je suppose que la solde et le régime français sont plus avantageux que la solde et le régime espagnols; déclarez qu'à dater du 1er juin les troupes espagnoles seront traitées comme les troupes françaises.

Je vous expédierai ce soir Exelmans, qui vous portera des nouvelles du prince des Asturies.


PROJET D'ACTE DE MÉDIATION.

Napoléon, par la grâce de Dieu et les constitutions, Empereur des Français, Roi d'Italie, Protecteur de la Confédération du Rhin, etc.

A tous ceux qui les présentes verront, salut :

Des dissensions intestines agitent, depuis six mois, la maison royale d'Espagne. Le désordre et l'anarchie menacent cette belle partie du continent. Après des trames, dont un procès contre le prince des Asturies avait été le résultat, le fils s'est assis sur le trône de son père. Toutes les voies de conciliation que nous avons proposées pour mettre fin à ces différends et parvenir avec rapidité et sans secousse à la régénération des Espagnes ont échoué. Des malheurs incalculables pour la France, l'Espagne et le continent, seraient l'effet d'une plus longue incertitude. La guerre civile et étrangère déchirerait cette intéressante portion de l'Europe, dont le concours est si nécessaire
pour le rétablissement de la paix maritime et la défense des mers. Les Amériques, inquiètes sur les destins de la mère patrie, perdant toute considération pour un sceptre faible et pour un trône renversé par les membres mêmes de la famille royale, pourraient se laisser aller aux suggestions des ennemis du continent: et priver pour jamais l'Europe des avantages qui sont attachés à leur possession. Il est en même temps nécessaire que le trône d'Espagne soit occupé de manière à ce que, sans exercer sur lui aucune influence et en lui laissant toute son indépendance, nous ayons une garantie pour nous et pour nos  peuples, garantie que nous ne pouvons trouver dans la situation actuelle des princes de la maison régnante.

En notre qualité de souverain, de voisin, d'allié, comme médiateur reconnu, et sur la demande expresse du roi Charles, notre allié et notre ami, nous sommes convenu et convenons du présent acte de médiation :

1° La convention passée entre nous et le roi Charles relativement à divers arrangements stipulés pour lui, la Reine, le prince des Asturies et les autres membres de la maison royale, sera entièrement et religieusement exécutée.

2° Nous assurons et garantissons par les présentes l'intégrité de toutes les provinces des Espagnes, n'entendant porter aucun changement à leurs limites naturelles.

3° Nous garantissons l'intégrité des colonies espagnoles d'Asie et d'Amérique.

4° Nous garantissons les privilèges et constitutions de chaque province, les privilèges, constitutions et propriétés de tous les ordres de l'État.

5° Nous garantissons qu'aucun autre culte que celui de notre sainte religion ne sera toléré en Espagne, et qu'il ne sera porté aucun changement aux prérogatives, revenus, propriétés et organisation des diocèses et des ordres religieux, stipulant seulement, et spécialement, la suppression de l'inquisition comme attentatoire à la loi civile et à l'autorité séculière.

6° Enfin nous reconnaîtrons le choix qui sera fait d'un roi par la nation espagnole, à la seule condition qu'il soit de notre sang et de notre famille, sans avoir pour but d'exercer aucune souveraineté sur les Espagnes, mais dans la seule intention de resserrer l'union entre les deux nations et de garantir à nos peuples que, dans aucun cas et surtout dans les cas de malheur, les Espagnes ne feront jamais cause commune avec nos ennemis contre notre Empire et notre Maison.

Nous reconnaîtrons le nouveau roi d'Espagne comme roi des Espagnes et empereur du Mexique.


L'acte de médiation sera signé par le roi Charles et successivement par tous ceux des princes de la maison royale qui voudront avoir part aux avantages stipulés dans la convention qui y est mentionnée.

A la suite de cet acte, qui sera imprimé, seront placées : 1° la lettre écrite par le prince des Asturies à son père; 2° la réponse du roi Charles à son fils.

Cet acte et les pièces ci-dessus seront envoyés aux députations de Biscaye et de Navarre, à Madrid, et à toutes les provinces du royaume.


Bayonne, 6 mai 1808

A Louis Napoléon, roi de Hollande

Je lis dans les journaux de Paris que vous nommez des princes. Je vous prie instamment de n'en rien faire. Les rois n'ont pas le droit de nommer des princes; ce droit est inhérent à la dignité impériale. Vous pouvez, quand vous instituerez une noblesse, faire des comtes, des barons, des marquis ou des ducs, quoique je pense que cela soit fort inutile en Hollande, si ces titres n'y existaient pas autrefois; mais vous ne pouvez créer un prince. Vous me désobligeriez infiniment si vous le faisiez, et vous sentez que, par toute espèce de raisons, j'ai droit de l'exiger. Mes institutions ne sont point faites pour être tournées en ridicule. Moi-même, je n'ai pas créé de prince sans leur donner une principauté. Le prince de Ponte-Corvo a une principauté indépendante; le prince de Neuchâtel, le prince de Bénévent ont des principautés indépendantes; Cambacérès, Lebrun sont princes comme grands dignitaires de l'Empire; mais les grands dignitaires d'une simple couronne royale ne sont pas princes. En Italie, dont la population est triple de celle de Hollande, je n'ai pas nommé de princes; j'ai nommé des grands dignitaires qui n'ont rang que de simples dignitaires. Si vous persistez dans votre idée, je désavouerai publiquement ces innovations monstrueuses. Eh ! qu'a donc fait l'amiral de Winter, d'ailleurs, pour mériter une si haute distinction, si vous pouviez la donner ? Vous avez créé des maréchaux qui n'ont pas fait ce qu'ont fat mes généraux de brigade. Pour Dieu, ne vous rendez pas trop ridicule !

(Lecestre)


Bayonne, 6 mai 1808

Au prince Cambacérès, archichancelier de l'Empire, à Paris

Mon Cousin, vous verrez dans le Moniteur les nouvelles de Madrid. La canaille de cette ville a voulu se faire rosser. Quelques évènements de cette nature pourront peut-être encore avoir lieu, mais les affaires principales sont aujourd'hui arrangées ici.

(Brotonne)


Bayonne, 6 mai 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d'Italie, à Milan

Mon fils, vous trouverez ci-joint une brochure qui vous fera connaître la situation des affaires d’Espagne. Nous approchons du dénouement. Le roi Charles m’a cédé tous ses droits au trône, il se retire à Compiègne avec la reine et une partie de ses enfants. Quelques jours avant le traité, le prince des Asturies a remis la couronne au roi Charles. Le grand duc de Berg a été nommé lieutenant général du royaume, et président de toutes les juntes. Il y a eu une insurrection à Madrid le 2 mai : 30 ou 40,000 individus s'étaient rassemblés dans les rues et dans les maisons, et faisaient feu par les fenêtres. Deux bataillons de fusiliers de ma garde, et 400 à 500 chevaux ont tout mis à la raison. Plus de 2,000 des émeutiers ont été tués. J’avais à Madrid 60,000 hommes qui n'ont pu rien faire. On a profité de cette circonstance pour désarmer la ville.

(prince Eugène)


Bayonne, 6 mai 1808

A M. de Talleyrand, prince de Bénévent, vice Grand-Electeur

Vous verrez dans le Moniteur des pièces qui vous feront connaître l'état des choses en Espagne. Je vous dirai, mais pour vous seul, parce que je n'ai pas besoin que cela soit connu avant le temps, que je donne au roi Charles le château de Compiègne pour habitation, sa vie durant, et le château de Chambord et la forêt en toute propriété, avec 30 millions de réaux de pension, et une pension proportionnée pour chaque prince de sa famille. Par le même traité, il me cède tous ses droits à la couronne d'Espagne. Le roi Charles est un bon et brave homme. Il va se mettre en route dans deux jours; il en mettra quatre pour se rendre à Bordeaux, séjournera deux jours à Bordeaux et se rendra en six jours à Fontainebleau. Je désire que vous donniez des ordres pour que son logement et celui de la Reine soient préparés à Fontainebleau. Il me semble qu'on pourrait le loger dans l'appartement du roi de Hollande. Il restera dix jours à Fontainebleau; après quoi, il se rendra à Compiègne. Prenez des mesures pour que tout soit prêt à Compiègne, au 1er juin, pour le recevoir. Je crois qu'il pourra occuper les grands appartements. Parlez de cela à Desmazis. Comme j'ai nommé depuis longtemps Laval gouverneur du château de Compiègne, donnez-lui l'ordre de s'y rendre et de tenir tout prêt,
sans lui dire cependant que c'est pour le roi Charles.

Quant au prince des Asturies, c'est un homme qui inspire peu d'intérêt. Il est bête au point que je n'ai pu en tirer un mot. Quelque chose qu'on lui dise, il ne répond pas; qu'on le tance ou qu'on lui fasse des compliments, il ne change jamais de visage. Pour qui le voit, son caractère se dépeint par un seul mot : un sournois.

Je regarde donc le plus gros de la besogne comme fait. Quelques agitations pourront avoir lieu; mais la bonne leçon qui vient d'être donnée à la ville de Madrid, celle qu'a reçue dernièrement Burgos, doivent nécessairement décider promptement les choses. Après la lecture des pièces du Moniteur, votre langage avec le corps diplomatique doit être que la populace d'Espagne a la fièvre; que personne ne peut la contenir; qu'elle ne craint point les troupes espagnoles, qui ne tirent pas sur elle, que les honnêtes gens et les gens comme il faut d'Espagne le sentent bien, et qu'ils se trouvent heureux qu'il y ait une forte protection qui les mette à l'abri de tous événements.

Je vous envoie la traduction française d'une brochure espagnole qui court en Espagne; je désire qu'elle ne soit pas connue à Paris. Chargez d'Hauterive de faire une notice sur l'abdication de Charles V et sur celle de Philippe V, pour faire connaître que l'abdication de ces princes, depuis le commencement où il en a été question jusqu'au moment où elle a été consommée, a été l'ouvrage de deux ou trois ans.


Bayonne, 6 mai 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Monsieur le Général Clarke, donnez l'ordre à un général de brigade de se rendre à Breskens pour prendre le commandement de l'île de Cadzand. Vous lui formerez une compagnie de 60 à 80 chevaux des régiments de chasseurs qui se trouvent dans la 24e division militaire. Il faut que ce général se porte sur les différents points de la côte pour l'inspecter et renforcer les batteries où cela serait nécessaire. Il doit avoir avec lui deux officiers d'artillerie pour faire exercer les garde-côtes et tenir les batteries en bon état. J'ai une escadre de huit vaisseaux à Flessingue; il est nécessaire que les batteries de Breskens soient gardées et en état de protéger la rade. Il peut être utile de diriger là une autre compagnie de canonniers vétérans, et de lever dans l'île de Cadzand 200 hommes de gardes nationales, qui, accoutumés à l'air du pays, seront plus propres à faire le service sur la côte, et que ce général organisera. Ces moyens, joints à ceux des douanes et aux troupes qu'on pourrait retirer de Flessingue, seront suffisants pour faire la police en cas d'événement. Il faut que vous ordonniez au général Chambarlhac, qui commande la 24e division militaire, de compléter deux compagnies de 2 à 300 hommes de chacun des 72e, 65e, 108e et 48e régiments, pour en former deux petits bataillons de 500 hommes chacun, qui formeront un régiment provisoire. Mon intention est qu'ils soient réunis, pour le ler juin , à une marche de Breskens, dans des lieux sains. Si ces régiments ne peuvent pas fournir sur-le-champ les deux compagnies, ils en fourniront d'abord une. L'air de l'île de Cadzand étant mauvais , le général de brigade ne les appellera qu'en cas de nécessité. Donnez ordre au général Vandamme, qui commande la 16e division militaire, de réunir à Blankenberg, pour le 1er juin, un régiment provisoire formé de détachements tirés du régiment suisse, du 13e régiment d'infanterie légère et de la légion de réserve qui est à Lille, de manière à avoir un millier d'hommes auxquels on joindra une soixantaine de chevaux. Cette petite colonne sera prête à Blankenberg à se rendre à l'appel du général de brigade, du moment qu'il en aurait besoin. De Blankenberg à Breskens on placera des piquets de cavalerie pour communiquer promptement. Il serait aussi nécessaire de convenir des signaux pour, au moindre événement, s'avertir rapidement et se réunir sur le point menacé.


Bayonne, 6 mai 1808, dix heures du matin

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

Vous trouverez ci-jointe la copie d'une lettre, que j'ai reçue du prince des Asturies. Je ferai partir dans la journée Exelmans avec la notification de ce prince à la junte. Je n'ai point reçu de lettres de vous depuis celle que m'a apportée d'Hanneucourt.

J'ai vu avec peine que l'arsenal n'avait pas été occupé. Comment n'avez-vous pas mis un bataillon dans ce poste important ? Si cet arsenal est entouré d'un mur, comme je le pense, il faut en faire une espère de forteresse, telle qu'un bataillon puisse y garder les fusils, armes, canons et tout ce qui s'y trouverait. Aucun des officiers ne couche avec les soldats, de sorte que personne n'est à son poste. Faites du Palais-Neuf une espèce de grande caserne avec des portes et des créneaux, dans laquelle vous logerez la garnison et les officiers. Logez aussi beaucoup d'officiers dans le palais actuel; laissez
 les appartements du Roi libres, mais remplissez le reste du palais d'officiers. Par ce moyen, il n'y aura personne en ville. S'il n'y avait pas de portes, profitez de la circonstance pour en faire faire, afin de pouvoir le fermer et empêcher qu'on ne rôde dans les escaliers et corridors de l'intérieur, comme on dit que cela est; ce serait une troisième forteresse. Si une partie des troupes quittait Madrid, l'arsenal et les deux palais ainsi fortifiés, on serait maître de la ville. Souvenez-vous des services que m'a rendus le vieux château de Vérone, qui m'a sauvé 2,000 Français et a contenu la ville; le château de Pavie également. Il ne faut pas que les officiers logent dans les grandes maisons des seigneurs espagnols, pour vivre à leurs dépens; cela ne vaut rien. Il faut au moins que, s'il ne restait plus que 4 ou 5,000 hommes dans Madrid, ils soient logés dans les trois points désignés, et que ce soient des points forts. Il faut aussi avoir dans le palais quelques palissades et chevaux de frise pour jeter dans les rues en cas d'événement. Je vous recommande cela.

Donnez des ordres conformes à ceux que j'ai donnés pour qu'insensiblement l'hôpital de Valladolid soit évacué, et qu'en général il n'y ait pas d'hôpitaux dans les campagnes, exposés à la barbarie et à la férocité de ces gens-là.

Des escadrons et des régiments de marche doivent être arrivés à Madrid. Donnez ordre qu'ils soient incorporés dans les régiments provisoires, ce qui donnera beaucoup de consistance à ces régiments.

Il faut que les deux ou trois retranchements que vous aurez à Madrid puissent en imposer et donner le temps aux troupes de revenir de trois ou quatre marches. J'attends avec un grand intérêt les détails ultérieurs que vous aurez à me donner.

Je suppose que vous aurez envoyé chercher tous les chefs d'ordres, provinciaux et prieurs des couvents, et que vous-leur aurez fait sentir le danger et les conséquences de se mal comporter.


COPIE DE LA LETTRE DU PRINCE DES ASTURIES AU ROI CHARLES IV.

Sire,

Mon vénérable Père et Seigneur, pour donner à Votre Majesté une preuve de mon amour, de mon obéissance et de ma soumission, et pour céder au désir qu'elle m'a fait connaître plusieurs fois, je renonce à ma couronne en faveur de Votre Majesté, désirant qu'elle en jouisse pendant de longues années.

Je recommande à Votre Majesté les personnes qui m'ont servi depuis le 19 mars; je me confie dans les assurances qu'elle m'a données à cet égard.

Je demande à Dieu de conserver à Votre Majesté des jours longs et heureux. 

Fait à Bayonne, le 6 mai 1808.

Je me mets aux pieds de Votre Majesté Royale.

Le plus humble de ses fils,

FERDINAND.

Extrait du Moniteur du 11 mai 1808.


Bayonne, 6 mai 1808, diy heures du soir.

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

Mon Frère, je reçois votre lettre du 4. Je vois avec plaisir l'énergie que vous avez déployée dans cette circonstance. C'est ainsi que je veux qu'on fasse. Ne donnez pas trop sur le ventre aux gardes du corps ni aux troupes espagnoles; ces gens sont si vaniteux et si pré- somptueux qu'il ne faut pas trop les flatter.

Donnez ordre au général Solano d'aller à Cadix pour garder la ville. Je vous charge expressément de lui dire que, l'ayant connu, je compte plus spécialement sur lui pour la protection de ma flotte. Il peut mener avec lui la moitié de ses troupes.

Vous trouverez ci-jointe la lettre du prince des Asturies à la junte.

Cela finit entièrement les affaires. Il a quitté l'uniforme de colonel des gardes et ne porte plus que celui de prince des Asturies. Le roi Charles est en tout d'accord avec moi. Tout est donc conclu.

J'attends votre courrier du 5, et, après l'avoir reçu , je réunirai une assemblée des états à Bayonne pour prendre les mesures convenables. On dit que le ministre des finances est un homme très-habile. Veillez à ce que tout se fasse avec la plus grande pureté et en règle, et que le service des flottes espagnoles ne manque pas.

Envoyez à Barcelone auprès du général Duhesme, qui, du reste, m'a écrit qu'il est sur ses gardes. Il n'y a encore rien de nouveau à Pampelune ni dans la Biscaye. Faites veiller sur les magasins d'armes, afin qu'on ne les pille pas.

Vous trouverez ci-joint, par duplicata, la lettre que je vous ai écrite ce matin par l'estafette, en cas qu'elle ne vous parvienne pas.

J'ai fait un traité (voir ci-dessous) avec le roi Charles, par lequel il me cède tous ses droits au trône d'Espagne.


LETTRE DU PRINCE DES ASTURIES A LA JUNTE SUPRÊME DE GOUVERNEMENT.

En vertu de la renonciation que je fais à moi, père bien-aimé, je retire les pouvoirs que j'avais accordés, avant mon départ de Madrid, à la junte pour l'expédition des affaires importantes et urgentes qui pouvaient se présenter pendant mon absence. La junte suivra les ordres et commandements de mon bien-aimé père et souverain, et les fera exécuter dans les royaumes.

Je dois, en finissant, témoigner aux membres de la junte, aux autorités et à toute la nation ma reconnaissance de l'assistance qu'ils m'ont donnée. Je leur recommande de se réunir d'effort et de coeur au roi Charles et à l'empereur Napoléon, dont la puissance et l'amitié peuvent, plus que toute autre chose, garantir les premiers biens des Espagnes : leur indépendance et l'intégrité du territoire. Je vous recommande de ne pas donner dans le piège de nos éternels ennemis, et de vivre unis entre vous et avec nos alliés, d'épargner le sang et d'éviter les malheurs qui seraient le résultat des circonstances actuelles, si on se laissait aller à l'esprit de vertige et de désunion.

A Bayonne, le 6 mai 1808.

FERDINAND


Ce traité a été inséré au Moniteur, n° du 7 septembre 1808 et du 5 février 1810. Mais ni à l'une ni à l'autre de ces dates, le Moniteur n'a publié l'article qui suit :

ARTICLE SÉPARÉ ET SECRET                      .

4° Dans le cas où le Portugal restera en possession à la France, Sa Majesté l'empereur Napoléon s'engage à donner à la reine d'Étrurie et au prince de la Paix une rente en France en dédommagement des provinces de ce royaume qui leur ont été cédées par le traité de Fontainebleau du 27 octobre 1807.

Le présent article sera ratifié, et l'échange des ratifications se fera en même temps que l'échange de la convention.

Fait à Bayonne, le 5 mai 1808.

Le traité a été ratifié le 8 mai et les ratifications échangées le même jour. 


Bayonne, 6 mai 1808, dix heures

Au maréchal Bessières, commandant la Garde Impériale, etc., à Burgos

Mon Cousin, je reçois votre lettre. Vous dites que les pamphlets ne servent à rien en Espagne; ce sont des contes. Les Espagnols sont comme les autres peuples et ne font pas une classe à part. Répandez en Galice et dans les environs les écrits que je vous ai envoyés.

Je vous ai déjà mandé que le grand-duc était nommé par le roi Charles lieutenant général du royaume. Le prince des Asturies a entièrement renoncé au trône. Vous trouverez ci-joint copie de lettre qu'il a écrite à la junte. Tout est parfaitement fini à Bayonne. Le roi Charles, par un traité (cela est pour vous seul), m'a cédé tous ses droits au trône. Le prince des Asturies avait remis, avant, la couronne à son père. Je vais m'occuper demain des autres actes et mesures à prendre.

Si vous vous fiez aux soldats portugais, peut-être feriez-vous bien de ralentir leur marche, car enfin, si les sous-officiers sont bons, ces troupes nous serviront à miracle. Mandez au général Verdier de garder le régiment qu'il avait ordre de faire filer, jusqu'à ce qu'il ait des ordres de moi. Un régiment de cavalerie serait fort utile dans la Navarre, à Pampelune.


Bayonne, 6 mai 1808

Au prince Camille Borghèse, gouverneur général des départements au-delà des Alpes, à Turin

Mon Cousin, je reçois votre lettre de Turin. Je vois avec plaisir l'heureuse arrivée de la princesse et de vous dans cette  ville. Il est nécessaire que vous m'envoyiez tous les quinze jours l'état des troupes qui sont dans votre gouvernement et l'état des conscrits qui arrivent et qui passent. Faites-moi connaître également tous les quinze jours les progrès des travaux. Envoyez-moi également toutes les nouvelles de mer qui parviennent à votre connaissance. Écrivez-moi tous les jours par l'estafette qui passe à Turin, ce qui n'empêche pas les comptes qui doivent être rendus officiellement aux différents ministres.


Bayonne, 6 mai 1808

A Jérôme, roi de Westphalie, à Cassel

Mon Frère, vous trouverez ci-joint une brochure qui vous fera connaître la situation des affaires d'Espagne. Nous approchons du dénouement. Le roi Charles m'a cédé tous ses droits au trône , et il se retire à Compiègne avec la Reine et une partie de ses enfants. Quelques jours avant la signature de ce traité, le prince des Asturies s'est démis de la couronne et l'a remise au roi Charles. Le grand-duc de Berg a été nommé lieutenant général du royaume et président de tous les conseils. Il y a eu une insurrection à Madrid le 2 mai, 30 ou 40,000 individus s'étaient rassemblés dans les rues et dans les maisons, et faisaient feu par les fenêtres. Deux bataillons de fusiliers de ma Garde et quatre à cinq cents chevaux ont tout mis à la raison. Plus de 2,000 hommes de cette populace ont été tués. J'avais à Madrid 60,000 hommes qui n'ont rien pu faire. On a profité de cet événement pour désarmer la ville.

(Même notification faite, le même jour, au roi de Naples, au roi de Hollande et au vice-roi d'Italie)


Bayonne, 7 mai 1808

Au prince Cambacérès, archichancelier de l'Empire, à Paris

Je reçois votre lettre du 4 mai. La question du beau-père du général d'Hautpoul est une question contentieuse qui doit être discutée que lorsque déjà l'institution marche.

(Brotonne)


Bayonne, 7 mai 1808

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris

Je reçois votre lettre du 4. Les affaires ici sont entièrement terminées. Reste actuellement à employer des moyens de réaliser tout cela en Espagne.


Bayonne, 7 mai 1808

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

Je vous envoie une lettre du consul de Santander. Il est convenable que vous changiez sur-le-champ le corregidor qio parît être irlandais et que vous mettiez à sa place un homme dont vous puissiez être sûr.

(Brotonne)


Bayonne, 7 mai 1808, six heures du soir

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

L'escadre espagnole est à Mahon. Cette escadre était partie le 10 février de Carthagène pour se rendre à Toulon. Elle y aurait pu être en même temps que mon escadre de Toulon est sortie, et partir avec elle; elle n'en a rien fait et s'est rendue à Mahon , où elle est depuis ce temps-là. Il est bien nécessaire que le ministre de la marine envoie des ordres et des officiers dans les ports pour secourir cette escadre et surtout Mahon. Il faut faire partir des troupes de tous les côtés. Rendez-moi compte de ce qu'aura fait là-dessus le ministre de la marine; une escadre anglaise est devant Mahon.

Je vous ai déjà mandé de penser au camp de Saint-Roch et à Cadix. Il faut que la division Solano se dirige à marches forcées sur Cadix; qu'il s'y rende de sa personne en poste, et que toutes les mesures soient prises pour contenir les Anglais. J'attends l'état de situation de toutes les troupes espagnoles; aussitôt que je l'aurai reçu, je déciderai de quelle manière ces troupes doivent être disposées. Ayez donc des conférences avec les ministres de la guerre et de la marine sur les moyens de sauver Mahon et le camp de Saint-Roch, et de garder le point de Cadix en force.

Envoyez des officiers du génie au camp de Saint-Roch, qui examinent bien la situation de Gibraltar.

Je vous envoie par duplicata ce que je vous ai expédié hier au soir par Exelmans, et par triplicata ce que je vous ai expédié par le courrier d'hier matin.

Pensez à Cadix et à Mahon. Je pense qu'il faudrait, entre Cadix et le camp de Saint-Roch, au moins 10,000 hommes, infanterie, cavalerie, milice et troupes régulières, de peur que les Anglais n'essayent à entreprendre quelque chose.


Bayonne, 8 mai 1808

Au général Clarke, ministre de la guerre, à Paris

Je suis mécontent de la conduite des élèves de l'École d'artillerie de Metz et de la faiblesse du commandant. Ces jeunes gens font d scènes au théâtre, qui indignent tous les honnêtes gens. Vous ferez mettre à l'ordre de ma part qu'ils garderont les arrêts pendant un mois, sans sortir de l'enceinte, et qu'ils seront privés de la comédie pendant un an. Ceux qui y seront trouvés seront punis comme ayant contrevenu à un ordre donné. Témoignez mon mécontentement au colonel et au commandant d'armes; ils montrent la plus extrême faiblesse. Comme militaires, les élèves sont sous l'obéissance du commandant d'armes, lorsqu'ils sont hors de l'École.

Que je n'en entende plus parler ! Je ne souffrirai pas qu'une poignée de morveux inquiète toute une ville. Tolérer ces excès aurait pour résultat de les élever dans l'indiscipline. Qu'on vous envoie la liste des six plus mutins; vous les ferez mettre dans la prison de l'école pendant deux mois.

Le colonel sera désormais responsable de l'indiscipline qu'il y aurait dans cette école. Vous écrirez à la police de Metz, pour que ceux qui, d'ici un an, iraient au spectacle, soient arrêtés, déguisés ou non.

(Lecestre)

 


Bayonne, 8 mai 1808

Au prince Cambacérès, archichancelier de l'Empire, à Paris.

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 5. J'approuve que l'on mette sur les armoiries des grands dignitaires le bonnet d'électeur, mais non pas la couronne fermée.

Le secrétaire d'État n'a pas besoin de contresigner les titres, puisqu'il ne garde pas copie des lettres patentes. En général, mon intention est que les actes du conseil du sceau ne soient pas contresignés; c'est multiplier la besogne inutilement. A quoi bon d'ailleurs le contreseing ? Le secrétaire d'État garderait-il l'original et enverrait-il la copie ? Cela ne remplirait pas le but. Les familles sont bien aises d'avoir la signature de l'Empereur. Vous ferez constater cette décision dans les registres du conseil du sceau.

Vous pouvez donner les lettres patentes; mais, pour faire l'acte de constitution, c'est-à-dire le procès-verbal, il faut que les biens y soient détaillés. Il faut faire la même chose pour les comtes et pour les barons. Vous pouvez faire délivrer les lettres patentes, avant l'acte de constitution , à ceux auxquels j'ai accordé des titres.


Bayonne, 8 mai 1808

A M. de Champagny, ministre des relations extérieures, à Bayonne

Monsieur de Champagny, écrivez à mon ambassadeur à Constantinople contre Ali-Pacha, et portez les mêmes plaintes à l'ambassadeur turc à Paris, en demandant l'élargissement de tous les habitants de Corfou qu'il a fait arrêter. Faites mettre dans le Moniteur des extraits relatifs aux affaires du Maroc.


Bayonne, 8 mai 1808

A M. Fouché, ministre de la police générale, à Paris.

J'ai reçu votre lettre du 5. Écrivez à Metz qu'on prenne des mesures pour réprimer cette impertinence des élèves de l'École au théâtre. La police du théâtre appartient au maire. Ainsi, jeunes gens ou autres qui se conduiraient mal doivent être sévèrement punis.

Je vous envoie une lettre qu'il est très important que vous preniez en considération. S'il y a des embaucheurs, faites-les arrêter.


Bayonne, 8 mai 1808

A Alexandre, prince de Neuchâtel, major général de la Grande Armée

Mon Cousin, je désire que vous écriviez au préfet des Hautes-Pyrénées d'envoyer des espions à Saragosse et sur différents points de l'Aragon, pour savoir ce qui s'y dit, surtout ce qui s'y fait, être instruit si l'on arme, et enfin avoir un rapport sur ce pays. Je désire qu'il y envoie huit ou dix hommes du pays, accoutumés à faire le commerce et quelques gendarmes déguisés.


Bayonne, 8 mai 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Je vous ai donné l'ordre d'envoyer des bâtiments en Amérique. Vous voyez combien les circonstances sont urgentes. Expédiez plusieurs goélettes et bricks. Il y a ici un brick bon marcheur appartenant au commerce et qu'on pourrait acheter. Il y a de ces goélettes partout. Il faudrait mettre à bord des fusils, car on en manque en Amérique. Faites embarquer 1,000 fusils et pistolets sur chacune; c'est la meilleure recommandation en Amérique que d'y porter les moyens de résister aux Anglais.


Bayonne, 8 mai 1808

Au vice-amiral Decrès, ministre de la marine, à Paris

Je vois. avec plaisir que vous ayez fait armer les frégates du Havre. J'approuve ce que vous voulez faire des équipages venant des villes hanséatiques. Si le Vétéran n'est pas désarmé, tenez-le armé; il pourra sortir d'un moment à l'autre. D'ailleurs, puisqu'il occupe deux vaisseaux anglais, il remplit son but. Tout cela fait faire aux Anglais beaucoup de dépenses et dissémine leurs forces, car ils sont obligés d'avoir des vaisseaux dans les mers d'Espagne, de Portugal, en Amérique, dans la Baltique, etc. Faites partout armer les bâtiments en suivant ce principe.


Bayonne, 8 mai 1808, midi.

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

Je reçois vos lettres du 4 à huit heures du soir, et du 5 à deux heures du matin. Je vois avec grand plaisir que vous vous êtes logé au palais, que vous vous êtes mis à la tête de la régence et que vous avez pris le commandement des troupes espagnoles. Les lettres du roi Charles, du prince des Asturies à la junte, que je vous ai depuis envoyées, auront mis tout en règle.

Je vois avec grand plaisir que le ministre de grâce et justice, qui est un homme d'esprit et dont je sais que le prince des Asturies se méfiait beaucoup, s'est rangé dans le bon parti. Témoignez-lui-en ma satisfaction. Je sais que c'est un homme d'esprit.

J'attends l'état de situation des troupes espagnoles, pour savoir ce que j'en dois faire.

Je vous ai déjà mandé hier de réunir au camp de Saint-Roch et à Cadix 10,000 hommes espagnols, afin d'être en mesure contre toute entreprise des Anglais. Il faudrait aussi avoir 3,000 hommes d'infanterie espagnole à Carthagène, afin que ce port fût en sûreté, et au moins 4,000 hommes au Ferrol. Mais j'attendrai l'état des troupes pour donner tous les ordres là-dessus.

Exelmans vous aura fait connaître le traité que j'ai fait avec le roi Charles. L'infant don Antonio est arrêté. Les trois infants partiront demain pour se rendre du côté de Paris. Le roi Charles se rend à Compiègne.

Il me semble que, pour arranger toutes les choses, il serait convenable de convoquer à Bayonne une assemblée des députés de toutes les provinces. La junte peut faire connaître que le roi Charles et le prince des Asturies m'ont cédé tous leurs droits; que je désire consulter la nation sur le choix d'un nouveau souverain, et que je désire qu'il soit choisi dans ma Maison, afin que l'union des deux nations soit perpétuelle, et que les chefs comme les peuples aient le même intérêt.

Je vous ai mandé hier de prendre des mesures pour défendre Mahon et ravitailler l'escadre qui se trouve dans ce port. Il faut à présent expédier des bâtiments en Amérique avec des proclamations de la junte. J'en ai fait expédier de mon côté de tous les ports de France. Il faut faire charger à bord de ces bricks une vingtaine de milliers de fusils, puisqu'on en manque en Amérique. De mon côté, j'en fais expédier autant. Il faut espérer que sur ces 40,000 il en arrivera un bon nombre. Aussitôt que j'aurai l'état de la marine dans tous les ports, je donnerai des ordres. Faites-moi envoyer ces livrets.

Je vous enverrai ce soir la copie du traité que j'ai fait avec le roi Charles, mais qui, je crois, doit rester encore secret.

P. S. Je vois par différentes lettres d'officiers que malheureusement ils sont disséminés en ville, et qu'au lieu d'être tous réunis dans un ou deux endroits ils sont répandus dans toutes les maisons. Ainsi le général la Riboisière n'a pas pu sortir de sa maison. On dit que mon ancien page Legrand a été tué dans les rues. Que cela serve d'expérience; que personne ne soit logé en ville, mais que tout le monde soit placé au Palais, au Palais-Neuf, enfin dans une ou deux grandes maisons. Arrangez-vous là-dessus.


Bayonne, 8 mai 1808

Au maréchal Bessières, commandant la Farde Imériale, etc., à Burgos

Mon Cousin, je n'ai point de vos nouvelles depuis le 5; la dernière estafette ne m'a rien porté. L'infant don Antonio est arrivé. J'attends aujourd'hui la reine d'Étrurie. Le grand-duc de Berg vous aura instruit qu'il est lieutenant général du royaume et président de la junte.

Il est nécessaire que vous reteniez les chevaux de main du régiment portugais qui passeront et ceux des hommes qui auraient déserté, afin de monter les dépôts et d'en augmenter l'effectif des corps. Il est nécessaire que vous me fassiez connaître la quantité de cartouches que vous avez à Burgos, à Vitoria, ainsi que l'approvisionnement de vos canons. Faites votre arsenal de quelque maison hors de la ville de Burgos et qui soit dans une position à être aisément défendue. Ayez là un demi-approvisionnement à canon, une réserve de 500,000 cartouches, les caisses de fusils espagnols qui sont à Burgos, et que vous emploierez à remplacer les mauvais fusils qu'auraient mes troupes, et enfin 300,000 rations de biscuit. Faites de cette maison une espèce de forteresse, à laquelle on fera un fossé, un palissadement, des créneaux, afin qu'en cas qu'une partie des troupes abandonne Burgos pour se porter ailleurs, un ou deux bataillons avec six ou sept pièces de canon pussent se trouver là en sûreté contre les émeutes de la canaille. Vous devez avoir des officiers du génie, à défaut d'officiers d'artillerie, pour faire ce petit travail.

Envoyez tous les escadrons et régiments de marche de cavalerie à Madrid; il faut en excepter cependant les trois escadrons de marche qui sont à la division du général Verdier. Votre cavalerie sera composée de la division du général Lasalle,, c'est-à-dire du 10e et du 22e régiment de chasseurs. Le 22e doit être arrivé à Burgos; le 10e est à Tolosa.

Ne laissez faire aucun mouvement aux troupes espagnoles sur Valladolid sans en être instruit, et veillez à ce qu'il n'y ait aucun rassemblement du côté de la Galice qui puisse donner de l'inquiétude.

Il me semble que j'ai donné ordre que des convois de cartouches d'infanterie et à canon et de pierres à feu vous fussent envoyés; il doit en être arrivé à Burgos. Chaque homme doit avoir 50 cartouches dans sa giberne, et vous devez en avoir 500,000 en réserve, indépendamment des caissons d'infanterie que vous avez.

Les infants partent demain pour se rendre du côté de Paris; le roi Charles part après-demain. Vous avez reçu la lettre du prince des Asturies à la junte, que je vous ai envoyée.

Envoyez quelques agents espagnols en Aragon pour savoir ce qui se passe.

Il y a à Saint-Sébastien 40 cavaliers appartenant à l'armée du Portugal, 52 appartenant au corps du maréchal Moncey, 33 appartenant au corps du général Dupont, 2 au vôtre, et 1 grenadier à cheval de la Garde, ce qui fait à peu près 130 hommes, pour lesquels il faudrait 130 chevaux. Si vous pouviez monter tout cela, cela ferait un petit escadron.

Le dépôt du 10e et celui du 22e de chasseurs à Bayonne ont près de cent hommes non montés; une cinquantaine de chevaux que vous y enverriez serait nécessaire.


Bayonne, 8 mai 1808

A Eugène Napoléon, vice-roi d'Italie, à Milan

Mon Fils, je reçois le rapport du général Chasseloup. Je ne veux point dépenser 500,000 francs à la Rocca d'Anfo. Ce sont de folles dépenses que me fait faire Cbasseloup. Il faut adopter un plan d'après lequel je dépenserai 200,000 francs en quatre ans ; je ne veux pas dépenser davantage. Tout ce qui a été fait là est ridicule. J'approuve que vous dépensiez 30,000 francs pour faire arriver un filet d'eau au camp de Montechiaro et entretenir les plantations. Il faudrait en Italie une ligne, et que cette ligne couvrît Trévise; car du moment qu'on est obligé de passer Trévise on découvre Venise, et dès lors on affaiblit l'armée d'une vingtaine de mille hommes, et l'on perd les ressources que l'on trouverait dans cette ville. Quelle est la ligne qu'il faudrait prendre ? Je désire qu'on étudie celle de la Piave. Faites-en lever le plan à grands points et qu'on l'étudie depuis les montagnes jusqu'à la mer. Elle se termine, je crois, dans des terrains marécageux où une armée ne pourrait agir, et commence dans des montagnes inaccessibles. La partie qu'il faudrait défendre ne me paraît pas d'une défense très-difficile; trois ou quatre têtes de pont en terre, avec des petits réduits en maçonnerie, pourraient donner des avantages à une petite armée sur une plus forte, car elle pourrait déboucher par une de ces têtes de pont pour attaquer l'armée ennemie, tandis que les trois autres seraient défendues par quelques troupes qu'on laisserait dans ces réduits. On pourrait d'autant moins passer entre ces têtes de pont que la rive droite domine la rive gauche; je crois l'avoir observé, il y a plusieurs années, lorsque j'ai passé cette rivière près d'Asolo.


Bayonne, 8 mai 1808

Au général Marmont, commandant l'armée de Dalmatie, à Raguse

La solde de l'armée de Dalmatie est arriérée parce que vous avez distrait 400,000 francs de la caisse du payeur pour d'autres dépenses. Cela ne peut marcher ainsi. Le payeur a eu très-grand tort d'avoir obtempéré à vos ordres. Comme c'est le trésor qui paye ces dépenses, ce service ne peut marcher avec cette irrégularité. Vous n'avez pas le droit, sous aucun prétexte, de forcer la caisse. Vous devez demander des crédits au ministre; s'il ne vous les accorde pas, vous ne devez pas faire ces dépenses.


Bayonne, 9 mai 1808

A M. Mollien, ministre du trésor public, à Paris

Monsieur Mollien, j'ai conclu avec le roi Charles un traité qui est secret. Je ne vous écris donc que pour vous instruire des dispositions qui vous regardent - 1° vous devez faire payer à ce prince, par douzième, à compter du ler mai, une somme annuelle de 30 millions de réaux, en forme de liste civile; 2° vous devez faire payer à tous les infants 400,000 francs par an; ils sont, je crois, cinq. Ce sera donc deux millions qui, avec les 7,500,000 francs à payer au roi Charles, feront 9,500,000 que vous aurez à payer par an. Ces 9,500,000 francs doivent leur être payés définitivement, mais ne doivent pas être portés sur le budget. Ils doivent figurer comme emprunt qui sera remboursé par l'Espagne. Il est probable que je donnerai 500,000 francs de plus au prince des Asturies; ce qui fera 10 millions. Toutes ces sommes seront remboursées par l'Espagne.


Bayonne, 9 mai 1808, midi

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

J'ai reçu vos lettres du 5 et du 6; j'en approuve le contenu. Je trouve que vous avez suivi la véritable marche. J'attends l'adresse du conseil de Castille; cela finira tout. Je vous envoie une copie de mon traité avec le roi Charles, qu'il est bon de tenir secret. Les soixante hommes de cavalerie espagnole qui sont partis de Pampelune, et les troupes sorties de Burgos pour aller ailleurs, peuvent l'être en vertu d'ordres donnés antérieurement. Ayez soin de vous faire instruire de cela, et de vous assurer que ce mouvement n'a pas pour but des projets de rassemblement, ou autres, qui pourraient donner de l'inquiétude. Vous trouverez ci-joint quelques exemplaires de la Gazette de Bayonne où se trouve la lettre du prince des Asturies à la junte, que vous devez avoir reçue.

Je vous ai mandé que j'attendais l'état de la marine espagnole ainsi que celui de l'armée de terre. Je vous ai mandé également qu'il fallait mettre les deux régiments suisses-espagnols sous les ordres du général de division Rouyer, et les envoyer à Tolède pour être joints à la division Dupont, en les mettant sur le pied de guerre. Ce sera un renfort considérable, qui sera fort utile au général Dupont. Peut- être serait-il convenable de retirer de Tarragone le régiment suisse qui s'y trouve, de le mettre sur le pied de guerre et de l'attacher à une division française où il y ait déjà des Suisses. Par là on sera maître de ces troupes et l'on en tirera du profit. Il faut aussi mettre quelques troupes espagnoles à Alicante et à Malaga; cela a l'avantage de garder les côtes et de disséminer les troupes espagnoles. Vous pourriez joindre à chaque division française un ou deux bataillons de Wallons.

Quant aux troupes espagnoles qui sont en Portugal, il est nécessaire que le général Junot en ait 8,000, hommes en tout, pour l'aider à garder les côtes; il en mettra 4,000 à Porto et 4,000 dans les Algarves.

Les choses ainsi combinées, le général Junot, ayant 24,000 Français, aura 39,000 hommes, desquels je tirerai 6,000 Français que je dirigerai sur Cadix.

J'ai pour consul général à Tanger le sieur Ornano; il m'écrit que les Marocains veulent déclarer la guerre aux Anglais s'ils n'évacuent pas la petite île qu'ils ont occupée près de Cadix. Faites-lui écrire de continuer à approvisionner Ceuta. J'écrirai à l'empereur de Maroc quand j'aurai le rapport d'O'Farrill. Je vous ai écrit hier sur l'importance de faire ravitailler Mahon et d'envoyer en Amérique des bricks et des goélettes chargés de fusils.


Bayonne, 9 mai 1808, cinq heures du soir. 

A Joachim, Grand-Duc de Berg, lieutenant général du royaume d'Espagne, à Madrid

Je reçois votre lettre du 7 à deux heures du matin. Vous aurez vu que je n'ai rien signé avec le roi Charles qu'après que j'ai su l'histoire de Madrid. Le prince des Asturies ne partira qu'après-demain mercredi avec les deux autres infants. J'attends quelle aura été l'issue du conseil de Castille. Je suppose que vous aurez recul alors les ordres du roi Charles, qui vous nomme lieutenant général du royaume, et les lettres à la junte.

On m'assure ici qu'O'Farrill avait envoyé, il y a quelques jours, à Barcelone, avec de l'argent pour y exciter du mouvement, un nommé Capellini, que vous devez avoir connu à Bologne. Ce qu'il y a de certain, c'est que j'aperçois différents mouvements dans les troupes espagnoles. J'attends avec impatience l'état de situation des troupes espagnoles que je vous ai demandé.

Je vous enverrai par le prochain courrier ma lettre au roi de Maroc, par laquelle je lui déclarerai que, s'il ne donne pas tous les secours à Ceuta et ne protège pas l'arrivage des bâtiments espagnols, ce serait une insulte qu'il me ferait.

Je vois, dans votre proclamation, que trois soldats se sont laissé désarmer. Donnez ordre que, pendant un mois, ces soldats soient obligés d'assister à la parade avec un bâton au lieu de fusil, et que leurs noms soient mis à l'ordre de l'armée.


Bayonne, 9 mai 1808, cinq heures du soir

Au maréchal Bessières, commandant la Garde Impériale, etc., à Burgos

Mon Cousin, je reçois votre lettre du 8 niai. J'étais instruit de la correspondance du prince des Asturies avec le duc d'Angoulême. Il n'y a pas de mal à accréditer cela, en faisant sentir combien il était difficile qu'il y eût de l'harmonie et de l'union entre les deux États, tandis qu'il existait de si grands sujets de défiance. Vous pouvez réunir la brigade du général Ducos à Vitoria, ce qui renforcera d'autant le général Verdier. Vitoria est un bon point; je désire que le général Verdier y soit en force, puisqu'il peut facilement se porter de là sur Burgos et sur Pampelune. Je tiendrai le général Lasalle à Tolosa pendant le temps qu'y seront les gardes du corps.


Bayonne, 9 mai 1808

A M. de Talleyrand, prince de Bénévent, vice-grand Électeur

Le prince des Asturies, l'infant don Antonio son oncle, l'infant don Carlos son frère, partent mercredi d'ici, restent vendredi, et samedi à Bordeaux, et seront mardi à Valençay.

Soyez-y rendu lundi au soir. Mon chambellan Tournon s'y rend en poste pour tout préparer pour les recevoir. Faites en sorte qu ils aient là du linge de table et de lit et de la batterie de cuisine. Ils auront huit ou dix personnes de service d'honneur, et autant ou le double de domestiques. Je donne l'ordre au général qui fait les fonctions de premier inspecteur de la gendarmerie à Paris de s'y rendre et d'organiser le service de la gendarmerie. Je désire que ces princes soient reçus sans éclat extérieur, mais honnêtement et avec intérêt, et que vous fassiez tout ce qui sera possible pour les amuser. Si vous avez à Valençay un théâtre, et que vous fassiez venir quelques comédiens, il n'y aura pas de mal. Vous pourriez y faire venir Mme Talleyrand avec quatre ou cinq femmes. Si le prince des Asturies s'attachait à quelque jolie femme, et qu'on en fût sûr, cela n'aurait aucun inconvénient, puisqu'on aurait un moyen de plus de le surveiller. J'ai le plus grand intérêt à ce que le prince des Asturies ne fasse aucune fausse démarche; je désire donc qu'il soit amusé et occupé. La farouche politique voudrait qu'on le mît à Bitche ou dans quelque château fort; mais, comme il s'est jeté dans mes bras, qu'il m'a promis qu'il ne ferait rien sans mon ordre, que tout va en Espagne comme je le désire, j'ai pris le parti de l'envoyer dans une campagne, en l'environnant de plaisirs et de surveillance. Que ceci dure le mois de mai et une partie de juin, alors les affaires d'Espagne auront pris une tournure, et je verrai le parti que je prendrai..

Quant à vous, votre mission est assez honorable : recevoir trois illustres personnages pour les amuser est tout à fait dans le caractère de la nation et dans celui de votre rang. Huit ou dix jours que vous passerez là avec eux vous mettront au fait de ce qu'ils pensent et m'aideront à décider ce que je dois faire.

Les brigades de gendarmerie seront renforcées, de manière qu'il y ait 40 gendarmes, pour être certain qu'on ne l'enlève pas, et mettre obstacle à sa fuite. Vous causerez avec Fouché, qui enverra des agents dans les environs et parmi ses domestiques. Car ce serait un grand malheur que, de manière ou d'autre, ce prince fît quelque fausse démarche.

Il faudrait une garde au château. J'ai pensé que la compagnie départementale pourrait fournir un poste.

Par le traité que j'ai fait avec le roi Charles, je me suis engagé à donner à ces princes 400,000 francs par an. Ils ont plus que cela de leurs commanderies; ils auront donc à eux trois 3 millions. Si vous pensez, pour leur faire honneur et pour toutes sortes de raisons, avoir besoin d'une compagnie de grenadiers ou de chasseurs de ma garde, vous en causerez avec le général Walther, et vous la ferez partir en poste. Ci-joint un ordre pour le général Walther.

(Lecestre)


Bayonne, 9 mai 1808

Au général comte Walther, commandant les grenadiers et chasseurs de la Garde

Monsieur le général Walther, M. le prince de Bénévent vous demandera cent hommes des chasseurs ou grenadiers de ma Garde, pour Valençay. Vous les ferez parti en poste et vous leur donnerez pour commandant un officier adroit, honnête et intelligent, cette compagnie devant à la fois servir de garde d'honneur et de garde de sûreté.

(Brotonne)


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